Page images
PDF
EPUB

IX

COLLECTION

DES AUTEURS LATINS

AVEC LA TRADUCTION EN FRANÇAIS

(En 25 volumes)

SALLUSTE, JULES-CÉSAR, C. VELLEIUS PATERCULUS & A. FLORUS Un volume grand in-8 1.

La Collection des auteurs latins, avec la traduction en français, est une entreprise propre à faciliter et à répandre la connaissance de la littérature latine; connaissance favorable à la bonne culture des lettres et à la propagation d'une solide instruction historique. Le premier volume renferme Salluste, César, Velleïus Paterculus, Florus: Salluste, qui nous raconte deux épisodes considérables des derniers temps de la république; César, dont les mémoires sont une grande part de l'histoire de Rome jusqu'à sa mort; Florus, qui s'étend dans la dernière partie de son abrégé sur les guerres du triumvirat et sur le règne d'Auguste; Velleïus Paterculus, qui nous montre les commencements de Tibère et nous mène jusqu'aux Annales de Tacite. Ces quatre auteurs servent donc, dans la latinité, d'intermédiaire entre Tite-Live, dont l'histoire est mutilée à l'époque de la deuxième guerre de Macédoine, et Tacite, qui commence la sienne avec le règne de

1. National, 1er août 1837.

Tibère. Durant cet intervalle la république s'écroule, l'empire se fonde, les premiers empereurs lui donnent son caractère : toutes choses qui ont eu une certaine influence sur les destinées du genre humain.

L'examen des historiens en tant que penseurs et écrivains est utile, même à côté de la contemplation de l'histoire en soi; et, s'il faut étudier les faits et les événements, il est bon de connaître sous quel jour ils ont été vus par les hommes qui nous en ont transmis le souvenir, quelles conséquences ils en ont tirées, et à quelles généralités ils sont arrivés.

Salluste a fait précéder ses deux livres de Catilina et de Jugurtha par un préambule où il développe quelques considérations qui lui ont paru sans doute importantes. Quintilien, parlant de ces préambules, dit que Salluste a commencé ses deux ouvrages par des chapitres qui n'ont aucun rapport avec l'histoire. Si Quintilien a entendu par ce mot histoire le récit des guerres de Catilina et de Jugurtha, il a raison; mais, s'il a pris ce terme dans sa signification la plus étendue, il s'est trompé, ne voyant pas que Salluste montrait dans ces deux débuts le point de vue d'où il apercevait les choses humaines, indiquait la mesure à laquelle il rapportait les événements, cherchait la raison des mutations historiques, et exposait ce que certains appellent aujourd'hui la philosophie de l'histoire. Salluste avait médité sur ce sujet, et c'est le résultat de ses méditations qu'il a resserré en quelques lignes dans ses deux commencements.

Suivant lui, jadis on a pu douter à qui, de la force corporelle ou de l'intelligence, appartiendrait l'empire du monde; mais le procès est définitivement jugé. C'est à l'intelligence que revient la direction de toute chose; elle est le guide, elle est la dominatrice de la vie hu

maine (dux atque imperator vitæ mortalium animus est). Politique, agriculture, navigation, architecture, tout est soumis à la force de l'esprit. L'empire quitte ceux qui laissent dépérir en eux les hautes facultés. Ne vous plaignez donc pas, ô mortels, de la faiblesse de votre nature, et de la brièveté de votre vie; l'intelligence est quelque chose qui vous appartient; cultivez-la, et vous laisserez de vous une trace qui ne s'effacera pas, une gloire que le monde admirera. En effet, de cette domination de l'intelligence sur les choses humaines, Salluste tire la conclusion qu'il faut avoir une occupation qui en relève, et que c'est se dégrader soi-même que de faire, contre le vœu de la nature, du corps un objet de volupté, de l'âme un fardeau. Celui-là seul lui paraît vivre et jouir de son âme (vivere atque frui anima) qui se livre à quelque travail, à quelque occupation, à quelque œuvre qui aille au-delà des appétits du corps et qui soit du domaine de la force intellectuelle.

