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DES PEUPLES SAUVAGES ET DES PEUPLES BARBARES.

Il y a cette différence entre les peuples sauvages et les peuples barbares, que les premiers sont de petites nations dispersées, qui, par quelques raisons particulières, ne peuvent pas se réunir; au lieu que les barbares sont ordinairement de petites nations qui peuvent se réunir. Les premiers sont ordinairement des peuples chasseurs; les seconds, des peuples pasteurs. Cela se voit bien dans le nord de l'Asie. Les peuples de la Sibérie ne sauroient vivre en corps, parce qu'ils ne pourroient se nourrir ; les Tartares peuvent vivre en corps pendant quelque temps, parce que leurs troupeaux peuvent être rassemblés pendant quelque temps. Toutes les hordes peuvent donc se réunir; et cela se fait lorsqu'un chef en a soumis beaucoup d'autres; après quoi, il faut qu'elles fassent de deux choses l'une qu'elles se séparent, ou qu'elles aillent faire quelque grande conquête dans quelque empire du Midi.

DU DROIT DES GENS

CHEZ LES PEUPLES QUI NE CULTIVENT POINT

LES TERRES.

Ces peuples, ne vivant pas dans un terrain limité et circonscrit, auront entre eux bien des sujets de querelle; ils se disputeront la terre inculte, comme parmi nous les citoyens se disputent les héritages. Ainsi ils trouveront de fréquentes occasions de guerre pour leurs chasses, pour leurs pêches, pour la nourriture de leurs bestiaux, pour l'enlèvement de leurs esclaves; et, n'ayant point de territoire, ils auront autant de choses à régler par le droit des gens qu'ils en auront peu à décider par le droit civil1.

1. Inf., XVIII, XXVI.

DES LOIS CIVILES

CHEZ LES PEUPLES QUI NE CULTIVENT POINT

LES TERRES.

C'est le partage des terres qui grossit principalement le code civil. Chez les nations où l'on n'aura pas fait ce partage, il y aura très-peu de lois civiles.

On peut appeler les institutions de ces peuples des maurs plutôt que des lois1.

Chez de pareilles nations, les vieillards, qui se souviennent des choses passées, ont une grande autorité; on n'y peut être distingué par les biens, mais par la main et par les conseils.

Ces peuples errent et se dispersent dans les pâturages ou dans les forêts. Le mariage n'y sera pas aussi assuré que parmi nous, où il est fixé par la demeure, et où la femme tient à une maison; ils peuvent donc plus aisément changer de femmes, en avoir plusieurs, et quelquefois se mêler indifféremment comme les bêtes.

Les peuples pasteurs ne peuvent se séparer de leurs troupeaux, qui font leur subsistance; ils ne sauroient non plus se séparer de leurs femmes, qui en ont soin. Tout

1. Ce sont les sauvages de l'Amérique que décrit l'auteur. 2. Ce sont les Tartares et les Arabes. Inf., ch. xix.

cela doit donc marcher ensemble; d'autant plus que vivant ordinairement dans de grandes plaines, où il y a peu de lieux forts d'assiette, leurs femmes, leurs enfants, leurs troupeaux deviendroient la proie de leurs ennemis.

Leurs lois régleront le partage du butin, et auront, comme nos lois saliques1, une attention particulière sur les vols.

1. Montesquieu dit les lois saliques, les lois bourguignonnes, pour désigner la lex salica ou la lex burgundionum. Il dit indifféremment la loi salique ou les lois saliques, considérant le recueil que nous possédons comme une partie seulement de ces anciennes coutumes. V. inf., ch. xx; XXVIII, 1, et XXX, xix, passim.

DE L'ÉTAT POLITIQUE DES PEUPLES

QUI NE CULTIVENT POINT LES TERRES.

Ces peuples jouissent d'une grande liberté : car, comme ils ne cultivent point les terres, ils n'y sont point attachés; ils sont errants, vagabonds; et si un chef vouloit leur ôter leur liberté, ils l'iroient d'abord chercher chez un autre, ou se retireroient dans les bois pour y vivre avec leur famille. Chez ces peuples, la liberté de l'homme est si grande, qu'elle entraîne nécessairement la liberté du citoyen'.

1. Il ne faut pas parler de citoyens là où il n'y a ni cité ni État. Il ne faut point non plus parler de liberté, au sens que donnent à ce mot les peuples civilisés. La liberté des sauvages, c'est le droit d'errer dans les bois et les plaines, au risque d'y mourir de faim. On trouve chez eux la famille, quelquefois même la tribu; mais comparer leur indépendance à la liberté civile des peuples qui forment des États, c'est rapprocher des choses qui n'ont rien de commun. Un sauvage, qui peut tout faire, est cent fois moins libre qu'un Anglais protégé par les lois de son pays.

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