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MORCEAUX EN VERS

Après les traductions, ce qui n'est pas traduction. Ces pièces, bien que très-peu nombreuses, n'en sont pas moins réparties sur tout le temps de ma vie, depuis la jeunesse jusqu'à la vieillesse. Les sentiments qui se sont développés en moi sous l'influence de l'étude, de l'examen et de l'expérience, et qui ont fait l'unité de ma carrière, se sont souvent épanchés en des pages dont quelques-unes sont reproduites dans le présent volume. Mais parfois ils ont débordé plus loin; et je les ai suivis, pour me donner la joie de les transfigurer.

XXIII

LA LUMIÈRE

(1824)

L'homme orgueilleux et vain a dit dans son enfance:
<< Pour ma terre et pour moi l'éternelle puissance
« A créé mon soleil ;

<< De mon noble séjour cet azur est la voûte;
« Et ces astres lointains, dans leur nocturne route,
<< Éclairent mon sommeil.

« C'est pour moi qu'au matin la splendide lumière,
«Rasant d'un trait de feu sa terrestre barrière,
«Vient commencer le jour ;

« C'est pour moi qu'elle vient égayer la nature,
« Et des êtres divers, perdus en l'ombre obscure,
« Colorer le contour. >>

Mais le brillant rayon, qui nage dans l'espace,
Jusqu'à ses faibles yeux arrive, arrive et passe ;
Il poursuit son élan :

Il n'a pas accompli sa course; et d'autres terres
Attendent dans leur coin, planètes solitaires,
Son flot étincelant.

D'un monde toujours jeune éternelle parure,
Riche et brillant manteau de la belle nature,
O mère des couleurs,

Force toujours vivante, ondoyante lumière,
Jetant sur le tapis de l'inerte matière,

Comme en un pré, tes fleurs,

Depuis quand, élancée aux déserts sans limites,
Pour les mondes flottants et leurs vastes orbites,
As-tu pris ton essor?

Depuis quand, secouant ta robe matinale,
Sèmes-tu chaque jour ta marche triomphale
Et de perles et d'or?

L'univers tout entier est ta vaste carrière.
Tu promènes au loin, sans trouver de barrière,
Tes flots aventureux;

Et les mondes semés dans l'océan du víde,
Écueils étincelants de ta vague rapide,

Réfléchissent tes feux.

Ton rayon, dédaignant l'abîme et la distance,
Révèle à nos regards la lointaine existence
Des soleils radieux;

Sur notre île flottante invisibles atomes,

Nous volons sur sa trace aux immenses royaumes Qui s'ouvrent à nos yeux.

Mais ta flamme n'est pas si promptement passée,
Qu'elle puisse échapper à l'œil de la pensée ;
L'homme a compté tes pas.

Il trace dans les cieux ta marche vagabonde,
Et, calculant ta fuite aux limites du monde,
Te soumet au compas.

Des globes éloignés rapide messagère,

Il a pu te trouver, dans ta course légère,
Encor longue à venir;

Il a compté des jours, des ans pour tes voyages;
Éclair impétueux, de quels lointains rivages
T'a-t-il fallu partir?

Que dis-je ? ce rayon que tant de force anime,
De l'espace toujours ne franchit pas l'abîme,
Jusques à notre bord;

Le flot étincelant qui partout se propage,
Baissant de plus en plus dans la mer sans rivage,
S'affaiblit et s'endort.

Par delà ce ruban dont la blanche lumière,
A peine descendant jusqu'à notre paupière,
Vient mourir ici-bas,

Sont des soleils encore, étoiles inconnues,
Qu'on rêve, les laissant de leurs clartés perdues
Ne nous atteindre pas.

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