Le traité de l'Éducation des filles est le premier livre sorti de la plume de M. de Fénélon: ce fut cependant sur cet ouvrage que la cour le jugea capable d'un emploi des plus importans. M. le duc de Beauvilliers, à la prière duquel M. de Fénélon l'avait composé, charmé de l'ordre et des principes solides qui y sont répandus, fit connaître à Louis XIV le mérite de l'auteur; et sa majesté le nomma peu de temps „après précepteur de M. le duc de Bourgogne, de M. le duc d'Anjou, depuis roi d'Espagne, et de M. le duc de Berri. L'abbé de Fénélon entra chez les princes à l'âge de 38 ans. Ce plan d'éducation reçut aussi du public une approbation qui se soutient encore. Il fut imprimé pour la première fois en 1688, et on en a fait depuis plusieurs éditions en France et dans les pays étrangers. En 1715, il fut réimprimé à Paris, augmenté d'une lettre que M. l'archevêque de Cambrai adressa à une dame de qualité qui l'avait consulté sur l'éducation de mademoiselle sa fille unique. Les éloges du public en faveur de cet ouvrage confirment ceux que lui donne le célèbre Rollin: ce juge si éclairé, et qui a lui-même si bien traité la matière de l'édu cation, l'appelle un livre excellent (1); et parmi les traités absolument nécessaires qu'il conseille aux parens de mettre entre les mains de ceux à qui ils confient le soin de leurs enfans, il place celui de M. de Fénélon (2). En effet, quoique cet ouvrage semble n'avoir pour objet que l'éducation. des filles, les préceptes et les avis généraux qu'il renferme peuvent être fort utiles à celle des garçons. Les enfans de l'un et de l'autre sexe ont, sur-tout dans le premier áge, beaucoup de ressemblance: on remarque en eux les mêmes faiblesses et les mêmes inclinations. Ils exigent d'abord de ceux qui les élèvent, à-peu-près les mêmes soins: le temps et la destination des uns et des autres avertissent ensuite de la différence qu'il convient de donner à leur éducation; mais il y a toujours des devoirs communs à tous les membres de la société, et dont il faut travailler également à leur donner la connaissance et à leur inspirer l'amour. M. de Fénélon indique rapidement les vertus et les obligations générales. Il développe avec beaucoup de clarté celles qui sont propres à l'éducation des filles. Comme l'on doit s'y proposer une double fin, celle (1) Supplément au traité des études, p. 41. (2) Traité des études, tom. IV, p. 675. de leur former le cœur, et celle de cultiver leur esprit, l'auteur revient souvent à la partie des moeurs, parce qu'elle est la plus essentielle. Quant à la culture de l'esprit, M. de Fénélon n'exclut des études des filles que les connaissances trop étendues, ou qui sont au-dessus de leur faiblesse naturelle, et celles dont l'abus est presque certain; mais il ne pense pas que l'ignorance soit leur apanage. Un des motifs, entr'autres, sur lesquels l'auteur établit, dès le premier chapitre de son livre, l'importance de l'éducation des filles, c'est qu'elles sont la moitié du genre humain, racheté du sang de Jesus-Christ et destiné à la vie éternelle. Par là il annonce que la connaissance de l'évangile doit être le fondement de leur éducation. En suivant le plan tracé dans son livre, on ne peut se dispenser de les instruire de l'histoire de la religion, de ses dogmes et de sa morale. Une nouvelle édition d'un ouvrage aussi intéressant ne peut manquer d'être bien reçue du public. Elle aura l'avantage d'étre exempte des fautes considérables qui s'étaient glissées dans celles qui l'ont précédée. Nous nous croyons obligés de faire ici quelques observations sur l'avertissement de l'édition publiée à Amsterdam en 1754, chez Arkstée et Merkus. L'éditeur fait d'abord l'éloge du livre de M. de Fénélon; bientôt après il y aperçoit des défauts. Une chose, dit-il (1), qu'on peut trouver à redire dans ce livre, e'est qu'on y a mêlé quelques dogines particuliers de l'église romaine. Nous n'entreprendrons pas ici de convaincre Téditeur de la vérité de ces dogmes particuliers qu'il ne croit pas; il suffit de le renvoyer aux ouvrages du`savant évêque de Meaux, et à ceux des Arnault et des Nicole. Nous lui répondrons seulement que son reproche au livre de l'éducation n'est pas juste. Si l'auteur catholique, revêtu du sacerdoce de JesusChrist, composant un ouvrage exprès pour l'éducation chrétienne de la jeunesse, n'eût pas averti des sujets qui doivent faire la matière de l'instruction, il eut manqué à sa foi, à son caractère, et à ceux en faveur desquels il travaillait. : L'éditeur conseille néanmoins aux protestans (2) de lire l'ouvrage de M. l'archevêque de Cambrai, pour deux raisons la première est que rien n'est plus propre à persuader un protestant de l'obscurité des opinions qu'il rejette, que de voir, d'un côté, les preuves évidentes que M. l'archevêque de Cambrai apporte en faveur des doctrines fon (1) Avertissement de l'édition d'Amsterdam, 1754 p. 1. (2) Ibid. p. 1. damentales dans lesquelles ils conviennent, et de remarquer de l'autre la faiblesse des raisons qu'il allègue pour soutenir les dogmes où ils diffèrent. Vain triomphe! M. de Fénélon est, dans tout son ouvrage, également solide, également clair et intelligible. La faiblesse et l'obscurité ne sont que dans les yeux du lecteur protestant, que ses malheureuses préventions empéchent de concevoir et de considérer sous le même point de vue les preuves évidentes que M. l'archevêque de Cambrai donne en faveur des doctrines fondamentales, et les raisons qu'il allègue pour soutenir les dogmes de l'église romaine. 99 M. de Cambrai, en parlant du mariage, s'exprime en ces termes (1): « Admirez » les richesses de la grâce de Jesus-Christ, qui n'a pas dédaigné d'appliquer le re"mède à la source du mal, en sanctifiant » la source de notre naissance, qui est le mariage. Qu'il était convenable de faire " un sacrement de cette union de l'homme » et de la femme, qui représente celle de "Dieu avec sa créature, et de Jesus-Christ » avec son église » ! Le critique ne trouve dans ces paroles qu'un tour de prédicateur (2), c'est-à-dire, une de ces phrases pompeuses qui ne signifient rien; mais (1) Education des filles, chap. VIII. (2) Avertissement, p. 2. |