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Rom. Sarg.

Benes 526 41

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PRÉFACE

Ce volume est le dernier que je me propose de reprendre dans les journaux et dans les revues. Études sur la langue française, sur les barbares et le moyen âge, sur la médecine et les médecins, sur la science au point de vue philosophique, voilà ce qui constitue les quatre premiers recueils. Ce dernier appartient à la littérature et à l'histoire.

Dans ce genre de travail à bâtons rompus qu'offrent les journaux et les recueils, je n'ai pas toujours fait ce que je voulais; mais je n'ai jamais fait ce que je ne voulais pas. C'est grâce à cette résolution persévéramment suivie que j'ai dû de retrouver, dans la masse d'articles provenus de toutes sortes d'occasions, des séries suffisamment cohérentes. Beaucoup a été élagué; mais ne faut-il pas faire beaucoup pour que quelque chose reste?

La littérature se lie de trop près à l'histoire pour

a

que, là aussi, la filiation et la comparaison ne fournissent pas les principales lumières. C'est à ces sources que j'ai puisé les règles de ma critique. Nos littératures, depuis l'origine à l'aurore des temps classiques, sont mères, filles, sœurs les unes des autres. La littérature grecque (dans cette voie on ne remonte pas plus loin qu'elle1) est la mère de la littérature latine. En notre Occident, la latinité, par la religion, par la tradition, par les livres, ne cessa jamais d'exercer une influence considérable, surtout après que, les barbares ayant été absorbés par les populations latines et la Germanie conquise par Charlemagne, les nations et les langues modernes commencèrent à se montrer sur la scène du monde. Sans doute, un fond original se forma dans ce nouveau milieu; et un des centres de cette formation originale le plus actif et le plus fécond fut la France durant le haut moyen âge. Les littératures modernes y ont tou

1. La littérature grecque reçut certainement des éléments de la main des peuples que la Grèce nommait barbares et qui l'avaient précédée dans la civilisation. Platon le dit lui-même : « Les Bar« bares sont plus anciens que nous. » Cela est incontestable. Des éléments fournis alors nous n'avons que la plus vague connaissance; mais les poèmes d'Homère nous apprennent que le génie grec, s'emparant des légendes antiques, les façonna en chants merveilleux qui devinrent l'école littéraire, esthétique, de toute la nation. Nos chansons de geste ne valent pas l'Iliade; mais la manière dont elles sont nées au sein du milieu féodal est ce qui éclaire le mieux la création des poëmes héroïques de la Grèce et leur durable influence.

tes puisé plus ou moins; et toutes furent gravement modifiées par la renaissance et l'antiquité classique. Dès lors elles deviennent sœurs, donnant, recevant, se dépassant, se rattrapant, et concourant simultanément à créer ce grand monument occidental dont l'ensemble rivalise avec l'antiquité grecque et latine.

En préparant ce volume et ceux qui précèdent, j'ai refeuilleté près de quarante ans de ma vie. J'y ai retrouvé la trace de beaucoup de travail, récompensé d'ailleurs plus que je n'y avais jamais compté. J'ai demandé peu à la société; en revanche, elle m'a accordé au delà de mes espérances ou de mes ambitions. Je rends ce témoignage au moment où, parvenu à la grande vieillesse, je ne sollicite ni ne poursuis plus rien.

Tous mes succès ont été des succès électifs. L'Aca démie des Inscriptions, il y a maintenant plus de trente-six ans, me fit l'honneur de m'appeler dans son sein. Le Journal des Savants me nomma un de ses collaborateurs. L'Académie de Médecine m'accorda un de ces siéges dont elle dispose pour ceux qui n'ont pas le grade de docteur. Enfin, l'Académie française, par la plus flatteuse des distinctions, récompensa l'achèvement de mon Dictionnaire de la langue française. En m'associant à leurs travaux, ces corps illustres ne voyaient en moi qu'un travailleur solitaire sur qui aucune attache officielle ne tournait l'attention.

Bien que, toute ma vie, je me sois occupé d'objets scientifiques, je n'ai jamais été appelé à aucune chaire. Quelquefois je reçois de pays étrangers des lettres qui portent en suscription: M. le professeur; mais c'est une simple courtoisie de mes correspondants qui ne répond à aucune réalité. Je n'exprime point un regret, j'énonce un fait. Je l'ai déjà dit, les avantages qui me sont échus ont amplement contenté ce que j'avais d'ambition, sans parler de l'intérêt que les savants étrangers ont bien voulu accorder à mes travaux et à mon nom, et qui a aussi dépassé mon attente '.

1. En 1867 ou 1868 (je ne suis pas sûr de l'année, n'ayant rien gardé par écrit), un jeune attaché à l'ambassade de Prusse (il s'appelait d'Arnim, et est sans doute parent du d'Arnim que le gouvernement prussien poursuit en ce moment avec tant de rigueur) vint me trouver, et m'informa que l'Académie des Sciences de Berlin, disposant d'un certain nombre de croix d'un ordre fort estimé, avail résolu de m'en accorder une, qu'elle avait seulement le droit de proposition, et que c'était le roi qui nommait. En conséquence, M. d'Arnim me demandait si j'acceptais. Après réflexion, je répondis que, pour des raisons soit philosophiques, soit politiques, m'étant soustrait à toute décoration dans mon propre pays, je ne croyais pas convenable d'en accepter une étrangère; mais que je le priais d'exprimer à l'Académie ma sincère reconnaissance pour la marque d'honneur, absolument spontanée, qu'elle avait songé à me conférer. Ainsi je refusai. Depuis, je me suis félicité bien des fois de ce refus. En parlant d'opinions philosophiques au sujet de décorations, voici quoi je fais allusion: En 1843, j'eus une entrevue avec M. Villemain, alors ministre, pour lui exprimer ma gratitude de la bienveillance qu'il m'avait témoignée en une circonstance fort douloureuse pour moi. Dans le courant de la conversation, il m'offrit la croix de la Légion d'honneur. Je repoussai son offre en lui disant : << Monsieur le ministre, j'ai des préjugés. » Il les respecta et n'insista pas.

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