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sages de l'Enéide, inventa le vers blanc, que Milton et Thomson adoptèrent, que lord Byron a rejeté.

Thomas More, en latin Morus, étoit, comme son bon roi, poëte et prosateur. La plupart de ses ouvrages sont écrits en latin. La tête du chancelier fut exposée pendant quatorze jours sur le pont de Londres. Henri VIII, dans sa clémence, avoit commué la peine de la potence, prononcée contre l'auteur de l'Utopie, en celle de la déca- | pitation, à quoi le magistrat lettré répondit: « Dieu préserve mes amis de la même faveur ! » A cette époque, dans un espace d'environ | vingt-cinq années, la prose fut moins heureuse que la poésie. Il est difficile de lire avec quelque profit, ou quelque plaisir, Wolsey, Crammer, Habington, Drummond et Joseph Hall, le prédi

cateur.

ÉDOUARD VI ET MARIE.

Édouard VI et la reine Marie, qui succédèrent Édouard VI et la reine Marie, qui succédèrent à Henri VIII et précédèrent Élisabeth, sont aussi comptés au nombre des auteurs dans la Grande

Bretagne. Le jeune roi mort à seize ans, élevé par deux savants de cette époque, John Cheke et Antony Cooke, et enseigné par Cardan, laissa

un journal écrit de sa main et utile à l'histoire. Tenu à l'écart et comme exilé dans sa jeunesse, Édouard jouissoit des loisirs que d'autres princes ont trouvés dans le bannissement en terre étrangère.

ÉLISABETH.

SPENSER.

C'est de l'époque de Spenser que date la poésie angloise moderne. La Fairie Queen est, comme chacun sait, un ouvrage allégorique : il s'agit de douze vertus morales privées, classées comme dans l'Arioste; ces vertus sont transformées en chevaliers, et le roi Arthur est à la tête de l'escadron. La reine des fées, Gloriana, est Élisabeth, et Philippe Sidney, le roi Arthur. Lord Buckhurst, dans le Miroir des magistrats, a pu fournir la première idée de la Reine des fées. La forme du poëme de Spenser est calquée sur l'Orlando et la Ierusalemme. Chaque chant se compose de stances de neuf vers. Les six derniers chants manquent, sauf deux fragments.

L'allégorie fut en vogue dans les lais, réputés

élégants et polis, du moyen âge. Vous trouvez partout dames Loyauté, Raison, Prouesse ; écuyer Désir, chevalier Amour et la châtelaine sa mère, empereur Orgueil, etc. Qui pouvoit mettre ces choses-là dans les esprits des treizième, quatorzième, quinzième et seizième siècles? L'éducation

classique. Elevés parmi les dieux de l'antiquité et au fond d'un monde passé, il sortoit de l'enceinte des colléges des hommes subtils, sans rapport avec la foule vivante. Ne pouvant employer les divinités païennes parce qu'ils étoient chrétiens, ils inventoient des divinités morales; ils faisoient prendre à ces graves songes les mœurs de la chevalerie et les mêloient aux fées populaires ils leur ouvroient les tournois, les châteaux des barons et des comtes, la cour des ducs et des rois, ayant soin de les conduire à Lisieux et à

Édouard étoit zélé réformateur, et sa sœur Marie fut violente catholique : elle ramena de force la nation à la communion romaine. Gardiner et tant d'autres, qui avoient brûlé les catholiques pour la réformation, brûlèrent pour le catholicisme les protestants qu'eux-mêmes avoient faits: on voit ainsi, dans les révolutions, de vieux hom-Pontoise, où l'on parloit le beau françois. mes fidèles à tous les pouvoirs, ranimer leur carcasse pour radoter leur bassesse. Les communes se prostituoient aux volontés de Marie comme elles s'étoient levées aux ordres de son père. On changeoit de foi plus que d'habit; on jura, puis on rejura le contraire de ce qu'on avoit déjà juré; puis on retourna aux premiers serments sous Élisabeth. Combien faut-il de parjures pour faire une fidélité?

