Page images
PDF
EPUB

fubfiftance; ils ne fauroient non plus fe féparer de leurs femmes qui en ont foin. Tout cela doit donc marcher ensemble; d'autant plus que vivant ordinairement dans de grandes plaines, où il y a peu de lieux forts d'affiette, leurs femmes, leurs enfans, leurs troupeaux deviendroient la proie de leurs ennemis.

Leurs lois régleront le partage du butin; & auront, comme nos lois faliques, une attention particuliere fur les vols.

CHAPITRE

XIV.

De l'état politique des peuples qui ne cultivent point les terres.

ES peuples jouiffent d'une grande liberté : car, comme ils ne cultivent point les terres, ils n'y font point attachés; ils font errans, vagabonds; & fi un chef vouloit leur ôter leur liberté, ils l'iroient d'abord chercher chez un autre, ou fe retireroient dans les bois pour y vivre avec leur famille. Chez ces peuples, la liberté de l'homme est si grande, qu'elle entraîne néceffairement la liberté du citoyen.

CHAPITRE XV.

Des peuples qui connoiffent l'usage de la

A

monnoie.

RISTIPE ayant fait naufrage, nagea & aborda au rivage prochain; il yit qu'on avoit tracé fur le fable des figures de géométrie : il fe fentit ému de joie, jugeant qu'il étoit arrivé chez un peuple Grec, & non pas chez un peuple barbare.

Soyez feul, & arrivez par quelque accident chez un peuple inconnu; fi vous voyez une piece de monnoie comptez que vous êtes arrivé chez une nation policée.

La culture des terres demande l'ufage de la monnoie. Cette culture fuppofe beaucoup d'arts & de connoiffances; & l'on voit toujours marcher d'un pas égal les arts, les connoiffances & les befoins. Tout cela conduit à l'établiffement d'un figne de valeurs.

Les torrens & les incendies (a) nous

(4) C'eft ainfi que Diodore nous dit que des bergers trouverent l'or des Pyrénées,

ont fait découvrir que les terres contenoient des métaux. Quand ils en ont été une fois féparés, il a été aifé de les employer.

CHAPITRE

XVI.

Des lois civiles, chez les peuples qui ne connoiffent point l'ufage de la monnoie.

Q

UAND un peuple n'a pas l'ufage de la monnoie, on ne connoît guere chez lui que les injuftices qui viennent de la violence; & les gens foibles, en s'uniffant, fe défendent contre la violence. Il n'y a guere là que des arrangemens politiques. Mais chez un peuple où la monnoie eft établie, on eft fujet aux injuftices qui viennent de la rufe; & ces injuftices peuvent être exercées de mille façons. On y eft donc forcé d'avoir de bonnes lois civiles; elles naiffent avec les nouveaux moyens & les diverfes manieres d'être méchant.

Dans les pays où il n'y a point de monnoie, le raviffeur n'enleve que des chofes, & les chofes ne fe reffemblent jamais. Dans les pays où il y a de la monnoie, le raviffeur enleve des fignes;

& les fignes fe reffemblent toujours. Dans les premiers pays, rien ne peut être caché, parce que le raviffeur porte toujours avec lui des preuves de fa conviction cela n'eft pas de même dans les autres.

CHAPITRE

XVII.

Des lois politiques, chez les peuples qui n'ont point l'usage de la monnoie.

CE

E qui affure le plus la liberté des peuples qui ne cultivent point les terres, c'eft que la monnoie leur eft inconnue. Les fruits de la chaffe, de la pêche, ou des troupeaux, ne peuvent s'affembler en affez grande quantité, ni fe garder affez, pour qu'un homme fe trouve en état de corrompre tous les autres: au lieu que, lorfque l'on a des fignes de richeffes, on peut faire un amas de ces fignes, & les diftribuer à qui l'on veut.

Chez les peuples qui n'ont point de monnoie, chacun a peu de befoins, & les fatisfait aifément & également. L'égalité eft donc forcée; auffi leurs chefs ne font-ils point defpotiques.

[ocr errors]

CHAPITRE XVIII.
Force de la fuperftition.

I ce que les relations nous disent est vrai, la conftitution d'un peuple de la Louifianne, nommé les Natchés, déroge à ceci. Leur chef (a) difpofe des biens de tous fes fujets, & les fait travailler à sa fantaifie; ils ne peuvent lui refuser leur tête; il eft comme le grandfeigneur. Lorsque l'héritier préfomptif vient à naître, on lui donne tous les enfans à la mamelle, pour le fervir pendant fa vie. Vous diriez que c'est le grand Séfoftris. Ce chefeft traité dans fa cabane avec les cérémonies qu'on feroit à un empereur du Japon ou de la Chine.

Les préjugés de la fuperftition font fupérieurs à tous les autres préjugés, & fes raifons à toutes les autres raifons. Ainfi, quoique les peuples fauvages ne connoiffent point naturellement le defpotifme, ce peuple-ci le connoît. Ils adorent le foleil: & fi leur chef n'avoit pas imaginé qu'il étoit le frere du foleil, ils n'auroient trouvé en lui qu'un miférable comme eux.

(4) Lettres édif. vingtieme recueil,

« PreviousContinue »