Page images
PDF
EPUB

connoissoient assez bien l'intérieur, et très-mal les côtes.

J'ai dit que des Phéniciens, envoyés par Nécho et Eudoxe sous Ptolomée-Lature, avoient fait le tour de l'Afrique : il faut bien que, du temps de Ptolomée le géographe, ces deux navigations fussent regardées comme fabuleuses, puisqu'il place', depuis le sinus magnus, qui est, je crois, le golfe de Siam, une terre inconnue, qui va d'Asie en Afrique aboutir au promontoire Prassum; de sorte que la mer des Indes n'auroit été qu'un lac. Les anciens, qui reconnurent les Indes par le nord, s'étant avancés vers l'orient, placèrent vers le midi cette terre inconnue.

les Romains, avoient eues avec les peuples d'Afrique, des alliances qu'ils avoient contractées, du commerce qu'ils avoient fait dans les terres. (M.) 1. Liv. VII, ch. III. (M.)

CARTHAGE ET MARSEILLE.

1

Carthage avoit un singulier droit des gens; elle faisoit noyer tous les étrangers qui trafiquoient en Sardaigne et vers les colonnes d'Hercule. Son droit politique n'étoit pas moins extraordinaire; elle défendit aux Sardes de cultiver la terre, sous peine de la vie. Elle accrut sa puissance par ses richesses, et ensuite ses richesses par sa puissance. Maîtresse des côtes d'Afrique que baigne la Méditerranée, elle s'étendit le long de celles de l'Océan. Hannon, par ordre du sénat de Carthage, répandit trente mille Carthaginois depuis les colonnes d'Hercule jusqu'à Cerné. Il dit que ce lieu est aussi éloigné des colonnes d'Hercule que les colonnes d'Hercule le sont de Carthage. Cette position est très-remarquable; elle fait voir qu'Hannon borna ses établissements au vingt-cinquième degré de latitude nord, c'est-à-dire deux ou trois degrés au delà des îles Canaries, vers le sud.

Hannon étant à Cerné, fit une autre navigation, dont l'objet étoit de faire des découvertes plus avant vers le midi. Il ne prit presque aucune connoissance du continent. L'étendue des côtes qu'il suivit fut de vingt-six

1. Eratosthène, dans Strabon, liv. XVII, p. 802. (M.)

2. Ce commencement de chapitre n'est pas dans A. B.

jours de navigation, et il fut obligé de revenir faute de vivres. Il paroit que les Carthaginois ne firent aucun usage de cette entreprise d'Hannon. Scylax1 dit qu'au delà de Cerné la mer n'est pas navigable, parce qu'elle y est basse, pleine de limon et d'herbes marines: effectivement il y en a beaucoup dans ces parages. Les marchands carthaginois dont parle Scylax pouvoient trouver des obstacles qu'Hannon, qui avoit soixante navires de cinquante rames chacun, avoit vaincus. Les difficultés sont relatives; et de plus, on ne doit pas confondre une entreprise qui a la hardiesse et la témérité pour objet, avec ce qui est l'effet d'une conduite ordinaire.

:

4

C'est un beau morceau de l'antiquité que la relation d'Hannon le même homme qui a exécuté, a écrit ; il ne met aucune ostentation dans ses récits. Les grands capitaines écrivent leurs actions avec simplicité, parce qu'ils sont plus glorieux de ce qu'ils ont fait que de ce qu'ils ont dit.

Les choses sont comme le style. Il ne donne point dans le merveilleux tout ce qu'il dit du climat, du terrain, des mœurs, des manières des habitants, se rapporte à ce qu'on voit aujourd'hui dans cette côte d'Afrique; il semble que c'est le journal d'un de nos navigateurs.

Hannon remarqua 5 sur sa flotte que le jour il régnoit

1. Voyez son Périple, article de Carthage. (M.)

2. Voyez Hérodote, in Melpomene, IV, XLIII, sur les obstacles que Sataspe trouva. (M).

3. Voyez les cartes et les relations, le premier volume des Voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, part. I, p. 201. Cette nerbe couvre tellement la surface de la mer, qu'on a de la peine à voir l'eau et les vaisseaux ne peuvent passer à travers que par un vent frais. (M.)

