mité de la philosophie estre dommageable, et riage : voylà pourquoy le plaisir qu'on en tire conseille de ne s'y enfoncer oultre les bornes du ce doibt estre un plaisir retenu, serieux, et meslé proufit; que prinse avec moderation, elle est plai- à quelque severité; ce doibt estre une volupté sante et commode; mais qu'enfin elle rend un aulcunement prudente et consciencieuse. Et parhomme sauvage et vicieux, desdaigneux des re- ce que sa principale fin c'est la generation, il y ligions et loix communes, ennemy de la conver- en a qui mettent en doubte si, lors que nous somsation civile, ennemy des voluptez humaines, mes sans l'esperance de ce fruict, comme quand incapable de toute administration politique, et elles sont hors d'aage ou enceinctes, il est perde secourir aultruy et de se secourir soy mesme, mis d'en rechercher l'embrassement : c'est un hopropreà estre impuneement souffletté. Il dict vray; micide à la mode de Platon'. Certaines nations, car en son excez, elle esclave nostre naturelle et entre aultres la mahumetane, abominent la franchise, et nous desvoye, par une importune conionction avecques les femmes enceinctes; plusubtilité, du beau et plain chemin que nature sieurs aussi avecques celles qui ont leurs flueurs. nous trace. Zenobia ne recevoit son mary que pour une L'amitié que nous portons à nos femmes, elle charge; et cela faict, elle le laissoit courir tout est tres legitime : la theologie ne laisse pas de la le temps de sa conception, luy donnant lors seubrider pourtant et de la restreindre. Il me semble lement loy de recommencero: brave et genereux avoir leu aultrefois chez sainct Thomas', en exemple de mariage. C'est de quelque poëte 3 diun endroict où il condemne les mariages des pa- setteux et affamé de ce deduit, que Platon emrents ez degrez deffendus, cette raison parmy prunta cette narration : Que Iupiter feit à sa les aultres, qu'il y a dangier que l'amitié qu'on femme une si chaleureuse charge un iour, que porte à une telle femme soit immoderee; car si ne pouvant avoir patience qu'elle eust gaigné son l'affection maritale s'y treuve entiere et parfaicte lict, il la versa sur le plancher; et par la vehecomme elle doibt, et qu'on la surcharge encores mence du plaisir, oublia les resolutions grandes de celle qu'on doibt à la parentele, il n'y a point et importantes qu'il venoit de prendre avec les de doubte que ce surcroist n'emporte un tel mary aultres dieux en sa cour celeste; se vantant qu'il hors les barrieres de la raison. l'avoit trouvé aussi bon ce coup là, que lors que Les sciences qui reiglent les mœurs des hom- premierement il la depucella à cachettes de leurs mes, comme la theologie et la philosophie, elles parents. se meslent de tout : il n'est action si privee et Les roys de Perse appelloient leurs femmes à secrette qui se desrobbe de leur cognoissance et la compaignie de leurs festins; mais quand le vin iurisdiction. Bien apprentis sont ceulx qui syn- venoit à les eschauffer en bon escient, et qu'il faldicquent leur liberté : ce sont les femmes qui com- loit tout à faict lascher la bride à la volupté, muniquent tant qu'on veult leurs pieces à gar- les renvoyoient en leur privé, pour ne les faire sonner; à medeciner, la honte le deffend. le participantes de leurs appetits immoderez; et faiveulx donc, de leur part, apprendre cecy aux ma- soient venir en leur lieu des femmes ausquelles ris, s'il s'en treuve encores qui y soient trop ils n'eussent point cette obligation de respect 4. acharnez : c'est que les plaisirs mesmes qu'ils Touts plaisirs et toutes gratifications ne sont pas ont à l'accointance de leurs femmes sont reprou-bien logees en toute sorte de gents. Epaminonvez, si la moderation n'y est observee, et qu'il das avoit faict emprisonner un garson desbauché; y a dequoy faillir en licence et desbordement en Pelopidas le pria de le mettre en liberté en sa ce subiect là, comme en un subiect illegitime. faveur : il l'en refusa, et l'accorda à une sienne Ces encheriments deshontez, que la chaleur garse qui aussi l'en pria; disant, que c'estoit une premiere nous suggere en ce ieu, sont non inde- gratification deue à une amie, non à un capieemment