Marie a laissé des lettres latines et françoises: Érasme a loué les premières, et elles ne valent rien du tout; les secondes sont illisibles.

Spenser a l'imagination brillante, l'invention féconde, l'abondance rhythmique : avec tout cela ils est glacé et ennuyeux. Nos voisins troud'un vieux style, qui nous plaît tant dans notre vent sans doute dans la Reine des fées ce charme d'un vieux style, qui nous plaît tant dans notre propre langue, mais que nous ne pouvons sentir dans une langue étrangère.

Spenser commença son poëme en Irlande, dans le château de Kilcoman, et dans une con

cession de trois mille vingt-huit acres de terre,

confisqués à la propriété du comte de Desmond. C'est là qu'assis à des foyers qui n'étoient pas les siens, et dont les héritiers erroient sans asile, il célébra la montagne de Mole et les rives de la

Mulla, sans songer que des orphelins fugitifs ne voyoient plus ces champs paternels. Virgile auroit dû se rappeler au poëte:

Nos patriæ fines et dulcia linquimus arva;
Nos patriam fugimus .

On a de Spenser une espèce de Mémoire sur les mœurs et les antiquités de l'Irlande, que je préfère à la Fairie Queen. (Vue sur la situation de l'Irlande, 1633.)

Les Anglois faisoient autrefois le commerce de leurs enfants, et les vendoient, surtout en Irlande. Un concile tenu à Armach, en 1117, par les ecclésiastiques irlandois, déclara« qu'afin ⚫ d'éviter la colère de Jésus-Christ, ennemi de ⚫ la servitude, on affranchiroit dans toute l'île ⚫ les esclaves anglois, et on leur rendroit leur an⚫ cienne liberté. » (WILKINS, Concil., tom. 1oo.) Comment les Irlandois ont-ils été payés de cette résolution de leurs pères? On le sait : le temps de l'affranchissement du Christ est enfin venu pour eux.

SHAKESPEARE.

er

Nous arrivons à Shakespeare! parlons-en tout à notre aise, comme dit Montesquieu d'Alexandre.

Je cite seulement ici pour mémoire Everyman, joué sous Henri VIII, l'Aiguille de la mère Garton, par Stell, en 1551. Les auteurs dramatiques contemporains de Shakespeare étoient Robert Green, Heywood, Decker, Rowley, Peal, Chapman, Ben-Johnson, Beaumont, Fletcher jacet oratio! Pourtant la comédie du Fox et celle de l'Alchimiste, de Ben-Johnson, sont encore estimées.

Spenser fut le poëte célèbre sous Élisabeth. L'auteur éclipsé de Macbeth et de Richard III se montroit à peine dans les rayons du Calendrier du Berger et de la Reine des fées. Montmoreney, Biron, Sully, tour à tour ambassadeurs de France auprès d'Élisabeth et de Jacques I, entendirent-ils jamais parler d'un baladin, acteur dans ses propres farces et dans celles des autres? prononcèrent-ils jamais le nom, si barbare en françois, de Shakespeare? soupçonnèrent-ils qu'il y avoit là une gloire devant laquelle leurs honneurs, leurs pompes, leurs rangs, viendroient s'abîmer? Hé bien! le comédien de tréteaux, chargé du rôle du spectre dans Hamlet, étoit le grand fantôme, l'ombre du moyen âge qui se le

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voit sur le monde, comme l'astre de la nuit, au moment où le moyen âge achevoit de descendre parmi les morts: siècles énormes que Dante ouvrit, que ferma Shakespeare'.

Dans le Précis historique de Witheloke, contemporain du chantre du Paradis perdu, on lit : « Un certain aveugle, nommé Milton, se« crétaire du parlement pour les dépêches latines. >> Molière, l'histrion, jouoit son Pourceaugnac, de même que Shakespeare, le bateleur, grimaçoit son Falstaff. Camarade du pauvre Mondorge, l'auteur du Tartufe avoit changé son illustre nom de Poquelin pour le nom obscur de Molière, afin de ne pas déshonorer son père le tapissier.

