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arbitraire fur les fortunes. L'expérience a fait voir qu'un impôt fur le papier fur lequel le contrat doit s'écrire, vaudroit beaucoup mieux.

CHAPITRE

X.

Que la grandeur des tributs dépend de la

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nature du

gouvernement.

ES tributs doivent être très-légers dans le gouvernement defpotique. Sans cela, qui eft-ce qui voudroit prendre la peine d'y cultiver les terres? & de plus, comment payer de gros tributs, dans un gouvernement qui ne fupplée par rien à cé que le fujet a donné?

Dans le pouvoir étonnant du prince & l'étrange foibleffe du peuple, il faut qu'il ne puiffe y avoir d'équivoques fur rien. Les tributs doivent être fi faciles à percevoir, & fi clairement établis qu'ils ne puiffent être augmentés ni diminués par ceux qui les levent. Une portion dans les fruits de la terre, une taxe par tête, un tribut de tant pour cent fur les marchandifes, font les feuls convenables.

Il est bon, dans le gouvernement

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defpotique, que les marchands ayent une fauve-garde perfonnelle, & que l'ufage les faffe refpecter: fans cela ils feroient trop foibles dans les difcuffions qu'ils pourroient avoir avec les officiers du prince.

C

CHAPITRE X I.
Des peines fifcales.

'EST une chofe particuliere aux peines fifcales, que contre la pratique générale, elles font plus féveres en Europe qu'en Afie. En Europe, on confifque les marchandifes, quelquefois même les vaiffeaux & les voitures; en Afie, on ne fait ni l'un ni l'autre. C'eft qu'en Europe, le marchand a des juges qui peuvent le garantir de l'oppreffion; en Afie, ies juges defpotiques feroient eux-mêmes les oppreffeurs. Que feroit le marchand contre un bacha qui auroit réfolu de confifquer fes marchandifes?

C'eft la vexation qui fe furmonte ellemême, & fe voit contrainte à une certaine douceur. En Turquie, on ne leve qu'un feul droit d'entrée; après quoi, tout le pays eft ouvert aux marchands.

Les déclarations fauffes n'emportent ni confifcation ni augmentation de droits. On n'ouvre (a) point à la Chine les ballots des gens qui ne font pas marchands. La fraude chez le Mogol, n'est point punie par la confifcation, mais par le doublement du droit. Les princes (6) Tartares, qui habitent des villes dans l'Afie, ne levent prefque rien fur les marchandifes qui paffent. Que fi, au Japon, le crime de fraude dans le commerce eft un crime capital, c'est qu'on a des raifons pour défendre toute communication avec les étrangers; & que la fraude (c) y eft plutôt une contravention aux lois faites pour la fureté de l'état, qu'à des lois de commerce.

(a) Du Halde, tome II, p. 37.

(b) Hiftoire des Tattars, troifieme partie, p. 290. (c) Voulant avoir un commerce avec les étrangers fans fe communiquer avec eux, ils ont choifi deux nations; la Hollandoife, pour le commerce de l'Europe; & la Chinoife, pour celui de l'Afie: ils tiennent dans une espece de prifon les facteurs & les matelots, & les gênent jusqu'à faire perdre patience,

CHAPITRE

X I I.

Rapport de la grandeur des tributs avec la liberté,

EGLE générale: on peut lever des tributs plus forts, à proportion de la liberté des fujets; & l'on eft forcé de les modérer, à mefure que la fervitude augmente. Cela a toujours été, & cela fera toujours. C'eft une regle tirée de la nature, qui ne varie point: on la trouve par tous les pays, en Angleterre, en Hollande, & dans tous les états où la liberté va fe dégradant jufqu'en Turquie. La Suiffe femble y déroger, parce qu'on ne paye point de tributs: mais on en fait la raifon particuliere, & même elle confirme ce que je dis. Dans ces montagnes ftériles, les vivres font fi chers & le pays eft fi peuplé, qu'un Suiffe paye quatre fois plus à la nature, qu'un Turc ne paye au Sultan.

Un peuple dominateur, tel qu'étoient les Athéniens & les Romains, peut s'affranchir de tout impôt, parce qu'il regne fur des nations fujettes. Il ne paye pas pour lors à proportion de fa liberté ;

parce qu'à cet égard il n'eft pas un peuple, mais un monarque.

Mais la regle générale refte toujours. Il y a, dans les états modérés, un dédommagement pour la pefanteur des tributs; c'eft la liberté. Il y a, dans les états (a) defpotiques, un équivalent pour la liberté; c'eft la modicité des tributs.

Dans de certaines monarchies en Europe, on voit des provinces (b) qui, par la nature de leur gouvernement politique, font dans un meilleur état que les autres. On s'imagine toujou.s qu'elles ne payent pas affez, parce que, par un effet de la bonté de leur gouvernement, elles pourroient payer davantage; & il vient toujours dans l'efprit de leur ôter ce gouvernement même qui produit ce bien qui fe communique, qui fe répand au loin, & dont il vaudroit bien mieux jouir.

(a) En Ruffie, les tributs font médiocres: on les a augmentés depuis que le defpotifme y eft plus modéré. Voyez l'hiftoire des Tattars, deuxieme partie, (b) Les pays d'états.

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