seulement, mais dommageablement em- taine 5. » Sophocles estant compaignon en la preployez envers nos femmes. Qu'elles apprennent ture avecques Pericles, voyant de cas de fortune l'impudence au moins d'une aultre main : elles sont tousiours assez esveillees pour nostre besoing. I Lois, VIII, pag. 912, éd. de Francfort, 1602. C. 2 TRÉBELLIUS POLLION, Triginta tyrann. c. 30. C. le ne m'y suis servy que de l'instruction naturelle 3 Ce poëte est Homère. Voyez l’Iliade, XIV, 294 ; et PLAet simple. TON, République, III, p. 612, éd. de 1602. Voyez aussi BAYLE, C'est une religieuse liaison et devote que le ma à l'article Junon, note 1. C. 4 PLUTARQUE, Préceptes de mariage, c. 14. C. 5 Id. Instruction pour ceulx qui manient affaires d'estat, i Dans la Secunda Secundæ , quæst. 154, art. 9. C. C. 9, trad. d'Amyot. C. ils passer un beau garson : « ( le beau garson que noit du bon temps, et que ce qu'on luy avoit envoylà ! » dict il à Pericles. « Cela seroit bon à un ioinct pour peine luy tournoit à commodité : aultre qu'à un preteur, luy dict Pericles, qui doibt parquoy ils se radviserent de le rappeller prez de avoir non les mains seulement, mais aussi les sa femme et en sa maison, et luy ordonnerent de yeulx chastes '. » Aelius Verus l'empereur respon- s'y tenir, pour accommoder leur punition à son dit à sa femme, comme elle se plaignoit dequoy il ressentiment. Car à qui le ieusne aiguiseroit la se laissoit aller à l'amour d'aultres femmes, « qu'il santé et l'alaigresse, à qui le poisson seroit plus à le faisoit par occasion conscientieuse, d'autant que appetissant que la chair, ce ne seroit plus recepte le mariage estoit un nom d'honneur et dignité, salutaire : non plus qu'en l'aultre medecine, les non de folastre et lascive concupiscence'. » Et drogues n'ont point d'effect à l'endroict de celuy nostre histoire ecclesiastique a conservé avecques qui les prend avecques appetit et plaisir; l'amerhonneur la memoire de cette femme qui repudia tume et la difficulté sont circonstances servants son mary, pour ne vouloir seconder et soustenir à leur operation. Le naturel qui accepteroit la ses attouchements trop insolents et desbordez. rub urbe comme familiere, en corromproit l'usage; Il n'est, en somme, aulcune si iuste volupté en il fault que ce soit chose qui blece nostre estolaquelle l'excez et l'intemperance ne nous soit re- mach pour le guarir : et icy fault la reigle comprochable. mune, que les choses se guarissent par leurs Mais, à parler en bon escient, est ce pas un contraires; car le mal y guarit le mal. miserable animal que l'homme? A peine est il en Cette impression se rapporte aulcunement à son pouvoir, par sa condition naturelle, de gous-cette aultre si ancienne, de penser gratifier au ter un seul plaisir entier et pur; encores se met il ciel et à la nature par nostre massacre et homien peine de le retrencher par discours : il n'est cide, qui feutuniversellement embrassee en toutes pas assez chestif, si par art et par estude il n'aug- religions. Encores du temps de nos peres, Amurat, mente sa misere : en la prinse de l’Isthme, immola six cents ieunes hommes grecs à l'ame de son pere, à fin que ce Fortunæ miseras auximus arte vias 3. sang servist de propitiation à l'expiation des peLa sagesse humaine faict bien sottement l'inge- chez du trespassé. Et en ces nouvelles terres desnieuse, de s'exercer à rabbattre le nombre et la couvertes en nostre aage, pures encores et vierges doulceur des voluptez qui nous appartiennent; au prix des nostres, l'usage en est aulcunement comme elle faict favorablement et industrieuse- receu par tout; toutes leurs idoles s'abbruvent de ment, d'employer ses artifices à nous peigner et sang humain, non sans divers exemples d'horrifarder les maulx, et en alleger le sentiment. Si ble cruauté : on les brusle vifs, et demy rostis i'eusse esté chef de part, i'eusse prins aultre voye on les retire du brasier pour leur arracher le cæur plus naturelle, qui est à dire, vraye, commode et les entrailles; à d'aultres, voire aux femmes, à et saincte; et me feusse peut estre rendu assez fort on les escorche vifves, et de leur peau ainsi sanpour la borner : quoy que nos