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seulement présenterait les progrès que l'agriculture y a faits depuis un certain nombre d'années, mais in diquerait encore ceux qu'elle peut faire dans la suite, et les améliorations en tout genre que les jeunes gens seront un jour appelés à exécuter ? Dans tout cela il n'est question de rien approfondir: on ne prendra des objets que les sommités les plus sensibles, que les traits de lumière qui, sans éblouir les élèves, les éclai reront sur ce qu'ils font déjà ou sur ce qu'ils voient faire. Ce sera, si vous voulez, une table raisonnée des matières qui éveillera la curiosité de la jeunesse des champs, qui lui inspirera le désir de demander, quand il en sera temps, des renseignemens plus étendus tant aux livres qu'aux agriculteurs habiles qui lui serviront de modèles.

N'est-il pas à désirer que les notions succinctes dont je viens de parler fassent place à un traité de morale agricole ? Chaque état a ses devoirs particuliers dont la connaissance doit être inculquée dès les premières années, si l'on veut que chacun remplisse avec honneur et avec profit, pour soi et pour la société, le rôle auquel il est appelé par la Providence. Dans ce traité de morale agricole, on insisterait sur le respect dû aux propriétés territoriales qui n'ont pour défense que la foi publique, sur les précautions à prendre pour ne pas endommager les champs de son voisin; on peindrait avec force la déraison, la bassesse, l'infamie de ces délits champêtres, de ces mutilations de plantes que conseille la vengeance, ou qu'on se permet pour le brutal plaisir de détruire. Il serait à propos de consa crer quelques pages de cette morale à exciter la pitié des jeunes gens pour les animaux si utiles qui partagent les travaux du laboureur, à faire hair, détester les mauvais traitemens dont on les accable, à faire remar quer que cette impitoyable dureté avec laquelle on les excède de fatigues et on leur envie une faible nourri

ture qui seule peut les rendre capables des travaux auxquels on les destine, n'est pas loin de l'insensibilité pour les besoins des hommes, et part d'un fonds d'ingratitude qui mène à une cruauté réfléchie.

Un point bien essentiel dans l'ordre des devoirs dont on doit inspirer l'amour aux jeunes gens de la campagne, c'est un zèle actif pour tout ce qui peut concourir à la prospérité de l'agriculture dans la commune dont ils font partie. Loin des jeunes villageois çet égoïsme, cette odieuse personnalité qui les empêche rait de rien voir au delà du cercle étroit de leurs pro pres avantages. Loin de notre jeunesse agricole cetta indifférence stupide qui ne se donne aucun mouvement pour prévenir ou réparer des dégâts auxquels elle se croit étrangère; qui laisse, dans un passage fréquenté, des embarras souvent dangereux dont il serait possible de s'affranchir, soi et les autres, par le sacrifice de quelques minutes. Pour les hommes destinés à commnander, à administrer, la morale est utilement appuyée par l'étude approfondie de l'histoire, mais les connaissances historiques pour un jeune villageois sont nécessairement restreintes par le court espace de temps qu'il peut y donner. Voulez-vous faire naître, affermir en lui l'amour des vertus agricoles ? contentez-vous de lui présenter dans les écoles primaires les traits intéressans de l'histoire ancienne et de notre histoire qui ont un rapport plus direct à l'agriculture. Ajoutez à ces traits historiques la peinture des vénérables patriarches du canton qui, à force d'intelligence, d'industrie et de travail, sont parvenus à défricher des terrains incultes, à fertiliser des terres arides, à améliorer des champs déjà fertiles, recueillir leurs mots pleins de sens, rappeler leurs actions où respirent la charité, l'inviolable probité, le zèle pour le bien public, l'attachement au Souverain légitime, protecteur-né de l'agriculture: imaginer même, s'il n'existait pas, un Socrate rustique

qui, par ses paroles et ses exemples, distribue à seś jeunes compatriotes les leçons de la sagesse agricole qui leur peigne en traits de flamme le calme, la tranquillité dont jouit le bon, l'économe et le sobre labou reur, qui leur apprenne à connaître leur bonheur, et prévienne en eux le désir funeste de quitter leur état paisible, et d'embrasser l'ombre pour la réalité.

Ce serait là une véritable morale en action, à la portée de nos jeunes laboureurs, parfaitement adaptée à leurs besoins, à leurs circonstances, et à laquelle ils s'intéresseraient d'autant plus qu'elle serait plus ana logue à ce qui se passe sous leurs yeux.

