Page images
PDF
EPUB

somme; mais Dion dit qu'elle était de cent mille ses sterces (a).

La loi Voconienne était faite pour régler les richesses, et non pas pour régler la pauvreté; aussi Cicéron nous dit-il (b) qu'elle ne statuait que sur ceux qui étaient inscrits dans le cens.

Ceci fournit un prétexte pour éluder la loi. On sait que les Romains étaient extrêmement formalistes ; et nous avons dit ci-dessus que l'esprit de la république était de suivre la lettre de la loi. Il y eut des pères qui ne se firent point inserire dans le cens, pour pouvoir laisser leur succession à leur fille; et les préteurs jugèrent qu'on ne violait point la loi Voconienne, puisqu'on n'en violait point la lettre.

Un certain Anius Asellus avait institué sa fille unique héritière. Il le pouvait, dit Cicéron, la loi Voconienne ne l'en empêchait pas, parce qu'il n'était point dans le cens (b). Verrès, étant préteur, avait privé la fille de la succession: Cicéron soutient que Verrès avait été corrompu, parce que, sans cela, il n'aurait point interverti un ordre que les autres préteurs avaient suivi.

Qu'étaient donc ces citoyens qui n'étaient point dans le cens qui comprenait tous les citoyens?

(a) Cum lege Voconia mulieribus prohiberetur ne qua majorem centum nullibus nummum hæreditatem posset adire, lib. LVI.

(b) QUI CENSUS ESSET. Harangue II contre Verrès.

(c) CENSUS NON ERAT. Ibid.

Mais, selon l'institution de Servius Tullius, rapportée par Denys d'Halicarnasse (a), tout citoyen qui ne se faisait point inscrire dans le cens était fait esclave. Cicéron lui-même dit qu'un tel homme perdait la liberté (b); Zonare dit la même chose, Il fallait donc qu'il y eût de la différence entre n'être point dans le cens selon l'esprit de la loi Voconienne, et n'être point dans le cens selon l'esprit des institutions de Servius Tullius.

Ceux qui ne s'étaient point fait inscrire dans les cinq premières classes, où l'on était placé selon la proportion de ses biens (c), n'étaient point dans le cens selon l'esprit de la loi Voconnienne ceux qui n'étaient point inscrits daus le nombre des six classes, ou qui n'étaient point mis par les censeurs au nombre de ceux que l'on appelait œrarü, n'étaient point dans le cens suivant les institutions de Servius Tullius. Telle était la force de la nature, que des pères, pour éluder la loi Voconnienne, consentaient à souffrir la honte d'être confondus dans la sixième classe avec les prolétaires et ceux qui étaient taxés pour leur tête, ou peut-être même à être renvoyés dans les tables des Cérites (d).

Nous avons dit que la jurisprudence des Romains n'admettait point les fidéi-commis. L'es

(a) Liv. IV. (b) In oratione pro Cœcinna.

(c) Ces cinq premières classes étaient si considérables, que quelquefois les auteurs n'en rapportent que cinq. (d) In Cæritum tabulas referri ; ærarius fieri.

pérance d'éluder la loi Voconienne les introdui șit; on instituait un héritier capable de recevoir par la loi, et on le priait de remettre la succession à une personne que la loi en avait exclue. Cette nouvelle manière de disposer eut des effets bien différens. Les uns rendirent l'hérédité; et l'action de Sextus Peduceus (a) fut remarquable. On lui donna une grande succession; il n'y avait personne dans le monde que lui qui sût qu'il était prié de la remettre. Il alla trouver la veuve du testateur et lui donna tout le bien de son mari.

Les autres gardèrent pour eux la succession ; et l'exemple de P. Sextilius Rufus fut célèbre encore, parce que Cicéron l'emploie dans ses disputes contre les Epicuriens (b).« Dans ma jeu→ nesse, dit-il, je fus prié par Sextilius de l'accom pagner chez ses amis pour savoir d'eux s'il devait remettre l'héridité de Quintus Fadius Gallus à Fadia sa fille. Il avait assemblé plusieurs jeunes gens avec de très-graves personnages; et aucun ne fut d'avis qu'il donnât plus à Fadia que ce qu'elle devait avoir par la loi Voconienne. Sextilius eut là une grande succession, dont il n'aurait pas retenu un sesterce s'il avait préféré ce qui était juste et honnête à ce qui était utile. Je puis croire, ajoute-t-il, que vous auriez rendu l'hérédité; je puis croire même qu'Epicure l'aurait (a) Cicéron, DE FINIB, BON. ET MAL. lib. II. (b) Ibid.

rendue; mais vous n'auriez pas suivi vos prin-.. cipes. » Je ferai ici quelques réflexions.

que

C'est un malheur de la condition, humaine les législateurs soient obligés de faire des lois qui combattent les sentimens naturels même : telle fut la loi Voconienne. C'est que les législateurs statuent plus sur la société que sur le citoyen, et sur le citoyen que sur l'homme. La loi sacrifiait et le citoyen et l'homme, et ne pensait qu'à la république. Un homme priait son ami de remettre sa succession à sa fille : la loi méprisait, dans le testateur, les sentimens de la nature, elle méprisait, dans la fille, la piété filiale; elle n'avait aucun égard pour celui qui était chargé de remettre l'hérédité, qui se trouvait dans de terribles circonstances. La remettait-il? il était un mauvais citoyen; la gardait-il? il était un malhonnête homme. Il n'y avait que les. gens d'un bon naturel qui pensassent à éluder la loi ; il n'y avait que les honnêtes gens qu'on pût choisir pour l'éluder; car c'est toujours un triomphe à remporter sur l'avarice et les voluptés, et il n'y a que les honnêtes gens qui obtiennent ces sortes de triomphes. Peut-être même y aurait-il de la rigneur à les regarder en cela comme de mauvais citoyens. Il n'est pas impossible que le législateur eût obtenu une grande partie de son objet, lorsque sa loi était telle qu'elle ne forçait que les honnêtes gens à l'éluder.

Dans le temps que l'on fit la loi Voconienne

les mœurs avaient conservé quelque chose de leur ancienne pureté. On intéressa quelquefois la conscience publique en faveur de la loi, et l'on fitjurer qu'on l'observerait (a): de sorte que la probité faisait, pour ainsi dire, la guerre à la probité. Mais, dans les derniers temps, les mœurs se corrompirent au point que les fidéi-commis durent avoir moins de force pour éluder la loi Voconienne que cette loi n'en avait pour se faire suivre.

Les guerres civiles firent périr un nombre infini de citoyens. Rome, sous Auguste, se trouva presque déserte : il fallait la repeupler. On fit les lois pappiennes, où l'on n'omit rien de ce qui pouvait encourager les citoyens à se marier et à avoir des enfans (b). Un des principaux moyens fut d'augmenter, pour ceux qui se prêtaient aux vues de la loi, les espérances de succéder, et de les diminuer pour ceux qui s'y refuseraient; et comme la loi Voconienne avait rendu les femmes incapables de succéder, la loi pappienne fit, dans de certains cas, cesser cette prohibition.

Les femmes (c), surtout celles qui avaient des enfans, furent rendues capables de recevoir en vertu du testament de leurs maris; elles purent, quand elles avaient des enfans, recevoir en vertu du testament des étrangers; tout cela contre la

(a) Sextilius disait qu'il avait juré de l'observer. CICERON, de finib, boni et mali, liv. II.

(b) Voyez ce que j'en ai dit au liv. XXIII, chap. xxi. (c) Voyez sur ceci les fragm. d'Ulpien, tit. XV, § 16.

« PreviousContinue »