medecins spirituels glante en revest on et masque d'aultres. Et non et corporels, comme par complot faict entre eulx, moins d'exemples de constance et resolution ; car ne treuvent aulcune voye à la guarison, ny re- ces pauvres gents sacrifiables, vieillards, femmede aux maladies du corps et de l'ame, que par mes, enfants, vont, quelques iours avant, quesle torment, la douleur et la peinc. Les veilles, tants eulx mesmes les aumosnes pour l'offrande les ieusnes, les haires, les exils loingtains et soli- de leur sacrifice, et se presentent à la boucherie, taires, les prisons perpetuelles, les verges, et chantants et dansants avecques les assistants. aultres afflictions, ont esté introduictes pour cela : Les ambassadeurs du roy de Mexico, faisants mais en telle condition, que ce soient veritable-entendre à Fernand Cortez la grandeur de leur ment afflictions, et qu'il y ayt de l'aigreur poi- maistre, aprez luy avoir dict qu'il avoit trente gnante; et qu'il n'en advienne point comme à un vassaulx, desquels chascun pouvoit assembler Gallio 4, lequel ayant esté envoyé en exil en l'isle cent mille combattants, et qu'il se tenoit en la plus de Lesbos, on feut adverty à Rome qu'il s'y don belle et forte ville qui feust soubs le ciel, luy ad . iousterent qu'il avoit à sacrifier aux dieux cin1 CICÉRON, de Officiis, I, 40. C. * SPARTIEN, Verus, c.5. J. V. L. quante mille hommes par an. De vray, ils disent 3 Nous avons travaillé nous-mêmes à augmenter la misère qu'il nourrissoit la guerre avecques certains de notre condition. PROPERCE, III, 7, 44. 4 Sénateur romain exilé pour avoir déplu à Tibère. TACITE, grands peuples voysins, non seulement pour l'exerAnnals, VI, 3. C. cice de la ieunesse du païs, mais principalement 2 pour avoir dequoy fournir à ses sacrifices par prins des presbtres de la ville de Saïs en Aegypte, des prisonniers de guerre. Ailleurs, en certain que iadis et avant le deluge, il y avoit une bourg, pour la bienvenue dudict Cortez, ils sacri- grande isle nommee Atlantide , droict à la boufierent cinquante hommes tout à la fois. Ie diray che du destroict de Gibaltar', qui tenoit plus de encores ce conte : aulcuns de ces peuples ayants païs que l'Afrique et l'Asie toutes deux ensemble; esté battus par luy, envoyerent le recognoistre et que les roys de cette contree là, qui ne poset rechercher d'amitié; les messagers luy presen- sedoient pas seulement cette isle, mais s'estoient terent trois sortes de presents, en cette maniere : estendus dans la terre ferme si avant, qu'ils te«Seigneur, voylà cinq esclaves : si tu es un dieu noient de la largeur d'Afrique iusques en Aegypte, fier, qui te paisses de chair et de sang, mange les, et de la longueur de l’Europe iusques en la Toset nous t'en amerrons davantage; si tu es un dieu cane, cane, entreprinrent d'eniamber iusques sur l'Adebonnaire, voylà de l'encens et des plumes; si sie, et subiuguer toutes les nations qui bordent tu es homme, prens les oyseaux et les fruicts | la mer Mediterranee iusques au golfe de la mer que voycy. » Maiour ? ; et pour cet effect , traverserent les Es paignes, la Gaule, l'Italie, iusques en la Grece, CHAPITRE XXX. où les Atheniens les sousteinrent : mais que Des Cannibales. quelque temps aprez, et les Atheniens, et eulx, et leur isle, feurent engloutis par le deluge. Il Quand le roy Pyrrhus passa en Italie, aprez est bien vraysemblable que cet extreme ravage qu'il eut recogneu l'ordonnance de l'armee que d'eau ayt faict des changements estranges aux les Romains luy envoyoient au devant : « Je ne habitations de la terre, comme on tient que la sçay, dict il, quels barbares sont ceulx cy (car mer a retrenché la Sicile d'avecques l'Italie; les Grecs appelloient ainsi toutes les nations es Hæc loca, vi quondam et vasta convulsa ruina, trangieres), mais la disposition de cette armee que ie veoy n'est aulcunement barbare'. » Au- Dissiluisse ferunt, quum protenus utraque tellus Una foret 3. tant en dirent les Grecs de celle que Flaminius feit passer en leur pass’; et Philippus, voyant Chypre, d'avecques la Surie; l'isle de Negred'un tertre l'ordre et distribution du camp romain, pont, de la terre ferme de la Bæoce; et