d'Hippolyte voilà ce qui doit sans cesse occuper, émouvoir le poëte. Mais il est calme; il fait des frais d'esprit, quand on lui demande des sentiments. En outre, il n'y a point de gradation dans ce tableau: tremuere terræ est le trait le plus fort; venator horret est le plus faible. Ovide avait dit: Ipsa quoque immunis, rastroque intacta, nec ullis Claudien paraphrase cette idée. Cérès annonce à la Sicile que, pour gage de sa reconnaissance, elle lui donne en partage la fécondité : Præmia digna manent: nullos patiêre ligones, Et nullo rigidi versabere vomeris ictu; Sponte suâ florebit ager; cessante juvenco, Ditior oblatas mirabitur incola messes. Jupiter fait un signe de tête, et tout l'Olympe est ébranlé : Annuit, et totum nutu tremefecit Olympum. V. C'est bien autre chose à la voix de Pluton Talia celso Ore tonat tremefacta silent, dicente tyranno, Comparons à cet exemple un passage de Virgile qui y ressemble au premier coup d'œil: le poëte décrit les enfers émus par les accents d'Orphée: Quin ipsæ stupuere domus atque intima Leti Eumenides; tenuitque inhians tria Cerberus ora, Il y a beaucoup à remarquer en faveur du chantre d'Aristée: 1° Il a précédé Claudien, qui, on le voit, avait lu son devancier; 2o Le modèle ne présente pas l'harmonie emphatique de la copie; 3° En quatre vers, Virgile a renfermé beaucoup plus d'idées que son imitateur : tous les enfers sont sous nos yeux : bourreaux, victimes, rien n'est omis; et Claudien, qui Souvent pour ne rien dire ouvre une bouche immense, répète trois fois que les fleuves des enfers furent troublés; 4° Enfin, et cette différence est capitale, Virgile décrit un fait extraordinaire; il doit insister sur son idée pour bien nous pénétrer de ce pouvoir miraculeux de l'harmonie; au lieu que Pluton parle tous les jours pourquoi tout ce luxe de développements? Virgile, comme nous l'avons vu, et Homère qu'il imitait, n'ont pas mis cinq vers pour dire que Jupiter fait trembler l'Olympe d'un signe de tête. 1. Ovide, traitant le même sujet, a dit : Talia dicentem, nervosque ad verba moventem, Les détails sont ici plus abondants que dans Virgile, et pourtant ils me semblent à l'abri de la critiqué : ce qui n'est qu'un objet secondaire dans le récit de Protée, est le fond même du sujet dans les Métamorphoses. 1° AMPLIFICATION. Les articles précédents offraient des développements que le goût réprouve. En parlant plus haut de l'amplification, nous avons donné des exemples et non des préceptes. Revenons sur cette importante matière, et ne nous contentons pas d'indiquer l'amplification comme une ressource poétique, mais justifions-en l'emploi. Nous allons voir quel parti elle sait tirer des idées suivantes. Trojam relinquo : Littora quum patriæ lacrimans portusque relinquo, Postquam Troja cecidit : Postquam res Asiæ Priamique evertere gentem Utinam sub manibus Troja cecidissem : Non potuisse, tuâque animam hanc effundere dextrâ, Clamorem tollit (Polyphemus), quo omnia circùm intremuere : Clamorem immensum tollit, quo pontus et omnes Intremuere undæ, penitusque exterrita tellus Italiæ, curvisque immugiit Etna cavernis. V. Voyez cette idée: Bellorum reliquias arator inveniet, amplifiée dans les Géorgiques : Scilicet et tempus veniet quum finibus illis L'amplification est une manière d'insister fortement sur une idée : or, l'idée doit mériter ce privilége. Si l'on veut rendre un sentiment profond ou présenter un tableau pittoresque, le goût demande qu'on choisisse tous les traits qui pourront communiquer au lecteur cette impression énergique, ou mettre sous ses yeux cette peinture vivante; mais si l'amplification recouvre une idée secondaire, accessoire, de peu de valeur, elle glace l'intérêt, et fatigue l'esprit, dont la juste impatience s'élance au delà. : c'est Examinons les exemples précédents, pour reconnaître si l'amplification a été légitime. 1° Nous voyons d'abord le regret cuisant de fuir la patrie l'idée est touchante la développer prolonger l'émotion. 2o Cette pompe et cette richesse dans l'expression nous pénètrent de la grandeur de Troie, et nous compatissons davantage à sa chute. 3° Quelle consolation pour un héros de reposer auprès de tant de héros! Enée justifie à nos yeux son regret, en énumérant tant de nobles victimes. 4° Virgile veut rendre d'une manière frappante la voix redoutable de Polyphème: pouvait-il mieux y réussir qu'en montrant toute la nature ébranlée, pour ainsi dire, par un cri du cyclope? 5° Enfin le poëte semble agrandir les désastres des guerres civiles, en comptant tous les débris que le soc doit heurter. On voit que tous ces développements sont autorisés et même exigés par le sujet. Qu'on les retranche, et l'on verra tout ce que l'idée perd de force, de grandeur, de pathétique. 2o ÉNUMÉRATION DES PARTIES. Nous en avons déjà cité deux exemples (chap. XII, page 61). Dans le premier, Enée contemple la nouvelle Troie qu'Andromaque a fait bâtir pour charmer son exil. Combien il doit se complaire à ce touchant spectacle! Il examine jusqu'aux moindres détails : le Xanthe, la porte Scée, rien n'échappe à sa curieuse ivresse, et les détails donnés par le poëte font passer en nous la vive émotion dont chaque objet remplit son héros. L'autre développement avait pour but de faire ressortir le bonheur de la vie champêtre. Ce bonheur paraîtra d'autant plus grand que le poëte aura décrit avec plus d'abondance et de pompe les carrières les plus brillantes et les plus enviées. Voyons de nouveaux exemples, auxquels nous appliquerons ces règles de critique. Virgile énumère les divinités qui siégent à la porte des enfers: Vestibulum ante ipsum, primisque in faucibus orci, Pallentesque habitant Morbi, tristisque Senectus, Ovide chante le retour du printemps: Omnia tunc florent, tunc est nova temporis ætas : |