4. A. B. avec les choses d'une conduite ordinaire.

5. Pline, H. N., V, 1, nous dit la même chose en parlant du mont Atlas :

dans le continent un vaste silence; que la nuit on entendoit les sons de divers instruments de musique; et qu'on voyoit partout des feux, les uns plus grands, les autres moindres. Nos relations confirment ceci : on y trouve que le jour ces sauvages, pour éviter l'ardeur du soleil, se retirent dans les forêts; que la nuit ils font de grands feux pour écarter les bêtes féroces; et qu'ils aiment passionnément la danse et les instruments de musique.

Hannon nous décrit un volcan avec tous les phénomènes que fait voir aujourd'hui le Vésuve; et le récit qu'il fait de ces deux femmes velues qui se laissèrent plutôt tuer que de suivre les Carthaginois, et dont il fit porter les peaux à Carthage, n'est pas, comme on l'a dit, hors de vraisemblance 1.

Cette relation est d'autant plus précieuse, qu'elle est un monument punique; et c'est parce qu'elle est un monument punique, qu'elle a été regardée comme fabuleuse. Car les Romains conservèrent leur haine contre les Carthaginois, même après les avoir détruits. Mais ce ne fut que la victoire qui décida s'il falloit dire la foi punique ou la foi romaine.

2

Des modernes ont suivi ce préjugé. Que sont devenues, disent-ils, les villes qu'Hannon nous décrit, et dont, même du temps de Pline, il ne restoit pas le moindre vestige? Le merveilleux seroit qu'il en fût resté. Étoit-ce Corinthe ou Athènes qu'Hannon alloit bâtir sur ces côtes? Il laissoit, dans les endroits propres au commerce, des familles

Noctibus micare crebis ignibus, tibiarum cantu tympanorumque sonitu strepere, neminem interdiu cerni. (M.)

1. Suivant toute apparence c'étaient deux gorilles.

2. M. Dodwel. Voyez sa Dissertation sur le Périple d'Hannon. (M.) L'opinion de Dodwel n'est pas isolée; l'authenticité du Périple est loin d'être prouvée.

carthaginoises; et, à la hâte, il les mettoit en sûreté contre les hommes sauvages et les bêtes féroces. Les calamités des Carthaginois firent cesser la navigation d'Afrique; il fallut bien que ces familles périssent, ou devinssent sauvages. Je dis plus; quand les ruines de ces villes subsisteroient encore, qui est-ce qui auroit été en faire la découverte dans les bois et dans les marais? On trouve pourtant dans Scylax et dans Polybe, que les Carthaginois avoient de grands établissements sur ces côtes. Voilà les vestiges des villes d'Hannon; il n'y en a point d'autres, parce qu'à peine y en a-t-il d'autres de Carthage même 1.

Les Carthaginois étoient sur le chemin des richesses : et, s'ils avoient été jusqu'au quatrième degré de latitude nord, et au quinzième de longitude, ils auroient découvert la côte d'Or et les côtes voisines. Ils y auroient fait un commerce de toute autre importance que celui qu'on y fait aujourd'hui, que l'Amérique semble avoir avili les richesses de tous les autres pays ils y auroient trouvé des trésors qui ne pouvoient être enlevés par les Romains.

On a dit des choses bien surprenantes des richesses de l'Espagne. Si l'on en croit Aristote, les Phéniciens qui abordèrent à Tartèse 3 y trouvèrent tant d'argent que leurs navires ne pouvoient le contenir, et ils firent faire de ce. métal leurs plus vils ustensiles. Les Carthaginois, au rapport de Diodore, trouvèrent tant d'or et d'argent dans les Pyrénées, qu'ils en mirent aux ancres de leurs navires.

1. A. B. Parce qu'il n'y en a point d'autres de Carthage même. 2. Des choses merveilleuses. (M.)

3. A. B. Tartesse.

4. Liv. VI. (M.) L'auteur cite le sixième livre de Diodore, et ce sixième livre n'existe pas. Diodore au cinquième parle des Phéniciens et non pas des Carthaginois. (VOLTAIRE.)

« PreviousContinue »