ioinct en son royaume, soubs Publius Sulpicius Galba 3. | ailleurs les terres qui estoient divisees, comVoylà comment il se fault garder de s'attacher blant de limon et de sable les fosses d'entre aux opinions vulgaires, et les fault iuger par la deux : , voye de la raison, non par la voix commune. Sterilisque diu palus, aptaque remis, l'ay eu long temps avecques moy un homme Vicinas urbes alit, et grave sentit aratrum 4. qui avoit demeuré dix ou douze ans en cet aul- Mais il n'y a pas grande apparence que cette tre monde qui a esté descouvert en nostre siecle, isle soit ce monde nouveau que nous venons de en l'endroict où Villegaignon print terre , qu'il descouvrir : car elle touchoit quasi l'Espaigne, “ 5 surnomma la France antartique. Cette descou et ce seroit un effect incroyable d'inondation, verte d'un païs infiny semble estre de considera- de l'en avoir reculée comme elle est , de plus de tion. le ne sçay si ie me puis respondre qu'il ne douze cents lieues; oultre ce que les navigations s'en face à l'advenir quelque aultre, tant de des modernes ont desia presque descouvert que personnages plus grands que nous ayants esté ce n'est point une isle, ains terre ferme et contitrompez en cette cy. I'ay peur que nous ayons les nente avecques l'Inde orientale d'un costé, et yeulx plus grands que le ventre, et plus de curio- avecques les terres qui sont soubs les deux poles sité que nous n'avons de capacité : nous embras 7 I Ou Gibraltar, comme nous disons aujourd'hui. Nicot sons tout , mais nous n'estreiguons que du vent. met l'un et l'autre. C. Platon 5 introduict Solon racontant avoir ap- 2 Qu'on nomme à présent la mer Noire. C. 3 Autrefois ces terres n'étaient, dit-on, qu'un même conI PLUTARQUE, Vie de Pyrrhus, C. 8, trad. d'Amyot. C. tinent; par un violent effort, l'onde en fureur les sépara. * Id. Vie de Flaminius, c. 3. Mais Montaigne altère un Virg. Énéide, III, 414 sq. peu le récit de l'historien. C. 4 Un marais longtemps stérile, et traversé par les rames, 3 TITE-LIVE, XXXI, 34. C. connait maintenant la charrue, et nourrit les villes voisines. 4 Au Brésil, où il arriva en 1557. Voyez BAYLE, au mot HOR. Art poétique, 6, 65. Villegaignon. 5 Platon ne dit rien de semblable. On trouve aussi dans 5 Dans le Timée. On trouve la traduction de tout ce récit les phrases suivantes quelques erreurs géographiques répandans les Pensées de Platon, seconde édition, page 381. J. dues sans doute par les premiers voyageurs qui parcourureut V.L. le nouveau monde. J. V. L. > 7 pas d'aultre part; ou si elle en est separee, que c'est et grossier, qui est une condition propre à rend'un si petit destroict et intervalle, qu'elle ne dre veritable tesmoignage; car les fines gents merite d'estre nommee isle pour cela. regardent bien plus curieusement et plus de Il semble qu'il y aye des mouvements, na- choses, mais ils les glosent; et pour faire vaturels les uns, les aultres fiebvreux, en ces loir leur interpretation, et la persuader, ils ne grands corps comme aux nostres. Quand ie con- se peuvent garder d'alterer un peu l'histoire : sidere l'impression que ma riviere de Dourdoigne | ils ne vous representent iamais les choses pufaict, de mon temps, vers la rive droicte de sa res; ils les inclinent et masquent selon le visage descente, et qu'en vingt ans elle a tant gaigné, qu'ils leur ont veu; et pour donner credit et desrobbé le fondement à plusieurs bastiments, à leur iugement et vous y attirer, prestent voie veoy bien que c'est une agitation extraordi- lontiers de ce costé là à la matiere, l'alongent naire; car si elle feust tousiours allee ce train, et l'amplifient. Ou il fault un homme tres fiou deust aller à l'advenir, la figure du monde delle, ou si simple, qu'il n'ayt pas dequoy basseroit renversee : mais il leur prend des chan- tir et donner de la vraysemblance à des invengements; tantost elles s'espandent d'un costé, tions faulses, et qui n'ayt rien espousé. Le mien tantost d'un aultre, tantost elles se contiennent. estoit tel; et oultre cela, il m'a faict veoir à le ne parle pas des soubdaines inondations de- diverses fois plusieurs matelots et marchands quoy nous manions les causes. En Medoc, le