Page images
PDF
EPUB

fouffrir la puiffance : les Romains d'alors ne vouloient point de roi, pour n'en point fouffrir les manieres. Car, quoique Céfar, les Triumvirs, Augufte, fuffent de véritables rois, ils avoient gardé tout l'extérieur de l'égalité, & leur vie privée contenoit une efpece d'oppofition avec le fafte des rois d'alors : & quand ils ne vouloient point de roi, cela fignifioit qu'ils vouloient garder leurs manieres, & ne pas prendre celles des peuples d'Afrique & d'Orient.

Dion (a) nous dit que le peuple Romain étoit indigné contre Augufte, à cause de certaines lois trop dures qu'il avoit faites mais que fi-tôt qu'il eut fait revenir le comédien Pylade que les factions avoient chaffé de la ville, le mécontentement ceffa. Un peuple pareil fentoit plus vivement la tyrannie lorfqu'on chaffoit un baladin, que lorí qu'on lui ôtoit toutes fes lois.

(a) Liv. LIV. pag. 532.

CHAPITRE IV. Ce que c'est que l'efprit général. LUSIEURS chofes gouvernent les hommes, le climat, la religion, les lois, les maximes du gouvernement, les exemples des chofes paffées, les mœurs, les manieres; d'où il fe forme un efprit général qui en réfulte,

A mesure que dans chaque nation une de ces caufes agit avec plus de force, les autres lui cedent d'autant. La nature & le climat dominent prefque feuls fur les fauvages; les manieres gouvernent les Chinois; les lois tyrannifent le Japon; les mœurs donnoient autrefois le ton dans Lacédémone; les maximes du gouvernement & les mœurs anciennes le donnoient dans Rome,

CHAPITRE

V.

Combien il faut être attentif à ne point changer l'efprit général d'une nation.

S'ILY

'IL y avoit dans le monde une nation qui eût une humeur fociable, une ouverture de coeur, une joie dans la vie, un goût, une facilité à communiquer fes penfées; qui fût vive, agréa ble, enjouée, quelquefois imprudente, fouvent indifcrette; & qui eût avec cela. du courage, de la générofité, de la franchife, un certain point d'honneur; il ne faudroit point chercher à gêner par des lois fes manieres, pour ne point gêner fes vertus. Si en général le caractere eft bon, qu'importe de quelques défauts qui s'y trouvent?

On y pourroit contenir les femmes, faire des lois pour corriger leurs mœurs & borner leur luxe : mais qui fait fi on n'y perdroit pas un certain goût, qui feroit la fource des richeffes de la nation, & une politeffe qui attire chez elle les étrangers?

C'est au légiflateur à fuivre l'efprit de la nation, lorsqu'il n'eft pas contraire

aux principes du gouvernement; car nous ne faifons rien de mieux que ce que nous faifons librement, & en fuivant notre génie naturel.

Qu'on donne un efprit de pédanterie à une nation naturellement gaie, l'état n'y gagnera rien, ni pour le dedans, ni pour le dehors. Laiffez-lui faire les chofes frivoles férieusement, & gaiement les chofes férieuses.

[blocks in formation]

Qu'il ne faut pas tout corriger.

nous laiffe comme nous

Qfommes, difoit un gentilhomme

d'une nation qui reffemble beaucoup à celle dont nous venons de donner une idée. La nature répare tout. Elle nous a donné une vivacité capable d'offenfer, & propre à nous faire manquer à tous les égards; cette même vivacité est corrigée par la politeffe qu'elle nous procure, en nous infpirant du goût pour le monde, & fur tout pour le commerce des femmes.

Qu'on nous laiffe tels que nous fommes. Nos qualités indifcrettes, jointes à

notre peu de malice, font que les lois qui gêneroient l'humeur fociable parmi nous ne feroient point convenables.

CHAPITRE VII.

.Des. Athéniens & des Lacédémoniens.

LES ES Athéniens, continuoit ce gentil homme,étoient un peuple qui avoit quelque rapport avec le nôtre. Il mettoit de la gaieté dans les affaires; un trait de raillerie lui plaifoit fur la tribune comme fur le théâtre. Cette vivacité qu'il mettoit dans les confeils, il la portoit dans l'exécution. Le caractere des Lacédémoniens étoit grave, férieux, fec, taciturne. On n'auroit pas plus tiré parti d'un Athénien en l'ennuyant, que d'un Lacédémonien en le divertiffant,

CHAPITRE

PLUS

VIII.

Effets de l'humeur fociable.

Lus les peuples fe communiquent, plus ils changent aifément de manieres, parce que chacun eft plus un fpectacle pour un autre; on voit mieux

les

« PreviousContinue »