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Eh quoi! seul entre tous, au commun apanage
Je n'ai point part, moi ton fils le plus cher !
C'est ainsi qu'il se plaint d'un oubli qui l'outrage;
Il se prosterne aux pieds de Jupiter.

Si tu t'es endormi dans de riants mensonges,
Reprit le dieu, ne te plains pas de moi;
Au partage du monde, égaré dans tes songes,
Que faisais-tu ? J'étais auprès de toi.

De tes cieux mon oreille écoutait l'harmonie,
Et mes regards se fixaient sur les tiens;
Pardon, si, contemplant ta splendeur infinie,

Je perds ma part dans les terrestres biens.

Que faire? dit le dieu. Dans mes mains rien ne reste; Tout est donné, les champs, les bois, les mers.

Veux-tu vivre avec moi dans le séjour céleste;

Quand tu viendras, les cieux te sont ouverts.

XXI

LE PLONGEUR

Qui de vous osera, chevaliers ou varlets,
De Charybde sonder les cavernes profondes?
Je jette cette coupe en ses gouffres secrets;
Elle est déjà tombée au fond des noires ondes.
Qui de vous dans l'abîme osera se jeter?
La coupe est à celui qui peut la rapporter.

Ainsi le roi disait, et, de la roche nue
Dont le front escarpé, s'avançant sur les eaux,
Domine au loin la mer et sa vaste étendue,
Lançait la coupe d'or en l'abîme des flots.
Quel sera parmi vous le brave dont l'audace
Du gouffre mugissant méprise la menace?

Chevaliers et varlets bien entendent sa voix;
Mais tous autour de lui se tiennent en silence;
Leurs regards sur la mer se baissent à la fois;
Pas un ne veut gagner la riche récompense.
N'est-il donc, dit le prince, aucun hardi plongeur
Qui du gouffre inconnu brave la profondeur?

Tous demeuraient encor dans le même silence: Mais voilà que soudain un page doux et beau Sort du groupe hésitant, sur la roche s'avance, Détache sa ceinture et jette son manteau. Les regards étonnés se tournent vers le page; Un murmure flatteur l'accueille et l'encourage.

Au moment qu'il arrive au sommet sourcilleux, Et mesure de l'œil et la roche et les ondes, Charybde revomit les flots tumultueux

Qui font au loin mugir ses cavernes profondes.
C'est avec le fracas d'un tonnerre lointain

Que, pressés et grondants, ils sortent de son sein.

L'onde écume et se brise et tournoie et bouillonne, Comme si la gonflait un brasier souterrain; De sourds gémissements le rivage résonne, Et les flots sur les flots s'amoncellent sans fin. L'écume rejaillit jusqu'aux plus hautes cimes, Et c'est une autre mer qu'enfantent les abîmes.

La tourmente a cessé, le calme est sur les mers. Un immense sillon, déchirant la surface, Et béant comme si s'entr'ouvraient les enfers, Au travers de l'écume a dessiné sa trace; Et les flots, entraînés par le noir tourbillon, Roulent avec fracas dans le gouffre sans fond.

Mais, avant le retour de l'horrible tourmente, Le page vers le ciel se tourne un seul moment, Et... tout à coup s'élève un cri sourd d'épouvante : Il est déjà bien loin sous les eaux du torrent. Sur le hardi nageur se referme l'abîme; Le gouffre mugissant a reçu sa victime.

Le silence s'étend sur l'abîme des flots;

Seul dans les profondeurs gronde un lointain murmure; Chaque bouche en tremblant fait entendre ces mots : Adieu, brave jeune homme, ah! ta perte est trop sûre. Les sourds mugissements grondent de plus en plus; Tous les yeux sont fixés, tous les cœurs sont émus.

Ah! quand, au fond des eaux jetant ton sceptre même, Tu dirais que celui qui peut le rapporter Ceigne autour de son front le royal diadème, Un prix, un si grand prix ne saurait me tenter. Ce que cache en ses flancs Charybde mugissante Ne sera révélé d'aucune âme vivante.

Plus d'un vaisseau saisi par les noirs tourbillons
S'engouffra tout entier sous le flot qui l'attire;
Mais ce n'est que rompus dans les antres profonds
Qu'en sortirent jamais les mâts et le navire.....
Et, semblable au fracas de l'orage et des vents,
Le mugissement croît de moments en moments.

L'onde écume et se brise et tournoie et bouillonne, Comme si la gonflait un brasier souterrain; L'écume rejaillit, le rivage résonne,

Et les flots sur les flots s'amoncellent sans fin;

Ils viennent en grondant comme un lointain tonnerre, Les échos ébranlés répondent de la terre.

Du milieu de l'écume et des flots bouillonnants,
Aux yeux émerveillés apparaît une tête,

Un bras qui fend les eaux par des efforts puissants,
Qui dompte avec vigueur le gouffre et sa tempête.
C'est lui; du sein des flots qui le portent encor,
Sa main avec orgueil montre la coupe d'or.

Il reprit longuement haleine sur la rive,
Et, joyeux, salua la lumière du ciel.

Un cri jaillit du sein de la foule attentive;
Il vit! c'est lui! sauvé de l'abîme cruel!

Il a contre Charybde et l'onde qui bouillonne
Vaillamment défendu sa vie et sa personne.

Il vient, la foule suit avec des cris joyeux; Il vient, un noble feu sur son visage brille; Il présente à genoux la coupe; et, gracieux, Le prince fait un signe à sa charmante fille. Elle, d'un vin mousseux jusqu'au bord la remplit ; Le jeune homme, tourné vers le prince, lui dit :

Vive longtemps le roi! sage qui sur la rive Jouit du jour serein, de la clarté des cieux! Tout est sombre là-bas, au gouffre d'où j'arrive. Ah! que l'homme jamais n'ose tenter les dieux, Ni chercher à sonder les abîmes funèbres Qu'ils ont daigné couvrir de l'horreur des ténèbres!

Le courant m'emporta vite comme l'éclair; Mais du sein des rochers un courant qui s'élance L'arrête dans sa course au profond de la mer. Contre ces deux torrents vaine est ma résistance; Faible jouet des flots et de leur tourbillon, Sans fin je tournoyais en des gouffres sans fond.

Le ciel, que j'implorai d'une ardente prière, Me montre, en ce moment qui décida mon sort, Un rocher s'élevant du fond de l'onde amère. Je m'attache à ses flancs, et j'échappe à la mort. J'aperçus près de moi la coupe suspendue; Aux pointes des coraux elle était retenue.

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