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Mais l'abîme inconnu loin encore sous moi, Loin, bien loin, se perdait en des espaces sombres. Du bord on n'entend rien; là-bas avec effroi Je voyais se mouvoir, comme d'errantes ombres, Les monstres de la mer, reculés loin du jour, Horribles habitants d'un horrible séjour.

1

J'étais là, solitaire, au fond des noirs royaumes, Sans que pût jusqu'à moi venir aucun secours, Le seul être sentant parmi d'affreux fantômes, Seul sous les vastes flots, seul dans les antres sourds, Où de l'humaine voix jamais le bruit n'arrive, Des monstres entourés qui peuplent cette rive.

Ils s'agitent soudain; je vois luire leurs dents,
Et vers moi s'entr'ouvrir leur gueule qui dévore.
Dans la vive terreur qui trouble tous mes sens,
Je quitte le rocher que j'embrassais encore.
L'impétueux torrent me saisit à son tour;
C'était pour mon salut, il m'entraînait au jour.

Le prince, à ce récit, est saisi de surprise :
La coupe t'appartient, ce dit-il, juste prix,
Intrépide nageur, de ta noble entreprise.
J'y joindrai cet anneau tout brillant de rubis,
Si tu reviens encor du sein des noires ondes
Raconter les secrets des cavernes profondes.

Ces mots de la princesse ont contristé le cœur : Cessez ce jeu cruel; c'est assez, ô mon père, Dit-elle en suppliant d'un son de voix flatteur. Seul il a fait ici ce qu'aucun n'osa faire; Et s'il faut de la mer qu'on sonde les secrets, Sus! que les chevaliers fassent honte aux varlets.

Le roi saisit la coupe, et, d'une main hâtée, La rejette au milieu des flots tant périlleux : Si tu me la remets, de nouveau rapportée, Tu seras chevalier, premier parmi les preux, Et, dès ce même jour, l'époux maître des charmes De celle qui pour toi prie et verse des larmes.

Ces mots l'ont enivré d'espérance et d'amour.
Dans ses yeux animés brille une vive flamme;
Il la voit et rougir et pâlir tour à tour;
Jouissant un moment du trouble de son âme,
Il s'arrache soudain par un puissant effort,
Et plonge dans les eaux à la vie, à la mort.

Charybde a revomi son onde bouillonnante, Elle s'annonce au loin par un fracas affreux; Chacun tourne les yeux, plein de crainte et d'attente. Le gouffre a revomi tous ses flots écumeux; Ils battent les rochers, ils battent le rivage, Et pas un de ces flots ne ramène le page.

XXII

LES FEMMES

Honneur aux femmes !.. Vois! leur touchante industrie
Tresse de fleurs du ciel une terrestre vie,
Ourdissant des amours le lien bienheureux.
Leur sexe, en sa pudeur, sous le voile des Grâces,
Entretient saintement, de ses mains jamais lasses,

Des nobles sentiments le foyer radieux.

L'homme toujours, en sa force sauvage,
S'égare et fuit loin de la vérité.
Les passions sur des mers sans rivage
Traînent au loin son esprit agité.
Toujours au large orientant les voiles,
Ses vœux jamais ne restent satisfaits;
Et jusqu'au front des lointaines étoiles
Il suit son rêve, enfant de ses souhaits.

Mais bientôt, d'un coup d'œil dont le pouvoir l'enchaîne, Les femmes lui font signe en sa course lointaine, Rendant le fugitif aux pensers du présent.

A la bonne nature enfants restés fidèles

Sous le modeste abri des ailes maternelles,.
Elles ont le cœur pur et l'esprit innocent.

L'homme s'avance en sa course ennemie,
Dans les débris se frayant un chemin;
Avec effort il traverse la vie,
Sans prendre haleine en son errant destin.
Il crée, abat, inconstant et rapide;
De ses souhaits rien n'arrête le cours,
Toujours tombants comme l'hydre d'Alcide,
Toujours tombants et renaissants toujours.

Un plus simple renom contente leur envie :
Par elles du moment la fleur seule est cueillie,
Leurs mains l'ont cultivée avec des soins d'amour,
Plus libres dans le champ d'une étroite influence,
Plus riches qu'il ne l'est dans le domaine immense
Du savoir ou des vers qu'il poursuit tour à tour.

Son cœur est froid, se suffit à lui-même.
Sévère et fier, l'homme ne connaît pas
L'amour divin, de volupté suprême,
Entrelaçant l'âme comme les bras.

Il ne fond point en des ruisseaux de larmes,
Ne connaît pas l'échange de deux cœurs;
La vie aussi rend, parmi les alarmes,
Plus âpre encor l'âpreté de ses mœurs.

Comme au souffle léger du rapide zéphyre
Frémissent mollement les cordes de la lyre,
La femme ainsi s'émeut de l'image du mal;
A l'aspect des douleurs tendrement oppressée,
Son sein aimant se gonfle; une douce rosée
Brille sur sa paupière en gouttes de cristal.

Le droit du fort dans l'empire de l'homme
Domine seul et fait toutes les lois.
Un fer sanglant est l'argument de Rome,
Et l'univers a les Romains pour rois.
Comme les vents déchaînés par l'orage,
Les passions se livrent mille assauts;
Et la discorde, odieuse et sauvage,
Tonne et fait fuir le charme et le repos.

Mais le sceptre des mœurs est tenu par les femmes,
Priant, et leur prière a pouvoir sur les âmes ;
Des farouches discords elle interrompt le cours ;
Et leur voix, apprenant aux forces ennemies
Sous la grâce amiable à marcher réunies,
Rapproche incessamment ce qui se fuit toujours.

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