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Un juge qui ne restera qu'un mois dans une ville, qui se trouvera éloigné de tout ce qui peut le contraindre, pourra ne pas résister à la séduction. Ainsi donc l'ambulance est contraire à l'intérêt de la justice; je dis ensuite qu'elle est contraire à l'intérêt des justiciables. Les contestations étant jugées par arrêt, il est important, pour leurs affaires et leur fortune, de mettre des entraves aux demandes en cassation; c'est un remède extraordinaire, dont l'emploi doit être très-rare, et dont on ne doit pas faire une ressource journalière; sans cela il serait un troisième degré de juridiction ordinaire. Il est un moyen d'ouvrir aux pauvres la facilité de recourir à la cassation, c'est d'interdire toute sollicitation personnelle. Il ne faut pas croire que cette loi fût illusoire, elle est en usage en Hollande, et s'exécute très-sévèrement. Il y aurait un second moyen qui est employé à Nancy et en Touraine : je me réserve de vous l'expliquer. Je conclus à ce que les juges du tribunal de cassation soient permanens.

M. Goupil de Préfeln. Montesqueu a dit que le pouvoir judiciaire était le plus terrible de tous les pouvoirs entre les hommes. Il peut en effet attaquer la loi, il peut attaquer la liberté. Anéantir un jugement, ce n'est pas juger! ainsi, la cassation n'est pas une partie du pouvoir judiciaire, mais une émanation du pouvoir légistatif. C'est par rapport à l'ordre judiciaire, un hors-d'œuvre, une espèce de commission extraordinaire du corps législatif, chargé de réprimer la rébellion contre la volonté générale de la loi. Des magistrats sont rebelles à la loi quand ils jugent contre la loi. Ce tribunal doit-il être unique? Oui. C'est le seul moyen de ramener à l'unité les différens tribunaux. Si vous avez un tribunal permanent, toutes les convenances annoncent qu'il sera fixé dans la capitale. Ne craignez-vous pas qu'il se fasse une coalition avec les ministres? ne craignez-vous pas que la cour plénière ne se réalise? ne craignez vous pas que ce ne soit une. arme contre la révolution? ne craignez-vous pas qu'un jour on n'essaie de substituer ce tribunal au corps législatif? Le pauvre qui aura obtenu un jugement en dernier ressort se verra obligé de renoncer à son droit, parce qu'il ne pourra suivre le riche

ils

hors de ses foyers! Si au contraire les juges sont ambulans, seront pour ainsi dire comme la Providence qui est présente dans tous les lieux. On vous dit que vous introduirez un nouveau degré de juridiction. Qui, si vous ne définissez pas l'objet de la cassation; si vous souffrez que ce tribunal usurpe la justice et rende un jugement: mais vous déterminerez le cas, l'unique cas de la cassation. Il consiste à réformer le jugement par lequel on aura contrevenu à la loi. Il semble qu'on vous présente des juges courant continuellement par toute la France; je propose des magistrats séant quatre-vingts jours dans le même lieu. Ainsi, qu'on se déshabitue de ces exagérations inutiles. On dit qu'il se présentera des causes importantes, des causes qui devront être jugées sur des coutumes locales. Ce n'est pas cela: telle loi existe; elle est conçue en ces termes; tel jugement a-t-il contrevenu à cette loi? Voilà le jugement en cassation. Il est nécessaire de conserver, de remonter sans cesse le ressort de la justice; il faut réparer sans cesse le palais auguste de la législation. Ce moyen a manqué jusqu'à présent à toutes les nations modernes : vous pouvez vous le procurer, en adoptant le plan que je vais vous

soumettre.

I. Il sera établi une cour de cassation composée de quatre-vingttrois juges, dont un sera élu dans chaque département, parmi les citoyens domiciliés dans ce département.

II. Elle sera divisée en huit sections, dont cinq seront composées de dix juges, et trois de onze, en attribuant à chacune des sections un nombre de départemens égal à celui des juges.

III. Chacune des sections siégera alternativement dans deux villes, assignées, pour cet effet, dans l'étendue du territoire donné à la section.

IV. Les séances des sections se tiendront depuis le 1er mars jusqu'au 19 mai, et depuis le 25 mai jusqu'au 14 août.

V. Les demandes en cassation seront faites par une simple requête.

VI. Dans tout arrêt de cassation, on référera en entier la loi qui aura été violée.

VII.Les sections recevront, pendant le cours de leurs séances, les plaintes sur les abus commis dans l'administration de la justice, il en sera dressé procès verbal.

VIII. Toutes les sections se rassembleront à Paris le 1er décembre et pendant trois mois, pour examiner les lois qui auront souffert des contraventions, et au sujet desquelles il y aura eu des cassations des jugemens souverains; le nombre des cassations sera indiqué. La cour de cassation fera des remarques et observations sur les lois, et désignera les augmentations, suppressions et changemens qu'elle jugera nécessaire de faire à ces lois. Ce travail contiendra aussi les abus dont chaque section aura eu connaissance. Il sera présenté à la législature.]

SÉANCE DU MARDI 23 MAI.

