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CHAPITRE VI.

Que dans la Monarchie les Miniftres ne doivent pas juger.

C'Eft encore un grand inconvénient

dans la Monarchie, que les Miniftres du Prince jugent eux-mêmes les affaires contentieufes. Nous voyons encore aujour d'hui des Etats où il y a des Juges fans nombre pour décider les affaires fifcales, & où les Miniftres, qui le croiroit! veulent encore les juger. Les réflexions viennent en foule, je ne ferai que celle-ci.

Il y a par la nature des chofes, une espece de contradiction entre le Confeil du Monarque & fes Tribunaux. Le Confeil des Rois doit être compofé de peu de perfonnes, & les Tribunaux de judicature en demandent beaucoup. La raifon en eft, que dans le premier on doit prendre les affaires avec une certaine paffion & les fuivre de même; ce qu'on ne peut guere efpérer que de

quatre ou cinq hommes qui en font leur affaire. Il faut au contraire des Tribunaux de judicature de fang-froid & à qui toutes les affaires foient en quelque façon indiffé

rentes.

CHAP. VII

CHAPITRE VII.

UN

Du Magifirat unique.

N tel Magiftrat ne peut avoir lieu que dans le Gouvernement defpotique. On voit dans l'hiftoire Romaine à quel point un Juge unique peut abufer de fon pouvoir. Comment Appius fur fon Tribunal n'auroitil pas méprifé les loix, puifqu'il viola même celle qu'il avoit faite (u)? Tite-Live nous apprend l'inique diftinction du Décemvir. Il avoit apofté un homme qui réclamoit devant lui Virginie comme fon efclave; les parens de Virginie lui demanderent qu'en vertu de fa loi on la leur remît jufqu'au jugement définitif. Il déclara que fa loi n'avoit été faite qu'en faveur du pere; & que Virginius étant abfent, elle ne pouvoit avoir d'application (x).

CHAPITRE VIII.

Des accufations dans les divers Gouvernemens.

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Rome (y), il étoit permis à un citoyen d'en accufer un autre ; cela étoit établi felon l'efprit de la République, où chaque citoyen doit avoir pour le bien pu-, (u) Voyez la Loi II, §. 24. ff. de orig. jur.

(x) Quòd pater puella abeffet, locum injuriæ effe ratus. Tite-Live, Décade 1. Liv. IIÏ.

(y) Et dans bien d'autres cités.

Tome I.

L

blic un zele fans bornes, où chaque citoyen eft censé tenir tous les droits de la patrie dans fes mains. On fuivit fous les Empereurs les maximes de la République ; & d'abord on vit paroître un genre d'hommes funestes, une troupe de délateurs. Quiconque avoit bien des vices & bien des talens, une ame bien baffe & un efprit ambitieux, cherchoit un criminel dont la condamnation pût plaire au Prince; c'étoit la voie pour aller aux honneurs & à la fortune (¿), chose que nous ne voyons point parmi nous.

Nous avons aujourd'hui une loi admirable; c'eft celle qui veut que le Prince établi pour faire exécuter les loix, prépofe un Officier dans chaque Tribunal, pour pourfuivre en fon nom tous les crimes: de forte que la fonction des délateurs eft inconnue parmi nous; & fi ce vengeur public étoit foupçonné d'abuser de fon miniftere, on l'obligeroit de nommer fon dénonciateur.

Dans les loix de Platon (a) ceux qui négligent d'avertir les Magiftrats, ou de leur donner du fecours doivent être punis. Cela ne conviendroit point aujourd'hui. La partie publique veille pour les citoyens; elle agit & ils font tranquilles.

() Voyez dans Tacite les récompenses accordées à ces délateurs. (a) Liv. IX.

CHAPITRE IX.

De la févérité des peines dans les divers Gou

L

vernemens.

A févérité des peines convient mieux au Gouvernement defpotique, dont le Prince eft la terreur, qu'à la Monarchie & à la République, qui ont pour reffort l'hon neur & la vertu.

Dans les Etats modérés l'amour de la patrie, la honte & la crainte du blâme, font des motifs réprimans, qui peuvent arrêter bien des crimes. La plus grande peine d'une mauvaise action, fera d'en être convaincu. Les loix civiles y corrigeront donc plus aifément & n'auront pas befoin de tant de force.

Dans ces Etats un bon légiflateur s'attachera moins à punir les crimes, qu'à les prévenir; il s'appliquera plus à donner des mceurs, qu'à infliger des fupplices.

C'est une remarque perpétuelle des auteurs Chinois (b), que plus dans leur Empire on voyoit augmenter les fupplices, plus la révolution étoit prochaine. C'est qu'on augmentoit les fupplices à mesure qu'on manquoit de moeurs.

Il feroit aifé de prouver que, dans tous

(b) Je ferai voir dans la fuite que la Chine à cet égard At dans le cas d'une République ou d'une Monarchie.

ou prefque tous les Etats de l'Europe, les peines ont diminué ou augmenté à mesure qu'on s'eft plus approché ou plus éloigné de la liberté.

Dans les pays defpotiques on eft fi malheureux que l'on y craint plus la mort qu'on ne regrette la vie; les fupplices y doivent donc être plus rigoureux. Dans les Etats modérés, on craint plus de perdre la vie qu'on ne redoute la mort en elle-même ; les fupplices qui ôtent fimplement la vie y font donc fuffifans.

Les hommes extrêmement heureux & les hommes extrêmement malheureux, f ,font également portés à la dureté: témoins les Moines & les Conquérans. Il n'y a que la médiocrité & le mêlange de la bonne & de la mauvaife fortune, qui donnent de la douceur & de la pitié.

Ce que l'on voit dans les hommes en particulier, fe trouve dans les diverfes nations. Chez les peuples fauvages qui menent une vie très-dure & chez les peuples des Gouvernemens defpotiques où il n'y a qu'un homme exorbitamment favorifé de la fortune, tandis que tout le refte en eft outragé, on eft également cruel. La douceur regne dans les Gouvernemens modérés.

Lorfque nous lifons dans les hiftoires les exemples de la juftice atroce des Sultans, nous fentons avec une espece de douleur les maux de la nature humaine.

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