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II. DE LA COMPARAISON.

Il s'agit ici, non plus de reproduire l'idée de la matière sous d'autres formes, mais de trouver une nouvelle idée qui ait du rapport avec la première, de présenter parallèlement deux objets qui se ressemblent. Quoique la comparaison convienne plus particulièrement au style épique, elle trouve encore sa place dans les autres genres de poésie : elle éclaire, colore, embellit son objet, souvent l'élève et l'agrandit.

Si la comparaison présente une image simple et fidèle, elle atteint son but. On a cité bien des fois ces beaux vers de Virgile où Didon, égarée par l'amour, est comparée à une biche qui fuit, emportant le trait enfoncé dans son flanc :

Qualis conjectâ cerva sagittâ,

Quam procul incautam nemora inter Cressia fixit
Pastor agens telis, liquitque volatile ferrum
Nescius illa fugâ silvas saltusque peragrat
Dictæos; hæret lateri letalis arundo.

Lucain dit que Pompée dans sa vieillesse était encore entouré du respect des Romains, qui n'avaient pas oublié sa jeunesse triomphante. Il le compare à un vieux chêne chargé d'offrandes et de trophées :

Qualis frugifero quercus sublimis in agro,
Exuvias veteres populi sacrataque gestans
Dona ducum; nec jam validis radicibus hærens,
Pondere fixa suo est; nudosque per aera ramos

Effundens, trunco, non frondibus efficit umbram :
At, quamvis primo nutet casura sub Euro,

Tot circùm silvæ firmo se robore tollant,

Sola tamen colitur.

On ne peut trouver un rapport mieux saisi et plus poétiquement exprimé.

Un poëte moins connu, et qui ne manque pas

de

comparaisons heureuses, Stace, peignant le désespoir d'Hypsipyle, lorsqu'elle aperçoit Archémore, son nourrisson, baigné dans son sang, ajoute:

Ac velut aligeræ sedem fetusque parentis
Quum piger umbrosâ populatus in ilice serpens,
Illa redit, querulæque domûs mirata quietem,
Stat super impendens, advectosque horrida mosto
Excutit ore cibos: quum solus in arbore carâ
Sanguis, et errantes per capta cubilia plumæ.

Nous avons dit que la comparaison agrandit quelquefois son objet. Horace compare Drusus à l'oiseau qui porte le tonnerre:

Qualem ministrum fulminis alitem,
Cui rex deorum regnum in aves vagas
Permisit, expertus fidelem

Jupiter in Ganymede flavo,

Olim juventas et patrius vigor
Nido laborum propulit inscium,
Vernique, jam nimbis remotis,
Insolitos docuere nisus

Venti paventem; mox in ovilia
Demisit hostem vividus impetus;
Nunc in reluctantes dracones

Egit amor dapis atque pugnæ.

Enée se dispose à partir pour la chasse: on le prendrait, dit le poëte, pour Apollon. Quelle noble idée cette comparaison nous donne du héros!

Qualis, ubi hibernam Lyciam Xanthique fluenta
Deserit, ac Delum maternam invisit Apollo,
Instauratque choros, mixtique altaria circum
Cretesque Dryopesque fremunt pictique Agathyrsi :
Ipse jugis Cynthi graditur, mollique fluentem
Fronde premit crinem fingens, atque implicat auro;
Tela sonant humeris. V.

En général la comparaison présente une image. Telles sont celles que nous fournit l'antiquité. Les auteurs modernes ont quelquefois renversé ce rapport, et comparé des objets sensibles à des objets

immatériels. On lit dans le Télémaque : « Les vents «< commencèrent à s'apaiser, et la mer mugissante «< ressemblait à une personne qui, ayant été longtemps irritée, n'a plus qu'un reste de trouble et « d'émotion. Elle grondait sourdement, etc. » L'illustre auteur du Génie du Christianisme, a dit: Quelquefois une haute colonne se montrait seule « debout dans un désert, comme une grande pen«sée s'élève, par intervalles, dans une âme que le temps et le malheur ont dévastée. »

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Quand on compare deux objets, il faut choisir les points de contact, et abandonner tout le reste : la comparaison doit cesser où cesse le rapport. Homère se laisse souvent entraîner au plaisir de compléter un tableau par des traits étrangers au premier terme de la comparaison; mais chez les nations modernes, qui jugent tout avec une raison sévère, cette abondance serait condamnée.

