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Non que je m'en repente au bout de la carrière,
Bien que n'ait pas manqué, près du chevet des lits,
Entre les maux d'autrui, cette saveur amère
Par le vieillard de Cos tant prédite à ses fils1.

Ce qu'un an de jeunesse apporte à l'existence,
Par un an de vieillesse est bientôt emporté.
Rien n'est en don; la vie, à très-courte échéance,
Retire de nos mains le peu qui fut prêté.

Pourtant un charme reste au-dessus de la vie Planent les souvenirs et plus chers et plus beaux. Souvent un rien, un bruit, une ombre, une éclaircie Nous ont fait tressaillir dans la chair et les os,

Comme si quelque brise ondulante et plaintive,
Traversant en son vol nos jours derrière nous,
Venait nous apporter d'une lointaine rive
Une voix murmurante, un adieu triste et doux.

Qui n'a vu dans le plein d'une calme soirée, Alors que le soleil s'abîme à l'horizon, Reluire à l'autre bout du tranquille empyrée La lune qui répand son timide rayon?

De même à son couchant notre vie abaissée
A, comme la journée, un orient désert,
Séjour d'ombre croissante et plage délaissée
Où sous un voile obscur tout s'efface et se perd.

1. Le médecin a la vue attristée... et, dans les malheurs d'autrui, son cœur est blessé de chagrins qui lui sont propres.

HIPPOCRATE.

Quand le temps est venu dans le monde de l'âme, Le souvenir se lève au début de la nuit, Et jette son rayon sans chaleur et sans flamme Des hauteurs du passé sur le présent qui fuit;

Le présent qui n'a plus d'espace et de carrière; Le passé d'où nos morts, que le cœur a gardés, Semblent nous rappeler d'une voix familière, Comme on rappelle au soir des amis attardés.

XXVIII

LA TERRE

(1864)

Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraye.

PASCAL, Pensées.

O terre, mon pays, monde parmi les mondes, Où mènes-tu tes champs, tes rochers et tes ondes, Tes bêtes, leurs forêts, tes hommes, leurs cités? Où vas-tu, déroulant ton orbite rapide,

Sans repos, dans le vide

De cieux illimités?

Ah! c'est grandeur à moi, chétive intelligence, De me dresser pour prendre à ton voyage immense Une part toute pleine et d'extase et d'effroi,

Et, sentant sous mon pied l'abîme et le mystère,
Courir même carrière

Un moment avec toi.

Nous voilà dans le ciel, où tu fais ta journée,
Autour de ton soleil à tourner enchaînée!
Les hommes de jadis y rêvèrent des dieux.
C'est une plaine froide et vide et désolée,
Seulement étoilée

Par des points radieux.

Nous voilà dans le ciel ! Où donc est l'empyrée, Le firmament solide et la voûte éthérée?

Un mirage! un lointain! où rien plus ne se voit Qu'un nombre de soleils sans nombre, vrais atomes Perdus dans les royaumes

Et du vide et du froid.

Où vas-tu? je ne sais. Qui le sait? les durées
Et les champs inconnus des célestes contrées
Cachent-ils des périls pour les mondes flottants?
Le chemin est bien long, la route est bien obscure;
Chanceuse est l'aventure

Dans l'espace et le temps.

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Où tu vas! D'où viens-tu? ni siècle ni mémoire Ne se marquaient alors que se fit ton histoire. Pourtant les souvenirs ne sont pas tous éteints; Et çà et là se voient des traces fugitives, Singulières archives

D'événements lointains.

Oh! qui me donnerait de fouler ta poussière, Quand les premiers humains de l'antre et de la pierre Taillèrent leurs cailloux et surent s'en servir? De notre humanité cette race est l'aïeule, Qui, pauvre, obscure et seule,

Commence un avenir.

Le temps s'ouvre et s'enfonce, et la scène se change. De toute part s'élève une nature étrange, Sans homme! C'est la bête, elle possède tout, Léviathans, dragons, monstrueuse famille; Et le monde fourmille

De l'un à l'autre bout.

Le temps s'ouvre et s'enfonce, et se change la scène.
Le globe est embrasé, la flamme s'y déchaîne;
Rien qui ne soit dompté par l'immense chaleur.
Le vieux Vulcain s'abat sur cette énorme proie;
Tout bouillonne et flamboie,
Tout est lave et vapeur.

Longtemps au haut des cieux reluisit l'incendie.
Mais quels feux n'éteindrait la froidure infinie?
Il leur fallut enfin s'affaisser et pâlir,

Laissant poindre au travers de la masse agitée
L'occulte Prométhée

Du vivre et du mourir.

Le tempss'ouvre et s'enfonce... Au delà plus d'histoire, Ni siècle enseveli, ni trace de mémoire.

Volcan, d'où te venaient et ta lave et tes feux?
Étoiles, qu'êtes-vous que foyers grandioses,
Étincelles écloses

Dans la nuit et les cieux?

Devant ce grand rideau taisez-vous, mes pensées,
Dans l'espace et le temps vainement élancées.
Un monde éteint devient un précaire séjour,
Où se montre un moment le drame de la vie,
Bluette épanouie

Sous les rayons du jour.

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