Page images
PDF
EPUB

« Celui que j'ai perdu, le premier que j'aimais

[ocr errors]
[ocr errors]

Emporta mes amours; qu'il les garde à jamais,

Qu'il les garde avec lui sous la funèbre pierre.

Elle dit : et des pleurs inondent sa paupière.

Anna répond: «< O sœur plus chère que le jour, « Veux-tu donc dans le deuil te flétrir sans retour, « Renoncer à Vénus, au doux titre de mère? « Les morts exigent-ils cette douleur amère?

« Sans doute ta fierté ne pouvait consentir

<< A prendre un autre époux dans Carthage ou dans Tyr, << Iarbe ou l'un des rois de la terre africaine :

<< Mais que sert de combattre un amour qui t'enchaîne?

[ocr errors]

Songes-tu quels voisins entourent tes états?

« D'un côté le Gétule indomptable aux combats,

<< Les Numides courant sur leurs chevaux sans bride;

« De l'autre des déserts que brûle un ciel aride,

« Le sauvage Barca, repaire du lion.

<«< Enfin ne crains-tu pas Tyr et Pygmalion?

« Va, c'est la main des dieux, c'est Juron qui, sans doute,

<< Des vaisseaux de Pergame ont dirigé la route.

[ocr errors]

Quelle ville, ô ma sœur, quel règne glorieux

Conjugio tali! Teucrum comitantibus armis,
Punica se quantis attollet gloria rebus!
Tu modo posce deos veniam: sacrisque litatis,
Indulge hospitio, causasque innecte morandi;
Dum pelago desævit hiems, et aquosus Orion,
Quassatæque rates, dum non tractabile cœlum.
His dictis incensum animum inflammavit amore,
Spemque dedit dubiæ menti, solvitque pudorem.

Principio delubra adeunt, pacemque per aras Exquirunt : mactant lectas de more bidentes Legiferæ Cereri, Phoeboque, patrique Lyæo; Junoni ante omnes, cui vincla jugalia curæ. Ipsa, tenens dextra pateram, pulcherrima Dido Candentis vaccæ media inter cornua fundit : Aut ante ora deum pingues spatiatur ad aras, Instauratque diem donis, pecudumque reclusis Pectoribus inhians, spirantia consulit exta.

Heu! vatum ignara mentes! quid vota furentem,

[ocr errors]
[ocr errors]

<< Naîtront de ton hymen avec ce fils des dieux!

Songe à quel avenir Carthage est destinée,

<< Si son peuple s'allie aux compagnons d'Énée.

Hâte-toi, porte aux dieux tes vœux et ton encens,

<< Comble ces étrangers de tes soins caressans, << Invente des délais pour rompre leur voyage, << Prétexte leurs vaisseaux fracassés par l'orage, « Les signes pluvieux levés à l'horizon,

<< Et la mer indomptable en cette âpre saison ». Ces mots brûlent Didon d'une flamme plus vive; Elle espère, et bannit une pudeur craintive.

D'abord, auprès des dieux, les malheureuses sœurs
D'un calme qui les fuit vont chercher les douceurs.
Le sang des brebis fume, offert en sacrifice
A Bacchus, à Cérès sainte législatrice,

A Phébus, à Junon qui préside à l'hymen.
L'éblouissante reine, une coupe à la main,
L'élève vers les cieux, et le vin pur s'épanche
Sur le front incliné d'une génisse blanche.
Elle assiége les dieux par des dons solennels,
De victimes sans nombre engraisse les autels,

Quid delubra juvant? est mollis flamma medullas

Interea, et tacitum vivit sub pectore vulnus.
Uritur infelix Dido, totaque vagatur

Urbe furens: qualis conjecta cerva sagitta,

Quam procul incautam nemora inter Cresia fixit
Pastor agens telis, liquitque volatile ferrum

Nescius; illa fuga silvas saltusque peragrat
Dictæos hæret lateri letalis arundo.

Nunc media Ænean secum per moenia ducit,
Sidoniasque ostentat opes, urbemque paratam:
Incipit effari, mediaque in voce resistit.

Nunc eadem, labente die, convivia quærit,
Iliacosque iterum demens audire labores
Exposcit, pendetque iterum narrantis ab ore.
Post, ubi digressi, lumenque obscura vicissim
Luna premit, suadentque cadentia sidera somnos,
Sola domo mæret vacua, stratisque relictis

Incubat : illum absens absentem auditque videtque; Aut gremio Ascanium, genitoris imagine capta, Detinet, infandum si fallere possit amorem.

Non coepta assurgunt turres; non arma juventus Exercet; portusve, aut propugnacula bello

Et, la bouche entr'ouverte, immobile d'attente,
Consulte l'avenir dans leur chair palpitante.
O pouvoir des devins! ò science d'erreurs !
Quel autel peut guérir l'amour et ses fureurs?
Dans la moelle des os la flamme s'insinue;

Rongée au fond du cœur d'une plaie inconnue,
Elle erre dans les murs de sa vaste cité.

Ainsi, quand un pasteur dans les bois de Dicté
Décochant au hasard ses traits au vol agile,
A blessé dans le flanc une biche tranquille;
Tandis qu'insoucieux il poursuit son chemin,
Sans plus songer au dard échappé de sa main,
Elle fuit, à travers les bois et les broussailles,
Mais la fièche la suit, fixée à ses entrailles.
Tantôt, guidant Énée au sein de ses remparts,
Didon se fait orgueil d'attacher ses regards
Sur les trésors de Tyr, sur son nouvel empire;
Elle ose lui parler, et sa parole expire.

Tantôt, quand le jour tombe, après les longs festins,

Encor sur Ilion, sur ses tristes destins,

Elle interroge Énée, et son ame éperdue

Aux lèvres du héros est encor suspendue 3.

« PreviousContinue »