Avant qu'un peu de terre obtenu par prière
Pour jamais sous la tombe eût enfermé Molière,
Mille de ses beaux traits, aujourd'hui si vantés,
Furent des sots esprits à nos yeux rebutés.

Ainsi ces voyageurs voilés, qui viennent de fois à autre s'asseoir à notre table, sont traités par nous en hôtes vulgaires; nous ignorons leur nature immortelle jusqu'au jour de leur dispari tion. En quittant la terre ils se transfigurent et nous disent, comme l'envoyé du ciel à Tobie : « Je « suis l'un des sept qui sommes présents devant « le Seigneur. »

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Ces divinités méconnues des hommes à leur passage, ne se méconnoissent point entre elles. « Qu'a besoin mon Shakespeare, dit Milton, pour « ses os vénérés, de pierres entassées par le travail d'un siècle? ou faut-il que ses saintes reli«ques soient cachées sous une pyramide à pointe étoilée ?? Fils chéri de la mémoire, grand héri<< tier de la gloire, que t'importe un si foible témoignage de ton nom? toi qui t'es bâti, à notre merveilleux étonnement, un monument de longue vie.... Tu demeures enseveli dans une << telle pompe, que les rois, pour avoir un pareil tombeau, souhaiteroient mourir. »

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«

What needs my Shakspear, for his hono'd bones,
The labour of an age in piled stones?
Or that his hallov'd reliques should be hid
Under a stary-pointing pyramid?

Dear son of memory, great heir of fame,
What need'st thou such veak witness of thy name?
Thou in our wonder and astonishment
Hast built thyself a live-long monument.

1 Shakespeare écrit lui-même son nom Shakspeare; l'autre orthographe a prévalu. On trouve aussi souvent Shakespear.

C'est la traduction mot pour mot: on peut aussi traduire (par un de ces souvenirs classiques si familiers au génie de Milton) une pyramide dont le sommet frappe les astres, porte les astres, perce les astres.

And so sepulchr'd in such pomp dost lie,
That kings, for such a tomb, would wish to die.

Michel-Ange, enviant le sort et le génie de Dante, s'écrie:

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Pur fuss' io tal!...

Per l'aspro esilio suo con sua virtute,
Darei del mondo il piu felice stato.

Que n'ai-je été tel que lui !... Pour son dur exil « avec sa vertu, je donnerois toutes les félicités « de la terre. »

Le Tasse célèbre Camoëns encore presque ignoré, et lui sert de renommée en attendant la messagère aux cent bouches.

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buon Luigi

Tant' oltre stende il glorioso volo,
Che i tuoi spalmati legni andar men lunge.

« Vasco.

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(LE TASSE.)

ployé son vol glorieux, que tes vaisseaux spal

« més ont été moins loin. »

Est-il rien de plus admirable que cette société d'illustres égaux se révélant les uns aux autres par des signes, se saluant et s'entretenant ensemble dans une langue d'eux seuls connue?

Mais que pensoit Milton des prédictions heureuses faites aux Stuarts à travers le terrible

des croyances, des hommes et des événements de toute une époque; monument semblable à ces cathédrales empreintes du génie des vieux âges, où l'élégance et la variété des détails égalent la grandeur et la majesté de l'ensemble.

L'école classique, qui ne mêloit pas la vie des auteurs à leurs ouvrages, se privoit encore d'un puissant moyen d'appréciation. Le bannissement

du Dante donne une clef de son génie : quand

on suit le proscrit dans les cloîtres où il demandoit la paix; quand on assiste à la composition de ses poëmes sur les grands chemins, en divers lieux de son exil; quand on entend son dernier soupir s'exhaler en terre étrangère; ne lit-on pas avec plus de charme les belles strophes mélancoliques des trois destinées de l'homme après sa mort?

