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effroyables? Les Francs étoient amis des Romains, eux qui, après les avoir assujettis par leurs armes, les opprimèrent de sang-froid par leurs loix? Ils étoient amis des Romains, comme les Tartares, qui conquirent la Chine, étoient amis des Chinois.

Si quelques évêques catholiques ont voulu se servir des Francs pour détruire des rois Arriens, s'ensuit-il qu'ils aient desiré de vivre sous des peuples barbares? En peut-on conclure que les Francs eussent des égards par ticuliers pour les Romains? J'en tirerois bien d'autres conséquences: plus les Francs furent sûrs des Romains, moins ils les ménagèrent.

Mais l'abbé Dubos a puisé dans de mauvaises sources pour un historien, les poëtes et les orateurs ce n'est point sur des ouvrages d'ostentation qu'il faut fonder des systêmes.

CHAPITRE I V.

Comment le droit romain se perdit dans le pays du domaine des Francs, et se conserva dans lè pays du domaine des Goths et des Bourguignons.

LES Les choses que j'ai dites donneront du jour à d'autres qui ont été jusqu'ici pleines d'obscurités.

Le pays qu'on appelle aujourd'hui la France, fut gouverné, dans la première race, par la loi romaine ou le code Théodosien, et par les diverses loix des barbares (1) qui y habitoient.

Dans le pays du domaine des Francs, la loi salique étoit établie pour les Francs, et le code (2) Théodosien pour les Romains. Dans celui du domaine des Wisigoths, une compilation du code Théodosien, faite par l'ordre d'Alaric (3), régla les différends des Romains; les coutumes de la nation, qu'Euric (4) fit rédiger par écrit, décidèrent ceux des Wisigoths. Mais pourquoi les loix saliques acquirent-elles une autorité presque générale dans

(1) Les Francs, les Wisigoths et les Bourguignons. (2) Il fut fini l'an 438.

(3) La vingtième année du règne de ce prince, et publiée deux ans après par Anien, comme il paroît par la préface de ce code.

(4) L'an 504 de l'ère d'Espagne : chronique d'Isidore,

les pays des Francs? Et pourquoi le droit romain s'y perdit-il peu-à-peu, pendant que, dans le domaine des Wisigoths, le droit romain s'étendit, et eut une autorité générale ?

Je dis que le droit romain perdit son usage chez les Francs, à cause des grands avantages qu'il y avoit à être Franc (1), barbare, ou homme vivant sous la loi salique; tout le monde fut porté à quitter le droit romain, pour vivre sous la loi salique. Il fut seulement retenu par les ecclésiastiques (2), parce qu'ils n'eurent point d'intérêt à changer. Les différences des conditions et des rangs ne consistoient que dans la grandeur des compositions, comme je le ferai voir ailleurs. Or, des loix (3) particulières leur donnèrent des compositions aussi favorables que celles qu'avoient les Francs: ils gardèrent donc le droit romain. Ils n'en recevoient aucun préjudice; et il leur conve

(1) Francum aut barbarum, aut hominem qui salicâ lege vivit: loi salique, tit. 445, §. 1.

(2) Selon la loi Romaine sous laquelle l'église vit, est-il dit dans la loi des Ripuaires, tit. 58, §. 1. Voyez aussi les autorités sans nombre là-dessus, rapportées par M. Ducange, au mot Lex Romana.

(3) Voyez les capitulaires ajoutés à la loi salique dans Lindembroch, à la fin de cette loi, et des divers codes des loix des barbares, sur les privilèges des ecclésiastiques à cet égard. Voyez aussi la lettre de Charlemagne à Pepin, son fils, roi d'Italie, de l'an 807, dans l'édit. de Baluze, tome I, p. 452, où il est dit qu'un ecclésiastique doit recevoir une composition.triple; et le recueil des capitu

noit d'ailleurs, parce qu'il étoit l'ouvrage des empereurs chrétiens.

D'un autre côté, dans le patrimoine des Wisigoths, la loi wisigothe (1) ne donnant aucun avantage civil aux Wisigoths sur les Romains, les Romains n'eurent aucune raison de cesser de vivre sous leur loi pour vivre sous une autre : ils gardèrent donc leurs loix et ne prirent point celles des Wisigoths.

Ceci se confirme à mesure qu'on va plus avant. La loi de Gondebaud fut très-impartiale et ne fut pas plus favorable aux Bourguignons qu'aux Romains. Il paroît, par le prologue de cette loi, qu'elle fut faite pour les Bourguignons, et qu'elle fut faite encore pour régler les affaires qui pourroient naître entre les Romains et les Bourguignons; et dans ce dernier cas, le tribunal fut mi-parti. Cela étoit nécessaire pour des raisons particulières, tirées de l'arrange ment (2) politique de ces temps-là. Le droit romain subsista dans la Bourgogne, pour régler les différends que les Romains pourroient avoir entre eux. Ceux-ci n'eurent point de raison pour quitter leur loi, comme ils en eurent dans le pays des Francs; d'autant mieux que loi salique n'étoit point établie en Bourgogne, comme il paroît par la fameuse lettre qu'Agobard écrivit à Louis le débonnaire,

(1) Voyez cette loi.

la

(2) J'en parlerai ailleurs, liv. XXX, ch. VI, VII, VIII et IX.

Agobard

Agobard (1) demandoit à ce prince d'établir la loi salique dans la Bourgogne: elle n'y étoit donc pas établie. Ainsi le droit romain subsista et subsiste encore dans tant de provinces qui dépendoient autrefois de ce royaume.

Le droit romain et la loi gothe se maintinrent de même dans le pays de l'établissement des Goths: la loi salique n'y fut jamais reçue. Quand Pepin et Charles-Martel en chassèrent les Sarrasins, les villes et les provinces qui se soumirent à ce prince (2) demandèrent à conserver leurs loix, et l'obtinrent: ce qui, malgré l'usage de ces temps-là où toutes les loix étoient personnelles, fit bientôt regarder le droit romain comme une loi réelle et territoriale dans ces pays.

Cela se prouve par l'édit de Charles-le-Chauve, donné à Pistes l'an 864, qui (3) distingue les pays dans lesquels on jugeoit par le droit romain, d'avec ceux où l'on n'y jugeoit pas.

(2) Voyez Gervais de Tilburi, dans le recueil de Duchesne, tome III, p. 366: Factâ pactione cum Francis, quòd illic Gothi patriis legibus, moribus paternis vivant. Et sic Narbonensis provincia Pippino subjicitur. Et une chronique de l'an 759, rapportée par Catel, hist. du Languedoc. Et l'auteur incertain de la vie de Louis-le-Débonnaire, sur la demande faite par les peuples de la Septimanie, dans l'assemblée in Carisiaco, dans le recueil de Duchesne, tome II, p. 316.

(3) In illâ terrâ in quâ judicia secundùm legem Roma-* nam terminantur, secundùm ipsam legem judicetur; et in illâ terrâ in quâ, &c. art. 16. Voyez aussi l'art. 20.

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