qu'il avoit cogneus en ce voyage : ainsi ie me long de la mer, mon frere, sieur d’Arsac, veoid contente de cette information, sans m'enquerir une sienne terre ensepvelie soubs les sables que de ce que les cosmographes en disent. Il nous la mer vomit devant elle; le faiste d'aulcuns fauldroit des topographes qui nous feissent parbastiments paroist encores : ses rentes et domai- ration particuliere des endroicts où ils ont esté . nes se sont eschangez en pasquages bien mai- mais pour avoir cet advantage sur nous d'avoir gres. Les habitants disent que, depuis quelque veu la Palestine, ils veulent iouyr du privilege temps, la mer se poulse si fort vers eulx, qu'ils de nous conter des nouvelles de tout le demouont perdu quatre lieues de terre. Ces sables rant du monde. Ie vouldroy que chascun escrisont ses fourriers; et veoyons de grandes mont- vist ce qu'il sçait, et autant qu'il en sçait, non ioyes d'arene mouvante, qui marchent d'une en cela seulement, mais en touts aultres subdemie lieue devant elle, et gaignent païs. iects : car tel peult avoir quelque particuliere L'aultre tesmoignage de l'antiquité auquel science ou experience de la nature d'une riviere on veult rapporter cette descouverte, est dans ou d'une fontaine, qui ne sçait au reste que ce Aristote, au moins si ce petit livret des Mer- que chascun sçait; il entreprendra toutesfois, veilles inouyes est à luy. ll raconte là que cer- pour faire courir ce petit loppin, d'escrire toute tains Carthaginois s'estants iectez au travers de la physique. De ce vice sourdent plusieurs granla mer Atlantique, hors le destroict de Gibal- des incommoditez. tar, et navigé long temps, avoient descouvert Or ie treuve, pour revenir à mon propos, enfin une grande isle fertile, toute revestue de qu'il n'y a rien de barbare et de sauvage en bois, et arrousée de grandes et profondes ri- cette nation, à ce qu'on m'en a rapporté, sivieres, fort esloingnee de toutes terres fermes; et non que chascun appelle barbarie ce qui n'est qu’eulx, et aultres depuis, attirez par la bonté pas de son usage. Comme de vray nous n'avons et fertilité du terroir, s'y en allerent avecques aultre mire de la verité et de la raison, que leurs femmes et enfants, et commencerent à s'y l'exemple et idee des opinions et usances de habituer. Les seigneurs de Carthage, voyants païs où nous sommes; là est tousiours la parque leur pais se despeuploit peu à peu, feirent faicte religion, la parfaicte police, le parfaict et deffense expresse, sur peine de mort, que nul accomply usage de toutes choses. Ils sont saun'eust plus à aller là; et en chasserent ces nou- vages, de mesme que nous appellons sauvages veaux habitants, craignants, à ce qu'on dict, les fruicts que nature de soy et de son progrez que par succession de temps ils ne veinssent ordinaire a produicts; tandis qu'à la verité ce à mutiplier tellement, qu'ils les supplantassent sont ceulx que nous avons alterez par nostre eulx mesmes et ruinassent leur estat. Cette nar- artifice, et destournez de l'ordre commun, que ration d'Aristote n'a non plus d'accord avecques nous debvrions appeller plustost sauvages : en nos terres ncufves. ceux là sont vifves et vigoreuses les vrayes et Cet homme que i'avois, estoit homme simple plus utiles et naturelles vertus et proprietez: 3 lesquelles nous avons abbastardies en ceulx | maintenir avecques si peu d'artifice et de soucy, les accommodants au plaisir de nostre goust deure humaine. « C'est une nation, diroy ie à corrompu; et si pourtant, la saveur mesme et Platon, en laquelle il n'y a aulcune espece de delicatesse se treuve, à nostre goust mesme, traficque, nulle cognoissance de lettres, nulle excellente, à l'envi des nostres, en divers fruicts science de nombres, nul nom de magistrat ny de ces contrees là, sans culture. Ce n'est pas de superiorité politique, nul usage de service, de raison que l'art gaigne le poinct d'honneur sur richesse ou de pauvreté, nuls contracts, nulles nostre grande et puissante mere nature. Nous successions, nuls partages, nulles occupations avons tant rechargé la beaulté et la richesse de qu’oysifves, nul respect de parenté que commun, ses ouvrages par nos