Qu'Homère n'ait pas existé; que ce soit la Grèce entière qui chante au lieu d'un de ses fils, Camoëns a tant dé-je pardonne aux érudits cette poétique hérésie; mais toutefois je ne veux rien perdre des aventures d'Homère. Oui, le poëte a nécessairement joué dans son berceau avec neuf tourterelles; son gazouillement enfantin ressembloit au ramage de neuf espèces d'oiseaux. Niez-vous ces faits incontestables? Comment comprendrezvous alors la ceinture de Vénus? Nargue des anachronismes! Je tiens que la vie du père des fables a été retracée par Hérodote, père de l'histoire. Pourquoi donc serois-je allé à Scio et à le fleuve de Mélésigènes, en dépit de Wolf, de Smyrne, si ce n'eût été pour y saluer l'école et Woold, d'llgen, de Dugaz-Montbel et de leurs semblables? Des traditions relatives au chantre de l'Odyssée, je ne repousse que celle qui fait du poëte un Hollandois. Génie de la Grèce, génie d'Homère, d'Hésiode, d'Eschyle, de Sophocle, d'Euripide, de Sapho, de Simonide, d'Alcée, trompez-nous toujours : je crois ferme à vos mensonges; ce que vous dites est aussi vrai qu'il est vrai que je vous ai vu assis sur le mont Hymète, au milieu des abeilles, sous le portique d'un couvent de caloyers: vous étiez devenu chrétien, mais vous n'en aviez pas moins gardé votre lyre d'or et vos ailes couleur du ciel où se dessinent les ruines d'Athènes.

drame du Prince de Danemark? L'apologiste du jugement de Charles I étoit à même de prouver à son Shakespeare qu'il s'étoit trompé ; il pouvoit lui dire, en ses ervant de ces paroles d'Hamlet : L'Angleterre n'a pas encore usé les souliers avec lesquels elle a suivi le corps! La prophétie a été retranchée : les Stuarts ont disparu d'Hamlet

comme du monde.

QUE J'AI MAL JUGÉ SHAKESPEARE AUTREFOIS.
FAUX ADMIRATEURS DU POETE.

J'ai mesuré autrefois Shakespeare avec la lunette classique; instrument excellent pour apercevoir les ornements de bon ou de mauvais goût, les détails parfaits ou imparfaits; mais microscope inapplicable à l'observation de l'ensemble, le foyer de la lentille ne portant que sur un point et n'embrassant pas la surface entière. Dante, aujourd'hui l'objet d'une de mes plus hautes admirations, s'offrit à mes yeux dans la même perspective raccourcie. Je voulois trouver une épopée selon les règles dans une épopée libre qui renferme l'histoire des idées, des connoissances,

Toutefois si jadis on resta trop en deçà du romantique, maintenant on a passé le but; chose ordinaire à l'esprit françois qui sautille du blanc au noir comme le cavalier au jeu d'échecs. Le pis est que notre enthousiasme actuel pour Sha

kespeare est moins excité par ses clartés que par ses taches; nous applaudissons en lui ce que nous sifflerions ailleurs.

Pensez-vous que les adeptes soient ravis des traits de passion de Roméo et Juliette? Il s'agit bien de cela ! Vous n'avez donc pas entendu Mercutio comparer Roméo à un hareng saure sans ses œufs !

Without his roe, like a drieed herring.

Pierre n'a-t-il pas dit aux musiciens : « Je ne « vous apporterai pas des croches; je ferai de « vous un re, je ferai de vous un fa; notez-moi

bien. »

Il will carry no crotchets; J' ill re you, I'ill fa you; do you note me.

Pauvres gens qui ne sentez pas ce qu'il y a de

la société !

Et toi, Shakespeare, je te suppose revenant au monde et je m'amuse de la colère où te mettroient tes faux adorateurs. Tu t'indignerois du culte rendu à des trivialités dont tu serois le premier à rougir, bien qu'elles ne fussent pas de toi, mais de ton siècle; tu déclarerois incapables de sentir tes beautés, des hommes capables de se passionner pour tes défauts, capables surtout de les imiter de sang-froid, au milieu des mœurs nouvelles.

