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seur est déclaré par le prince lui-même, ou par ses ministres, ou par une guerre civile. Ainsi cet état a une raison de dissolution de plus qu'une monarchie.

Chaque prince de la famille royale ayant une égale capacité pour être élu, il arrive que celui qui monte sur le trône fait d'abord étrangler ses frères, comme en Turquie; ou les fait aveugler, comme en Perse; ou les rend fous, comme chcz le Mogol; ou, si l'on ne prend point ces précautions, comme à Maroc, chaque vacance de trône est suivie d'une affreuse guerre civile.

Par les constitutions de Moscovie (a), le czar peut choisir qui il veut pour son successeur, soit dans sa famille, soit hors de sa famille. Un tel établissement de succession cause mille révolutions, et rend le trône aussi chancelant que la succession est arbitraire. L'ordre de succession étant une des choses qu'il importe le plus au peuple de savoir, le meilleur est celui qui frappe le plus les yeux, comme la naissance et un certain ordre de naissance. Une telle disposition arrête les brigues, étouffe l'ambition; on ne captive plus l'esprit d'un prince faible, et l'on ne fait point parler les mourans.

et

Lorsque la succession est établie par une loi fondamentale, un seul prince est le successeur, ses frères n'ont aucun droit réel ou apparent de lui disputer la couronne. On ne peut présumer (a) Voyez les différentes constitutions, surtout celle de 1722.

ni faire valoir une volonté particulière du père, Il n'est donc pas plus question d'arrêter ou de faire mourir le frère du roi que quelque autre su jet que ce soit.

vaux,

Mais, dans les états despotiques, où les frères du prince sont également ses esclaves et ses rila prudence veut que l'on s'assure de leurs personnes, surtout dans les pays mahométans, où la religion regarde la victoire ou le succès comme un jugement de Dieu; de sorte que personne n'y est souverain de droit, mais seulement de fait.

L'ambition est bien plus irritée dans des états où des princes du voient sang s'ils ne monque, tent pas sur le trône, ils seront enfermés ou mis à mort, que parmi nous, où les princes du sang jouissent d'une condition qui, si elle n'est pas si satisfaisante pour l'ambition, l'est peut-êire plus pour les désirs modérés.

Les princes des états despotiques ont toujours abusé du mariage (1). Ils prennent ordinairement plusieurs femmes, surtout dans la partie du monde où le despotisme est, pour ainsi dire, naturalisé, qui est l'Asie. Ils en ont tant d'enfans, qu'ils ne peuvent guère avoir d'affection pour eux, ni ceux-ci pour leurs frères.

La famille régnante ressemble à l'état ; trop faible, et son chef est trop

elle est

fort; elle paraît

(1) La polygamie de fait est le partage des puissans. Ce n'est

pas le despotisme, c'est la corruption qui le produit.

étendue; et elle se réduit à rien. Artaxerxès (a) fit mourir tous ses enfans pour avoir conjuré contre lui. Il n'est pas vraisemblable que cinquante enfans conspirent contre leur père, et encore moins qu'ils conspirent parce qu'il n'a pas voulu céder sa concubine à son fils aîné. Il est plus simple de croire qu'il y a là quelque intrigue de ces sérails d'orient, de ces lieux où l'artifice, la méchanceté, la ruse, règnent dans le silence, et se couvrent d'une épaisse nuit; où un vieux prince, devenu tous les jours plus imbécille, est le premier prisonnier du palais.

Après tout ce que nous venons de dire, il semblerait que la nature humaine se soulèverait sans cesse contre le gouvernement despotique; mais, malgré l'amour des hommes pour la liberté, malgré leur haine contre la violence, la plupart des peuples y sont soumis : cela est aisé à comprendre. Pour former un gouvernement moderé, il faut combiner les puissances, les régler, les tempérer, les faire agir, donner, pour ainsi dire, un lest à l'une pour la mettre en état de résister à une autre; c'est un chef-d'œuvre de législation que le hasard fait rarement, et que rarement on laisse faire à la prudence. Un gouvernement despotique, au contraire, saute, pour ainsi dire, aux yeux; il est uniforme partout : comme il ne faut que des passions pour l'établir, tout le monde est pour cela.

bon

(a) Voyez Justin.

CHAPITRE XV.

Continuation du même sujet.

Dans les climats chauds, où règne ordinairement le despotisme, les passions se font plutôt sentir, et elles sont aussi plutôt amorties ( a ) ; l'esprit y est plus avancé ; les périls de la dissipation des biens y sont moins grands; il y a moins de facilité de se distinguer, moins de commerce entre les jeunes gens renfermés dans la maison; on s'y marie de meilleure heure ; on y peut donc être majeur plutôt que dans nos climats d'Europe. En Turquie la majorité commence à quinze ans (b).

La cession des biens n'y peut avoir lieu. Dans un gouvernemeut où personne n'a de fortune assurée, on prête plus à la personne qu'aux biens. Elle entre naturellement dans les gouvernemens modérés ( c ), et sortout dans les républiques, à cause de la plus grande confiance que l'on doit avoir dans la probité des citoyens, et de la douceur que doit inspirer une forme de gouvernement que chacun semble s'être donnée lui-même.

(a) Voyoz le livre des Lois, dans le rapport avec la nature du climat.

(b) La Guilletière, Lacédémone ancienne et nouvelle, p. 463. (c) Il en est de même des atermoiemens dans les banqueroutes de bonne foi.

Si, dans la république romaine, les législateurs avaient établi la cession de biens (a), on ne serait pas tombé dans tant de séditions et de discordes civiles, et l'on n'aurait point essuyé les dangers des maux, ni les périls des remèdes.

La pauvreté et l'incertitude des fortunes dans les états despotiques y naturalisent l'usure, chacun augmentant le prix de son argent à proportion du péril qu'il y a à le prêter. La misère vient donc de toutes parts dans ces pays malheureux; tout y est ôté, jusqu'à la ressource des emprunts.

Il arrive de là qu'un marchand n'y saurait faire un grand commerce; il vit au jour la journée: s'il se chargeait de beaucoup de marchandises, il perdrait plus par les intérêts qu'il donnerait pour les payer qu'il ne gagnerait sur les marchandises. Aussi les lois sur le commerce n'y ont-elles guère de lieu; elles se réduisent à la simple police.

Le gouvernement ne saurait être injuste sans avoir des mains qui exercent ces injustices or il est impossible que ces mains ne s'emploient pour elles-mêmes. Le péculat est donc naturel dans les états despotiques.

con

Ce crime y étant le crime ordinaire, les fiscations y sont utiles. Par là on console le peuple; l'argent qu'on en tire est un tribut considé

(a) Elle ne fut établie que par la loi Julia, DE CESSIONE BONORUM. On évitait la prison, et la cession de biens n'était pas ignominieuse. Cod. liv. II, tit. XII.

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