Page images
PDF
EPUB

La terre eût d'elle-même abrégé sa culture;

Ils la rendent pour nous & plus longue & plus dure.
L'homme, hélas! en naissant, objet de leurs rigueurs,
N'en reçut que des jours de peine & de sueurs.
Par des labeurs fâcheux sa vie est tourmentée,
Nous payons chèrement les dons de Prométhée.
De l'antique Japet, ce fils industrieux,

En faveur des mortels fut l'émule des Dieux.
Il nous donna le feu, cet aliment du monde,
Des arts & du bonheur, source riche & féconde.
Le Souverain des Cieux, lui-même en fut jaloux,
Et bientôt l'univers éprouva son courroux.

L'instrument le plus doux servit à sa vengeance. D'une jeune mortelle il forma la substance; Lui donna de Vénus la grace & la beauté, De la Reine des Dieux la fière majesté, Le savoir de Minerve & l'esprit de Mercure, Une voix dont le charme attendrit la nature, Une éloquence douce, un cœur plein de desirs, L'art fatal de séduire, & le goût des plaisirs; Tous les talens enfin que l'univers adore: Sourit en la voyant, & la nomma Pandore.

Le meurtrier d'Argus à l'instant la conduit
Chez un sage
mortel qui fut trop tôt séduit.
C'étoit le vertueux, mais foible Epimethée.
Il fut sourd à la voix, aux cris de Prométhée.

Mon frère, lui disoit ce frère tendre & cher,
Crains pour l'homme & pour toi les dons de Jupiter.
Quand il parloit ainsi, la paix la plus profonde,
Le repos sur la terre & le calme sur l'onde,
Promettoient aux humains un éternel bonheur;
Ils ne connoissoient point les maux ni la douleur,
Ni ces tourmens divers, qui même en la jeunesse,
Ne font que trop sentir le poids de la vieillesse.
Dans l'état des mortels, quel changement soudain !
De leurs calamités le règne étoit prochain.
Pandore ouvrit le vase où le courroux céleste
Avoit de ses fléaux caché l'amas funeste;
Cet innombrable essaim s'échappa dans les airs,
Retomba sur la terre & traversa les mers.
Les plaisirs, la santé, la vigueur disparurent;
Les douleurs & la mort en silence accoururent.
L'espérance restoit dans ce vase fatal;
Mais il fut refermé pour accroître le mal.

Persès, écoute encor, & grave en ta mémoire, Des faits que je t'apprends, la merveilleuse histoire. Quand les premiers mortels virent leur premier jour, Saturne étoit le Roi de la céleste cour.

La terre fut alors un séjour de délices;
Les cœurs étoient exempts de foiblesse & de vice;
Leur bonheur égaloit celui des immortels :
Des festins innocens, & des jeux solemnels,
Un travail sans fatigue, un repos sans mollesse,
Tome IV

Leur offroient des plaisirs renouvellés sans cesse; Ils vivoient sans vieillir, & terminoient leur sort Dans la tranquillité d'un homme qui s'endort.

Tel fut le siècle heureux des moeurs, de l'abondance, Siècle d'or, ou plutôt siècle de l'innocence. Mais il dura trop peu: cette race d'humains Mourut, & fut admise à des honneurs divins. D'un corps aërien les Dieux les revêtirent; Ces êtres surveillans par-tout se répandirent, Observant des mortels les plus secrets penchans 3: Toujours amis des bons, ennemis des méchans ; Rien ne leur échappoit, vertus, vices, foiblesses, Et seuls ils disposoient des biens & des richesses. C'étoient là les devoirs utiles & flatteurs, De ces esprits divers que l'homme eut pour tuteurs.

Le Ciel, dans ses bienfaits devenu moins facile, Fit le siècle d'argent, race abjecte & débile; Mortels peu ressemblans à ceux de l'âge d'or, Ils n'avoient des premiers, ni le sublime essor, Ni ce front, ni ces traits pleins de vie & de flamme, Ni la force du corps, ni la vigueur de l'ame. Tout en eux étoit foible, & l'esprit & le cœur.. Durant un siècle entier, consumés de langueur, Sous les yeux de leur mère, ils traînoient leur enfance; Leurs vices commençoient avec l'adolescence: Des plaisirs insensés en abrégeoient le cours;

Ils dégradoient l'usage, & le prix de leurs jours.
Plongés dans mille erreurs, souillés de tous les vices,
Ils n'offroient aux autels, ni voeux, ni sacrifices.
Pour venger la vertu, la justice & les Dieux,
La terre ensevelit ces mortels odieux.

Mais tout dégénéroit dans la nature humaine;
Les Dieux n'y découvroient que des objets de haine,
Et le siècle d'argent, promptement éclipsé,
Par le siècle d'airain fut bientôt remplacé.
Cet âge, pire encor que le second des âges,
Enfanta des mortels violens & sauvages,
Dont la force terrible, & l'affreuse grandeur
Annonçoient de leur corps l'énorme pesanteur.
Ils n'aimoient, ne vouloient, ne cherchoient que la guerre;
Sans intérêts communs ils ravageoient la terre.
Par la nature seule en naissant aguerris,

Grossiers comme la brute, & comme elle nourris,
Ils construisoient d'airain leurs retraites impures;
Ils en formoient aussi leurs outils, leurs armures.
Le fer étoit alors ignoré des humains.

Ces brigands séparés, l'un de l'autre assassins,
D'une égale fureur en tous lieux s'attaquèrent;
Tous, jusques au dernier, sous le glaive expirèrent :
Nul n'évita la mort, & leur chûte aux enfers,
De ce honteux fardeau délivra l'univers.

Jupiter produisit une race nouvelle,
Digne par ses exploits de son amour pour elle,

Des hommes illustrés par des faits glorieux,
Nation de héros, peuple de demi-Dieux.
Mais la discorde, hélas! aux Rois souvent fatale,
Les embrasa du feu de sa torche infernale.
Près de Thèbes, les uns par un arrêt du sort,
Pour les enfans d'Edipe affrontèrent la mort;
Leur trépas termina cette guerre inhumaine.
Les autres, pour punir le ravisseur d'Hélène,
Traversèrent les flots au milieu des hazards;
Ilion sous leurs coups vit tomber ses remparts.
Le fils du vieux Saturne, à ces ames bien nées,
Accorda le séjour des isles fortunées,

Au sein de l'Océan, loin de tous les mortels;
Et c'est-là qu'oubliant leurs combats si cruels,
Dans des plaisirs divins ils goûtent sans allarmes,
D'une éternelle paix les ineffables charmes,
Et cueillent trois fois l'an sur ces bords enchanteurs,
Les fruits les plus vantés & les plus belles fleurs.

Pourquoi le cinquième âge a-t-il vu ma naissance? Pourquoi suis-je témoin de l'horrible licence, Qui, dans cet âge affreux, règne de toute part? Hélas! je devois naître ou plutôt ou plus tard. C'est le siècle de fer, ou le siècle des crimes. Les noeuds les plus sacrés & les plus légitimes, Sont rompus & souillés par de honteux forfaits; Le père dans son fils ne connoît plus ses traits; A son frère, à sa sœur, le frère ôte la vie.

De

« PreviousContinue »