« nes, des morceaux si grands et si terribles ré« pandus dans ses farces monstrueuses qu'on ap« pelle tragédies, que ces pièces ont toujours été jouées avec un grand succès. >>

Telles furent les premières opinions de Voltaire sur Shakespeare; mais lorsqu'on eut voulu faire passer ce génie pour un modèle de perfection, lorsqu'on ne rougit point d'abaisser devant lui les chefs-d'œuvre de la scène grecque et françoise, alors l'auteur de Mérope sentit le danger. Il vit qu'en révélant des beautés, il avoit séduit des l'alliage de l'or. Il voulut revenir sur ses pas; hommes qui ne sauroient pas, comme lui, séparer tard, et en vain il se repentit d'avoir ouvert la attaqua l'idole par lui-même encensée; il étoit trop porte à la médiocrité, déifié le Sauvage ivre,

placé le monstre sur l'autel.

il

merveilleux dans ce dialogue: la nature ellemême prise sur le fait! Quelle simplicité! quel Irons-nous plus loin dans notre engouement naturel! quelle franchise! quel contraste comme que nos voisins eux-mêmes? En théorie, admidans la vie ! quel rapprochement de tous les lan-rateurs sans réserve de Shakespeare, leur zèle en gages, de toutes les scènes, de tous les rangs de pratique est beaucoup plus circonspect : pourquoi ne jouent-ils pas tout entier l'œuvre du dieu? par quelle audace ont-ils resserré, rogné, altéré, transposé des scènes d'Hamlet, de Macbeth, d'Othello, du Marchand de Venise, de Richard III, etc.? pourquoi ces sacriléges ont-ils été commis par les hommes les plus éclairés des trois royaumes? Dryden assure que la langue de Shakespeare est hors d'usage, et il a repétri avec Davenant les ouvrages de Shakespeare. Shaftesbury déclare que le style du vieux ménestrel est grossier et barbare, ses tournures et son esprit, tout à fait passés de mode. Pope remarque qu'il a écrit pour la populace, sans songer à plaire à des esprits d'une meilleure sorte; qu'il présente à la critique le sujet le plus agréable et le plus dégoûtant. Tate s'étoit approprié le Roi Lear, alors si complétement oublié qu'on ne s'aperçut pas du plagiat. Rowe, dans sa Vie de Shakespeare, prononce aussi bien des blasphèmes. Sherlock a osé dire qu'il n'y a rien de médiocre dans Shakes

OPINION DE VOLTAIRE SUR SHAKESPEARE.

OPINION DES ANGLOIS.

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Voltaire fit connoître Shakespeare à la France. Le jugement qu'il porta d'abord du tragique anglois fut, comme la plupart de ses premiers jugements, plein de mesure, de goût et d'impartialité. Il écrivoit à lord Bolingbroke vers 1730: Avec quel plaisir n'ai-je pas vu à Londres votre tragédie de Jules César qui, depuis cent cinquante années, fait les délices de votre na-peare; que tout ce qu'il a écrit est excellent ou ⚫tion! »

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Il dit ailleurs :

Shakespeare créa le théâtre anglois. Il avoit ⚫ un génie plein de force et de fécondité, de na⚫turel et de sublime, sans la moindre étincelle ■ de bon goût et sans la moindre connoissance des règles. Je vais vous dire une chose hasardée, mais vraie : c'est que le mérite de cet auteur a perdu le théâtre anglois. Il y a de si belles scè

détestable; que jamais il ne suivit ni méme ne conçut un plan, mais qu'il fait souvent fort bien une scène. Lansdown a poussé l'impiété jusqu'à refaire le Marchand de Venise. Prenons bien garde à d'innocentes méprises : quand nous nous pâmons à telle scène du dénoûment de Roméo et Juliette, nous croyons brûler d'un pur amour pour Shakespeare, et nos ardents hommages s'adressent à Garrick. Comme le jeune Diafoirus,

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qu'elle soit venue? »

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Mais, s'il n'est pas raisonnable d'offrir pour modèle, dans les OEuvres de Shakespeare, ce que l'on stygmatise dans les autres monuments de la même époque, il seroit injuste d'attribuer au poëte seul des infirmités de goût et de diction auxquelles son temps étoit sujet.