Aux yeux de Salluste n'avait point échappé le désordre qui s'était emparé de Rome maîtresse du monde. Le gouvernement de la république était en proie à d'incessantes perturbations; et les clairvoyants pensaient qu'il marchait à cette terminaison habituelle des républiques grecques, la tyrannie ou domination d'un seul. Dans cette situation qui s'était déjà présentée sur le théâtre complexe de la Grèce, le remède paraissait aux bien intentionnés être le retour vers la constitution et les mœurs antiques qui avaient été délaissées; les regrets et les conseils étaient tous dans ce sens.

Telle ne fut pas la vue de Salluste. Mais, apercevant la puissance de l'intelligence dans le développement des arts et des sciences et dans le maintien ou le progrès de la force des empires, il demande aux hommes politiques de s'appuyer sur elle et d'écarter par là de la

chose publique les maux qui l'assaillent. Admettre que l'histoire humaine est le triomphe de l'intelligence humaine, prendre ce fil pour se guider à travers les événements, apprécier les sociétés d'après cette mesure, puis ajouter que les hommes politiques ne méritent ce nom qu'autant qu'ils obéissent à cette influence salutaire, et qu'ils sont dignes de mépris s'ils se livrent aux suggestions d'un égoïsme grossier, certes, c'est pourvoir d'un lumineux aperçu la science historique ; et Quintilien a parlé avec beaucoup de légèreté de ce qu'il n'avait pas compris, en disant qu'il n'y avait rien là qui eût rapport à l'histoire.

Salluste résume sa doctrine en une phrase remarquable: «L'esprit, dit-il, incorruptible, éternel, su« prême directeur du genre humain, anime, possède << tout, et n'est point possédé. (Animus incorruptus, æter« nus, rector humani generis, agitat atque habet cuncta, « neque ipse habetùr.) » Qu'entend Salluste par ce suprême directeur du genre humain, qui mène et possède tout sans être possédé lui-même? Si je l'interprète bien, à considérer le genre humain dans son ensemble, on y reconnaît un esprit général, qui n'est point sujet à s'altérer; il a la permanence, il n'est la propriété exclusive de personne, et c'est lui qui donne les impulsions. Sous cette direction suprême sont l'histoire et les affaires du monde. De là à conclure qu'elles ne peuvent pas s'égarer indéfiniment hors d'une certaine route, et qu'elles sont soumises à ce que nous nommons aujourd'hui des lois, il n'y aurait pas loin.

Si nous perdions soudainement le souvenir de tous les siècles qui nous ont précédés, nous n'aurions pas même le soupçon que le genre humain, dans son développement, suit une marche dont le tracé est régulier. Si, au contraire, de fidèles annales nous avaient

conservé la narration et l'exposé de tout ce qui s'est fait dans les temps antérieurs à nos temps historiques, nous aurions une connaissance plus étendue et mieux établie du progrès de ce développement. Aussi, toutes les fois que quelque circonstance a agrandi le champ de la géographie, a révélé des pays ignorés, a fait entrer dans le cercle de la civilisation commune des peuples qui avaient vécu jusque-là dans l'isolement, il s'est créé de nouveaux éléments propres à jeter du jour sur d'aussi difficiles et d'aussi importantes questions'. A un aussi grand secret on ne peut pas arriver par une seule voie, a dit Symmaque en parlant d'autre chose que de l'histoire (Uno itinere non potest perveniri ad tam grande secretum). Quand on veut apprécier cette direction suprême du genre humain que Salluste invoque, il faut se placer au point de vue d'où l'on découvre l'agrandissement du terrain historique, la conquête de la terre et la chaîne des événements.

A ce titre, la conquête des Gaules par César est un fait d'une grande importance et d'une grande instruction. Si César n'a vu, dans la demeure de nos aïeux, que la terre théâtre de ses exploits et matière de ses importants mémoires, il faut en ce moment que nous y voyions autre chose; car ce fut la découverte d'une vaste contrée que la géographie ignorait presque complétement et dont on ne connaissait bien ni les fleuves, ni les montagnes, ni le sol, ni le ciel; ce fut un grand peuple, avec ses aptitudes spéciales, qui entra dans la communauté de la civilisation, et que rien n'en détacha depuis. Les peuplades qui parlaient le celtique, langue aryenne, n'étaient pas nées dans la contrée

1. La découverte de l'homme fossile, préhistorique, a donné ces idées une extension dans le temps et l'espace qui n'était pas soupçonnée au moment où j'écrivais ceci.

« PreviousContinue »