Sans enseigner la musique aux élèves des écoles de village, comme cela se pratique dans quelques endroits de l'Allemagne, ne pourrait-on pas les accoutumer à' chanter, sur des airs faciles à retenir, des cantiques qui célébreraient l'amour du travail, l'innocence de la vie champêtre, la grandeur de Dieu dans les merveilles de l'astre qui mûrit nos moissons; les bienfaits de la Providence dans les productions sans cesse renouvelées de l'agriculture, la soumission à la volonté de Dieu qui permet des fléaux destructeurs, l'industrie, la charité donnée à l'homme pour les réparer. Ces cantiques, ces hymnes, à la composition désquels auraient été appelés les plus habiles poëtes, et qui exprimeraient les passages les plus touchans des livres saints relatifs à l'agriculture, remplaceraient bien avantageusement des chansons triviales, insignifiantes ou dangereuses, si elles signifient quelque chose, que frédonne souvent la jeunesse des champs. '

Jusqu'à présent, Messieurs, nous n'avons parlé que de l'éducation morale et intellectuelle, que des moyens de former le cœur et l'esprit des laboureurs. N'aurionsnous rien à ajouter sur l'éducation physique, sur les moyens de donner aux jeunes gens de la force et de l'adresse ? Pour les préceptes de régime et de propreté

sanitaire, pour les précautions conservatrices de la santé et de l'existence, gardez-vous de vous en rappor ter aux leçons paternelles qui ne sont pas toujours données de manière à frapper l'imagination des jeunes gens et à faire sur eux une impression forte et durable; que l'on recueille, qu'on fasse lire dans les écoles primaires, qu'on fasse répéter dans des occasions solennelles quelques maximes d'hygiène, les moyens les plus propres à entretenir la force du corps et à rendre capable de soutenir les plus rudes travaux du labourage; qu'on y indique les mesures à prendre pour éviter les dangers auxquels exposent le maniement des chevaux, la conduite des voitures et le transport des fardeaux.

Quant à l'adresse et à la promptitude des jeunes gens dans les opérations agricoles, voici ce qui peut, à ce qu'il me semble, s'exécuter sans des difficultés insurmontables. Indépendamment des exercices gradués et proportionnés à leur âge auxquels ils ont occasion de se livrer à la maison paternelle, je voudrais qu'un dimanche, après l'office divin, et un examen solennel sur quelques branches de la théorie en agriculture, il y eût des exercices publics pour les opérations agricoles qui exigent de la dextérité; que les jeunes gens, en présence des notables, pussent faire preuve d'habileté dans les différens ouvrages propres aux laboureurs. Je voudrais encore que, dans une pièce de mauvais terrain servant à des expériences, à des essais dont les produits seraient partagés entre les pauvres, ils exécutassent, sous l'inspection des plus habiles agriculteurs de la commune, les travaux nécessaires au labour, aux engrais, à l'emblavement et à la récolte. Qu'y aurait-il de plus propre que ces solennités à attirer leur attention, à les intéresser vivement à leurs progrès, à les familiariser avec ce qu'il y a de plus difficile en agriculture? Quelle occasion plus favorable pour leur rappeler, pour graver dans leur mémoire et

pour transmettre sûrement, à la suite des générations, les moyens d'utiliser le sol le plus ingrat, soit en lui confiant des céréales appropriées à sa nature, soit en y plantant les arbres et les arbustes qui lui conviennent, soit en y semant des prairies artificielles.

Je n'ai pas besoin d'ajouter, Messieurs, que pour le succès complet de l'éducation agricole dont je viens de tracer la faible esquisse, il faudrait qu'il fût décerné à ceux qui en auraient profité, des louanges, des éloges publics, récompenses bien flatteuses pour l'honneur français. Puisse s'établir l'usage que le maire et le curé proclament hautement les noms des jeunes laboureurs ou des manouvriers se destinant au labourage qui auront montré constamment la volonté de bien faire, qui se seront acquittés, à la satisfaction générale, des ouvrages dont ils auront été chargés, qui, à Fintelligence, à l'amour du travail, unissent une probité délicate, un tendre attachement pour leurs parens, un grand zele pour la prospérité agricole de leur commune, le respect pour les vieillards, les égards pour ceux de leur âgé, la bienveillance et la politesse envers tous les hommes ! Puissent leurs noms honorables s'inscrire dans un registre qui passe à la postérité la plus reculée, et tienne ainsi lieu de titre de noblesse aux familles qui auront produit ces enfans vertueux !

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