Écoutons Johnson, le grand admirateur de Shakespeare, le restaurateur de sa gloire : « Sha«kespeare avec ses qualités a des défauts, et des « défauts capables d'obscurcir et d'engourdir tout L'orateur de la chambre des communes con« autre mérite que le sien.... Les effusions de la pare Henri VIII à Salomon pour la justice et la « passion, quand la force de la situation les fait prudence, à Samson pour la force et le courage, «< sortir de son génie, sont, pour la plupart, frap- à Absalon pour la grâce et la beauté. Un autre « pantes et énergiques; mais, lorsqu'il sollicite orateur, de la même chambre, déclare à la reine « son invention, et qu'il tend ses facultés, le fruit Élisabeth que, parmi les grands législateurs, on << de cet enfantement laborieux est l'enflure, la a compté trois femmes : la reine Palestina avant bassesse, l'ennui et l'obscurité, tumour, mean- le déluge, la reine Cérès après, et la reine Marie, « ness, tediousness and obscurity. Dans la nar- mère du roi Stilicus; la reine Élisabeth sera la «ration, il affecte une pompe disproportionnée quatrième. Le roi Jacques Ir parle comme le tra« de diction.... Il a des scènes d'une excellence con- gique lorsqu'il dit à son parlement : « Je suis l'é«tinue et non douteuse; mais il n'a pas peut-être « poux, et la Grande-Bretagne est mon épouse « une seule pièce qui, si elle étoit aujourd'hui légitime; je suis la tête, elle est le corps. L'An« représentée comme l'ouvrage d'un contempogleterre et l'Écosse étant deux royaumes dans « rain, pût être entendue jusqu'au bout. »> « une même ile, je ne puis, moi, prince chrétien, « tomber dans le crime de bigamie.

Sommes-nous meilleurs juges d'un auteur anglois que le célèbre critique Johnson? Et néanmoins, si nous venions dire maintenant en France des choses aussi crues, ne serions-nous pas lapidés? Le malin aristarque n'auroit-il pas raison, quand il soupçonne certains enthousiastes de caresser leurs propres difformités sur les bosses de Shakespeare?

Si vous vous rappelez ce que j'ai dit des changements survenus dans la langue écrite et parlée en Angleterre, et des deux époques où le normand et l'italien envahirent l'idiome anglo-saxon, vous aurez déjà une idée des compositions de l'Eschyle britannique. On y retrouve le mélange des sujets et des styles du Midi et du Nord. Dans les sujets empruntés de l'Italie, Shakespeare transporte le naturel de sentiment des nations scandinaves et calédoniennes ; dans les sujets tirés des chroniques septentrionales, il introduit l'affectation du style des populations transalpines; passant de la ballade écossoise à la nouvelle italienne, il n'a en propre que son génie : ce présent du ciel étoit assez beau pour s'en contenter.

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Le beau style, vers le milieu du seizième siècle, étoit un canevas scolastique et subtil, brodé de sentences, de jeux de mots et de concetti italiens. Élisabeth auroit pu donner à son poëte des leçons de collége; elle parloit latin, composoit des épigrammes en grec, traduisoit des tragédies de Sophocle et des harangues de Démosthène. A sa cour galante, guindée, quintessenciée, pesante et réformatrice, il étoit du bon ton d'entremêler les locutions angloises d'expressions françoises, et d'articuler de manière à laisser un doute dans les sons, pour produire une équivoque dans les mots.

En France, même afféterie: Ronsard est à sa manière une espèce de Shakespeare, non par son génie, non par son néologisme grec, mais par le tour forcé de sa phrase. Les Mémoires, charmants d'ailleurs, de la savante Marguerite ou Margot de Valois, jargonnent une métaphysique sentimentale, qui couvre assez mal des sensations tres-physiques. Un demi-siècle plus tôt, la sour de François Ier avoit donné des contes, lesquels ont du moins le naturel de ceux de Boccace. La Guisiade, de Pierre-Matthieu, tragédie classique, avec des chceurs, sur un sujet national, reproduit

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