[ M. Mougins de Roquefort. Le tribunal de cassation sera-t-il permanent ou se divisera-t-il en sections? Telle est la question qui nous est soumise. Mon opinion particulière m'entraîne vers la dernière proposition. Autrefois on allait au-devant de la justice, elle va venir au contraire établir son temple au milieu de nous, Pour mieux faire sentir la force des principes, j'entrerai dans des détails particuliers. Que l'on interroge celui qui, sous l'ancien régime, venait former une demande en cassation; il aban→ donnait ses affaires, .sa femme, ses enfans; et même en gagnant sa cause son triomphe lui devenait funeste: qu'était-ce donc pour celui qui avait le malheur de succomber? L'ambulance remédiera à cet inconvénient. Combien ne sera-t-elle pas favorable pour le pauvre qui, ne pouvant faire ni de longs voyages, ni de grandes dépenses, se trouve obligé de souffrir les vexations, les usurpations de l'homme opulent? Si vous établissez des sections, les juges se transporteront sous les yeux des plaideurs, et ramèneront ces temps heureux des grandes assises, tant préconisés dans l'histoire. Il n'y aura plus de distinctions, de riches et de pauvres: tous les intérêts seront mis dans la balance. Il me semble voir le peuple se prosterner sur le passage de ces hommes institués pour faire rendre à chacun. ce qui lui appar

tient, et les bénir comme des dieux. Quelques-uns des préopinans ont prétendu que l'intérêt de la justice exige la permanence. Il serait bien impolitique de déclarer permanent un tribunal qui aura nécessairement beaucoup d'autorité; ce serait vouloir faire renaître la Cour plénière. Mais, dit-on, la justice serait mal rendue; on ne parviendrait pas à trouver des juges, puisqu'ils seraient obligés de renoncer à leurs plus chères habitudes. Eh! ne voyons-nous pas de braves militaires s'arracher du sein de leur famille, traverser les mers pour servir leur patrie! Pourquoi ne trouverions-nous pas des hommes pour un état bien moins périlleux? Tous les bons citoyens s'empresseront de faire des sacrifices pour leur patrie, et ils examineront moins les inconvéniens des places que le devoir de les remplir. D'après ces réflexions je conclus que le tribunal doit être composé de sections ambulantes.

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M. de Robespierre. Pour découvrir les règles de l'organisation de la Cour de cassation, il faut se former une idée juste de ses fonctions et de son objet. Elle ne jugera pas sur le fond des procès. Uniquement établie pour défendre la loi et la constitution, nons devons la considérer, non comme une partie de l'ordre judiciaire, mais comme placée entre le législateur et la loi rendue, pour réparer les atteintes qu'on pourrait lui porter. Il est dans la nature que tout individu, que tout corps qui a du pouvoir, se serve de ce pouvoir pour augmenter ses prérogatives; il est certain que le tribunal de cassation pourra se faire une volonté indépendante du corps-législatif, et s'élever contre la constitution. Ces idées m'ont conduit à adopter une maxime romaine qui pourrait paraître paradoxale, et dont vous reconnaîtrez sans doute la vérité: ‹ Aux législateurs appartient le pouvoir de veiller au maintien des lois. Cette maxime était rigoureusement observée. Quand il y avait quelque obscurité, les lois romaines ne voulaient pas que les juges se permissent aucune interprétation, dans la crainte qu'ils n'élevassent leur volonté au-dessus de la volonté des législateurs. D'après ces réflexions, j'ai pensé que vous ne trouveriez pas étrange qu'on vous proposât de ne pas

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former de tribunal de cassation distinct du corps-législatif, mais de le placer dans ce corps même. On objectera que vous avez distingué les pouvoirs, et que vous confondriez le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif; mais un tribunal de cassation n'est point un tribunal judiciaire. On objectera encore la durée des sessions, mais vous n'avez pas encore décrété cette durée; mais on le pourrait, sans inconvéniens, si les affaires publiques, si la liberté, l'exigeaient. Mon avis est donc que le tribunal de cassation soit établi dans le sein du corps-législatif, et qu'un comité soit chargé de l'instruction et de faire le rapport à l'assemblée qui décidera.

M. Tronchet. Tous les opinans n'ont envisagé la question que sous un rapport très-peu étendu. Il faut examiner les fonctions du tribunal qui va être établi, pour lui donner un titre analogue, Je ne l'appellerai ni tribunal de cassation, ni tribunal de révision, mais Cour suprême. Cette cour doit-elle être ambulante ou sédentaire? L'ambulance a, dans ce cas, les mêmes inconvéniens que pour les juges ordinaires. L'ambulance de la Cour suprême occasionnera des frais considérables: cette Cour ambulante ne pourra même remplir les fonctions qui lui seront confiées, et qui consistent dans les réglemens de compétence, les demandes en évocation pour cause de parenté ou autres, les prises à partie des Cours supéricures ou des juges, le rapport au roi des lettres de grâce, les révisions en matière criminelle, le jugement deş contestations en contrariété d'arrêt. Il n'y a pas de raison pour attribuer à telle ou telle section le rapport des lettres de grâce, les réglemens des juges, les demandes en contrariété d'arrêt,

Quant aux autres fonctions, il se présente d'autres inconvé niens: 1° il faudrait que l'instruction et le jugement se fissent dans le même lieu et par les mêmes défenscurs; la cassation ne serait qu'un troisième degré de juridiction; 2° suspendrez-vous l'instruction pendant l'ambulance des sections? ne sera-t-il pas nécessaire que les mêmes juges instruisent et rendent les jugemens? ne faudra-t-il pas toujours les mêmes formes et les mêmes

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