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NOTICE

SUR LA MOTHE.

ANTOINE HOUDART DE LA MOTHE naquit à Paris le 17 janvier 1672. Un esprit facile, agréable, mais trop souvent sophistique, caractérisoit le talent de cet auteur. Dans ses ouvrages, dont le genre est extrêmement varié, il montra des ressources d'invention; mais on y remarqua un défaut de vérité qui, malgré le goût dominant du dix-huitieme siecle, les empêcha presque tous de survivre à celui qui les avoit composés. L'appli cation des théories paradoxales de cet auteur influa sur son caractere, sur ses écrits, et sur le goût même du siecle, qui ne parut point en accueillir les résultats: un coup-d'œil sur la vie de La Mothe et sur ses différentes productions suffira pour le prouver. Après avoir abandonné l'état d'avocat auquel ses parens le destinoient, La Mothe se livra à son goût pour l'art dramatique: n'osant encore travailler pour le théâtre françois,

il fit une petite piece qui fut représentée à la comédie italienne. Le jugement sévere du public dessilla les yeux du jeune homme: une chûte humiliante à un théâtre où l'on ne jouoit alors que des farces, et où les succès étoient aussi faciles que peu honorables, détruisit toutes les espérances de l'auteur, éteignit pour le moment un desir de gloire trop prématuré, et plongea La Mothe dans le plus affreux désespoir : il se retira à la Trappe pour y cacher sa honte. L'austérité de l'ordre respectable auquel il s'étoit attaché ne pouvoit long-tems convenir à un jeune poëte qui avoit goûté les plaisirs du monde, que le dépit avoit pu en détacher momentanément, mais à qui de longs malheurs n'en avoient pas fait sentir les dégoûts tardifs.

Il revint à Paris où il essaya d'obtenir, en marchant sur les traces de Quinault, les succès qui lui avoient été refusés à la comédie italienne. Ses tentatives furent heureuses; et les opéra de l'Europe galante et d'Issé le firent connoître avantageusement. Ses nouveaux triomphes lui firent croire qu'il avoit un talent marqué pour la poé

sie lyrique. A cette époque, J. B. Rousseau donnoit ses plus belles odes; ce genre, qui avoit été un peu négligé dans le siecle précédent, ouvroit une carriere neuve aux poëtes qui pourroient y obtenir de la supériorité : Rousseau s'y étoit distingué; et les connoisseurs s'accordoient tous à le considérer comme le digne successeur de nos grands poëtes. La Mothe, dont le premier espoir avoit été rempli par des succès dans l'art dramatique, voulut aussi acquérir de la gloire dans un genre qui étoit alors fort à la mode, mais auquel malheureusement son talent ne pouvoit se prêter que très difficilement. Il fit paroître un volume d'odes que quelques amis eurent l'air de préférer à celles de Rousseau : les bons critiques, en y remarquant de l'esprit et de la raison, n'y trouverent ni cette poésie harmonieuse, ni ces images, ni ces mouvemens impétueux, ni ce beau désordre qui doivent caractériser l'ode; ils n'y virent que quelques moralités, quelques pensées ingénieuses rendues en vers souvent durs et prosaïques.

Pendant cette lutte des amis de La Mothe et

des admirateurs de Rousseau, la mort de Thomas Corneille fit vaquer une place à l'académie françoise. Les deux rivaux se la disputerent: les petits moyens d'intrigue, les insinuations flatteuses et adroites d'un homme d'esprit l'empor terent sur les titres respectables d'un homme de génie. La Mothe fut nommé; et le juste dépit de Rousseau lui attira cette multitude d'ennemis dont les calomnies le forcerent quelques années après à quitter la France.

Depuis long-tems La Mothe, honoré de toutes les dignités littéraires, vouloit prouver qu'il en étoit digne en méritant dans l'art des Corneille et des Racine les palmes qu'il avoit obtenues sur le théâtre de Quinault. Comme ses succès lui avoient fait un grand nombre d'ennemis, il sentit que cette entreprise n'étoit pas sans danger: il résolut de garder d'abord l'anonyme, et de ne se faire connoître que lorsque le sort desa pieceseroit assuré. Les Machabées, dans lesquels on remarqua une action vive et rapide, des situations pathétiques, et de profondes combinaisons, réussirent au-delà des espérances dupoëte. Son secret

fut si bien gardé pendant les premieres repré sentations que personne ne se douta qu'il en fût l'auteur; le bruit courut même que cette tragédie étoit un ouvrage posthume de Racine. On ne peut attribuer cette conjecture qu'à l'adresse de La Mothe qui avoit peut-être fait répandre ce bruit, ou à l'une de ces méprises grossieres où tombe quelquefois le public, lorsqu'il ne juge un ouvrage que sur quelques fausses apparences. Les imitations fréquentes des passages de l'Ecriture qui se trouvent dans les Machabées avoient pu donner lieu à cette opinion, qui ne peut cependant se soutenir après le moindre examen. Quelle différence en effet entre le style de La Mothe et celui de Racine! Pour que le lecteur puisse en juger, je citerai un des passages les plus brillans des Machabées où l'on trouve quelques idées tirées de la Bible. Salmonée parle à Antiochus:

Nos prophetes nous ont annoncé nos disgraces,
Le tonnerre vengeur confirmoit leurs menaces;
Nous avons vu vingt fois au milieu des éclairs
Des combats obstinés ensanglanter les airs.

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