inventions, que nous l'avons nuls vestements, nulle agriculture, nul metal, du tout estouffee : si est ce que partout où sa nul usage de vin ou de bled; les paroles mesmes pureté reluict, elle faict une merveilleuse honte qui signifient le mensonge, la trahison, la disà nos vaines et frivoles entreprinses '. simulation, l'avarice, l'envie, la detraction, le Et veniunt hederæ sponte sua melius; pardon, inouyes, » Combien trouveroit il la repuSurgit et in solis formoşior arbutus antris; blique qu'il a imaginee, esloingnee de cette per fection! (Viri a diis receptes '.] Et volucres nulla dulcius arte canunt ?. Touts nos efforts ne peuvent seulement arriver à Hos natura modos primum dedit 2. representer le nid du moindre oyselet, sa contex- Au demourant, ils vivent en une contree de ture, sa beaulté, et l'utilité de son usage; non païs tres plaisante et bien temperee : de façon pas la tissure de la chestifve araignee. qu'à ce que m'ont dit mes tesmoings, il est rare Toutes choses, dict Platon, sont produictes d'y veoir un homme malade; et m'ont asseuré ou par la nature, ou par la fortune, ou par n'en y avoir veu aulcun tremblant, chassieux, l'art : les plus grandes et plus belles, par l'une esdenté, ou courbé de vieillesse. Ils sont assis ou l'aultre des deux premieres; les moindres et le long de la mer, et fermez du costé de la imparfaictes, par la derniere. terre de grandes et haultes montaignes, ayants, Ces nations me semblent doncques ainsi barba- entre deux, cent lieues ou environ d'estendue res pour avoir receu fort peu de façon de l'es- en large. Ils ont grande abondance de poisson prit humain, et estre encores fort voysines de et de chairs qui n'ont aulcune ressemblance aux leur naïfveté originelle. Les loix naturelles leur nostres; et les mangent sans aultre artifice que commandent encores, fort peu abbastardies par de les cuyre. Le premier qui y mena un cheval, les nostres; mais c'est en telle pureté, qu'il me quoy qu'il les eust practiquez à plusieurs aulprend quelquesfois desplaisir dequoy la cog- tres voyages, leur feit tant d'horreur en cette noissance n'en soit venue plustost, du temps assiette, qu'ils le tuerent à coups de traicts, qu'il y avoit des hommes qui en eussent sceu avant que le pouvoir recognoistre. Leurs basmieulx juger que nous : il me desplaist que Ly-timents sont fort longs, et capables de deux curgus et Platon ne l'ayent eue; car il me sem- ou trois cents ames, estoffez d'escorce de grands ble que ce que nous veoyons par experience en arbres, tenants à terre par un bout, et se sousces nations là surpasse non seulement toutes les tenants et appuyants l'un contre l'aultre par le peintures dequoy la poësie a embelly l'aage faiste, à la mode d'aulcunes de nos granges, doré, et toutes ses inventions à feindre une desquelles la couverture pend iusques à terre et heureuse condition d'hommes, mais encores la sert de flancq. Ils ont du bois si dur qu'ils en conception et le desir mesme de la philosophie : couppent, et en font leurs espees et des grils à ils n'ont peu imaginer une naïfveté si pure et cuyre leur viande. Leurs licts sont d'un tissu de simple comme nous la veoyons par experience; cotton, suspendus contre le toict comme ceulx ny n'ont peu croire que nostre societé se peust de nos navires, à chascun le sien; car les fem mes couchent à part des maris. Ils se levent J. J. Rousseau a sans doute puisé dans ces réfexions de Montaigne le célèbre morceau qui commence l'Émile : « Tout avec le soleil, et mangent soubdain apres s'estre est bien, sortant des mains de l'Auteur des choses; tout dégénère entre les mains de l'homme, etc. » A. D. ! Voilà des hommes qui sortent de la main des dieux. St· Le lierre aime à croitre sans culture; l'arbousier n'est NÈQUE, Ép. 90. Cette citation ne se trouve que dans l'exemjamais plus beau que dans les antres solitaires ; le chant des plaire dont s'est servi Naigeon. Montaigne la supprima peutoiseaux est plus doux sans le secours de l'art. PROPERCE, I, être à cause de la suivante. J. V. L. 2, 10 sq. 2 Telles furent les premières lois de la nature. Virg. Géorg, 3 Lois, x, pag. 347, édit. de 1802. J. V. L. II, 20. MONTAIGNE. 7 |