Les comparaisons pèchent par défaut de justesse: l'auteur alors s'est mépris sur la ressemblance de deux objets, et a rapproché des choses disparates. Par défaut de force c'est lorsque le second terme du rapport ne rend qu'imparfaitement l'idée que nous nous faisons du premier: indigne de ce parallèle, il rapetisse ce qu'il devrait agrandir, et affaiblit l'impression que l'on aurait sans lui. Par défaut de noblesse: une comparaison basse dégrade le premier objet du rapport. On a reproché à Virgile d'avoir comparé Amate, agitée par les plus vives inquiétudes, à la toupie que l'enfant fouette sans relâche. Par défaut de convenance: la comparaison ne peut pas s'employer indistinctement dans

1. Cette sorte de comparaison entre un objet physique et une idée abstraite appartient à une civilisation plus avancée. Aussi a-t-on remarqué comme une chose curieuse qu'Homère en ait fait usage dans l'Odyssée, quand il compare la rapidité des vaisseaux à celle de la pensée :

Τῶν νέες ὠκεῖαι ὡσεὶ πτερὸν ἠὲ νόημα (VII, 36).

tous les cas. Placée mal à propos, elle produit un mauvais effet. Dire qu'elle marque toujours un travail de l'esprit, c'est la proscrire de tous les cas où l'on ne demande qu'un élan du cœur. Pour en déterminer l'emploi, nous ne saurions mieux faire que de citer les judicieuses observations de Marmontel: << Plus l'âme est occupée de son objet direct, moins « elle regarde autour d'elle; plus le mouvement qui l'emporte est rapide, plus il est impatient des ob<< stacles et des détours; enfin, plus le sentiment a << de chaleur et de force, plus il maîtrise l'imagina«<tion et l'empêche de s'égarer. Il s'ensuit que la << narration tranquille admet des comparaisons fré« quentes; qu'à mesure qu'elle s'anime, elle en veut << moins, les veut plus concises et aperçues de plus « près; que dans le pathétique elles ne doivent être « qu'indiquées par un trait rapide; et que, s'il s'en « présente quelques-unes dans la véhémence de la passion, un seul mot les doit exprimer.

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DE L'IMITATION.

o imitatores, servum pecus!

a dit Horace; et par là il a condamné ces écrivains timides qui, se traînant toujours sur les traces des autres, n'osent avoir une pensée qui leur appartienne, et dont l'esprit inactif et stérile n'est occupé qu'à choisir entre leurs dépouilles. Mais Horace, qui lui-même devait tant aux Grecs, savait bien pardonner une imitation légitime, celle qui consiste à s'approprier la pensée d'un auteur pour la reproduire avec avantage.

I. CHEZ LES ANCIENS.

Virgile imita ses devanciers; mais la supériorité de son style déguisait ces emprunts. Cependant on lui reprocha de leur dérober des expressions, et quelquefois des vers entiers. Ainsi Lucrèce avait dit avant lui: Ere renidescit tellus (lib. II, 326. Virg. G. II, 282); æterno devinctus vulnere amoris (I, 35. Æ. VIII, 394); si fert ita fortè voluntas (III, 44. — Æ. VI, 675); simulacra modis pallentia miris (I, 124. - G. I, 477).

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Les poëtes postérieurs à Virgile, tout en l'imi

1. Virgile modifia légèrement quelques-unes de ces expressions: Fluctuat omnis Ere renidenti tellus; æterno devinctus amore; si fert ita

corde voluntas.

Nous ne parlons pas ici des larcins qu'il fit aux vieux poëtes Ennius, Attius, etc. On peut voir à ce sujet les remarques des grammairiens. Macrobe (VI, 2) nous apprend, entre autres choses, que le passage du 1er livre de l'Enéíde où Vénus implore Jupiter en faveur des Troyens battus par la tempête, avait été emprunté par Virgile au poëme de Névius (Bellum Punicum). Catulle, qui ne l'avait précédé qué de quelques années, fournit aussi à son imitation.

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