deux césures; d'autres au contraire marcher facilement sans en avoir. La lecture des poëtes aplanira entièrement cette difficulté. Il n'est pas exact de dire, comme le prétendent la plupart des Prosodies, que plus un vers a de cẻsures, plus il est harmonieux. D'abord ce précepte ne doit pas être pris à la lettre, puisqu'un vers qui aurait cinq césures serait fort mauvais. Mais interprétant la règle, et entendant par là que les vers qui ont trois césures sont les meilleurs, nous dirons que les poëtes ne sont pas si jaloux de donner trois césures à leurs vers. On n'en voit que deux dans cette coupe harmonieuse, si souvent employée par les poëtes postérieurs au siècle d'Auguste : Inferni raptoris equos. CL. En parlant de la Cadence1, nous indiquerons des cas où l'oreille a demandé que telle ou telle césure fût supprimée. 1. Pag. 165. DE L'HARMONIE EN GÉNÉRAL. Si l'harmonie du style est nécessaire à l'éloquence, elle l'est bien plus encore à la poésie. Le poëte, en adoptant le rhythme cadencé du vers, s'est engagé à offrir à l'oreille un charme qu'elle ne trouvait pas dans la prose: à plus forte raison doit-il, à l'exemple de l'orateur, choisir, parmi les mots qui se présentent à lui, ceux qui sont les plus doux à prononcer, et faire en sorte que leur mélange produise encore une agréable impression. Il sera parlé plus tard de l'harmonie imitative; nous verrons alors quelles restrictions il faut mettre au précepte général. L'harmonie a pour juge le sentiment, et ne peut guère être soumise à l'analyse. Qui serait insensible à la douceur de ces vers? Tityre, tu patulæ recubans sub tegmine fagi, Nos patriam fugimus; tu, Tityre, lentus in umbrâ, Ver erat æternum, placidique tepentibus auris 1° L'harmonie demande que l'on évite de placer de suite deux consonnances pareilles1, comme: Quis tamen exiguos elegos emiserit auctor. H. 1. Horace a dit: Et superjecto pavidæ natârunt Æquore damæ; et Virgile Timidi damo cervique fugaces. Servius fait cette remarque sur ce dernier exemple: Mutavit genus, ut vitaret homœoteleuton (c'est-à-dire 1 Remarque. Cependant quand c'est la voyelle a qui se trouve répétée, la consonnance n'est pas vi cleuse: Nullaque mortales, præter sua, littora nôrant. O. 2 Remarque. Il faut éviter, mais pourtant sans la proscrire absolument, cette fin de vers si facile, où deux mots féminins ou neutres se suivent immédiatement: Jam subeunt Triviæ lucos atque aurca tecta. V. On doit tâcher alors d'ajouter un mot après les deux désinences semblables: Cornaque et in duris hærentia mora rubetis. 0. 3 Remarque. Quand les deux syllabes de consonnance pareille ne sont pas le même cas d'un nom et d'un adjectif, elles peuvent être admises 1 : Quinquaginta atris immanis hiatibus hydra. V la désinence semblable timidæ dama). Il fait la même observation sur cet autre passage: Equidem et vivis concedere vellem; Nec veni, nisi fata locum sedemque dedissent. V. pour venissem. 1. Bentley dit à cet égard (ad Horat. Od. II, 14, 27): Non similia refugiunt summi poetæ, ubi, etsi non litteris, pronuntiatione tamen differunt; ut Noster, Od. I, 2. Jam satis terris nivis; Virg. Æternis regis imperiis. Noster iterum, Od. III, 7. Noctes non sine multis Insomnis lacrimis agit. 2. On verra dans les exemples suivants qu'il eût été bien facile de faire disparaître la consonnance, si elle eût choque les Latins: Dulcis compositis spiravit crinibus aura, Tunc tua vel mediis puppis luctetur in undis. Prop. VERSIFICATION LATINE 11 2o Il faut éviter une accumulation de consonnances semblables, comme dans cet exemple : Pacem me exanimis, et Martis sorte peremptis Oratis. V. 3o Une suite de mots qui offrent le retour fréquent de la même lettre, blesse l'oreille : Sæcula? V. Quæ te tam læta tulerunt Quis novus hic nostris successit sedibus hospes? V. Remarque. Deux syllabes pareilles dont l'une finit un mot et l'autre commence le mot suivant, ne paraissaient point dures à l'oreille des Latins1. Dans les exemples suivants, un simple déplacement de mots eût faire éviter cette consonnance pu Multa patri portanda dabat mandata. V. Agnovit longè gemitum præsaga mali mens. V. 4 Trop de monosyllabes placés de suite donnent de la dureté au vers: Non sterilis locus ullus ita est, ut non sit in illo Mixta ferè duris utilis herba rubis. 0. 5° Les monosyllabes que, ve, ne, se mettent bien après une et un e long, mais c'est une faute réelle de les placer après un e bref2: Abstractæque boves abjuratæque rapinæ. V. 1. Voyez la note à la fin du volume. 2. On s'étonne que cette règle ait été omise par la plupart des proso Tantæne animis cœlestibus iræ? V. Amissis, ut fama, apibus morboque fameque. V. Non mihi Dulichium domus est, Ithaceve, Sameve. O. Horace et Tibulle ont eu tort de mettre : Retinere velis, servareque amicos. H. Taleque sub nostro carmine nomen erit. TIB. 6o Deux vers où nous trouvons une rime1 offrent une mauvaise consonnance: Quem vero arripuit, tenet occiditque legendo, Si le sens n'est pas complet à la fin des deux vers, la consonnance est peu sensible, et l'emploi n'en est pas interdit: Interea medium Æneas jam classe tenebat Certus iter, fluctusque atros Aquilone secabat. V. 7° On appelle léonins 2 les vers dont la fin rime avec la césure penthémimère. Assez souvent cette césure offre une épithète rimant avec le substantif qui termine le vers: Agricola incurvo terram molitus aratro. V. Quod nisi et assiduis terram insectabere rastris. V. dies. Cette succession se présente souvent au versificateur, et cependant on ne verra pas une seule fois Virgile l'admettre, à l'exemple de Lucrèce. A plus forte raison les poëtes postérieurs à Virgile s'en sont-ils abstenus. 1. Il ne faut pas croire que ces vers rimaient pour l'oreille des Latins comme pour la nôtre la dernière syllabe n'étant pas accentuée, ne ressortait point dans la prononciation. Voyez ci-après De l'Accent. 2. Ils sont ainsi nommés d'un poète du XIIe siècle, Leonius, qui les mit en honneur. |