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aurons le droit de parler des stigmates, de dresser la liste des anomalies ou des lésions morbides qui accompagnent nécessairement la dégénérescence mentale, certaines conditions étant données. La notion de stigmate pourra même s'étendre à toute modification congénitale.

Nous n'en sommes pas là; nous en sommes même très loin. Outre que nous ignorons le plus souvent sous quelle influence se sont produits les caractères anormaux ou morbides, nous n'avons presque aucune indication sur la nature des relations qui s'établissent entre les incidences actuelles et les divers états de l'organisme embryonnaire ou foetal.

La difficulté est encore accrue par la multiplicité des conditions susceptibles d'entrer en jeu. Si, dans bien des circonstances, les modifications subies par un individu résultent de l'intervention d'un seul et même agent, il est d'autres circonstances où il n'en est pas ainsi. Parfois, en effet, l'organisme est successivement soumis à plusieurs actions différentes, chacune d'elles déterminant une réaction spéciale. Même, il advient que parmi les diverses incidences l'une au moins, au lieu d'intervenir d'une façon générale et de se localiser sur un ou plusieurs points, ne contracte avec l'organisme que des rapports purement locaux. Dans tous les cas, qu'elles résultent d'actions locales ou localisées, les réactions de l'organisme sont alors dans la plus complète indépendance vis-à-vis les unes des autres. Leur coexistence est le fait de la coexistence ou de la séquence fortuite de plusieurs facteurs externes indépendants. C'est seulement dans des conditions bien déterminées leurs assez bien connues qu'un caractère étant donné on est en droit d'en inférer l'existence d'un autre caractère c'est lorsque deux organes étant normalement unis par un lien corrélatif, il est avéré que l'un ne peut varier sans l'autre. Mais ces cas ne sont pas absolument fréquents; on peut en dresser la liste assez courte. Dans cette liste, hâtons-nous de le dire, l'axe nerveux ne figure à aucun titre tout au moins chez l'homme 1.

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et d'ail

A part ces cas peu nombreux, on ne peut donc, à l'heure actuelle, parler de « stigmates », qu'il s'agisse de dégénérescence mentale ou de toute autre modification organique, puisque nous ignorons profondément l'origine vraie de la coexistence des modifications observées. Nos connaissances se bornent à savoir que deux anomalies ou altérations peuvent avoir une origine commune et que l'une de ces

1. Il ne saurait être question, bien entendu, des actions de voisinage purement mécaniques compression par une ébauche hypertrophiée, vide résultant d'une ébauche absente, etc.

altérations peut être la dégénérescence mentale; mais ce dernier cas n'est que la réalisation d'une possibilité entre une infinité d'autres. En réalité, la constatation précise d'une anomalie ou d'une altération morbide n'est qu'une vague, très vague présomption, permettant de supposer l'existence, non pas de telle anomalie ou de telle altération morbide mais d'une anomalie ou d'une altération morbide absolument quelconque, siégeant n'importe où sur le corps de l'individu. Et il n'y a là qu'une présomption, car, même dans ces limites, la coexistence n'est pas nécessaire.

Dans ces conditions, nous sommes strictement réduits, pour reconnaitre avec quelque certitude la dégénérescence mentale, à la recherche des signes directs que nous indiquions en commençant. Ces signes directs traduisent exactement l'imperfection du système nerveux, ils sont la manifestation sensible de cette imperfection. S'appuyer sur d'autres signes, sur des « stigmates anatomiques », c'est s'appuyer sur des possibilités contingentes d'une réalisation peu fréquente, c'est courir le risque d'appliquer le diagnostic de dégénéré à des individus qui sont ou ne sont pas normaux, mais qui, dans tous les cas, ne sont malades à aucun degré.

Au surplus, en étudiant prochainement les conséquences individuelles de la dégénérescence, nous aurons l'occasion d'examiner en détail un autre moyen de diagnostic, celui qui consiste à considérer comme dégénéré quiconque est atteint d'une maladie nerveuse dans le cours de son existence. Nous tâcherons de montrer, à ce moment, que ce moyen n'apporte avec lui aucune certitude et, derechef, nous conclurons que les signes directs seuls permettent d'arriver au diagnostic avec toute la précision possible en pareille matière.

REV. DE L'ÉC. D'ANTHROP.

TOME XIV. 1904.

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LA MASCULINITÉ DES DÉPARTEMENTS MÉDITERRANÉENS1.

Bertillon père a établi, il y a longtemps, la forte mortalité des enfants de 0-1 an dans les départements riverains de la Méditerranée.

A ce propos l'esprit se pose les questions suivantes :

Cette forte mortalité dure-t-elle toujours? s'est-elle aggravée? a-t-elle diminué?

Tient-elle à ce que les enfants sont plus mal soignés que dans le reste de la France ou à ce qu'ils sont atteints, comme le sont, prétend-on, les petits Parisiens, de débilité congénitale?

Quel est, dans ces départements, l'état de la morti-natalité et de la masculinité?

Un travail bien conduit sur ce sujet, c'est-à-dire suffisamment étendu et suffisamment précis, serait considérable.

En attendant de pouvoir le mener à bien, voici une ébauche de l'étude de la masculinité pendant la dernière décade du XIXe siècle, dans les huit départements suivants, classés par ordre géographique Pyrénées-Orientales, Aude, Hérault, Gard, Bouches-du-Rhône, Var, Vaucluse, Alpes-Maritimes. Ce n'est qu'une ébauche. Les chiffres exprimant les moyennes régionales et décennales sont des moyennes de moyennes, calcul abrégé et en quelque sorte cursif, qui demande à être refait selon la méthode orthodoxe, mais qui, tel qu'il est, vaut mieux que rien et suffit même à fixer avec une précision suffisante les idées sur l'état général de la masculinité.

Masculinité dans les départements méditerranéens.

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Pyrénées-Orientales. 105,7 99,7 101.9 103,3 102,7 105,7 101,5 103,8 103,3 104,8

Aude.
Hérault.
Gard

104,2 104,1 105,9 103,0 99,1 103,7 110,6 105,7 101,0 107,8 106,9 100,9 99,6 106,5 105.0 98,6 103,6 103,6 106,7 104,8 98,9 105,0 104,S 101,5 103,9 102,9 104,5 102,3 107,4 101,1 Bouches-du-Rhône. 105,4 103,2 105,8 104,7 102,2 105,4 104,3 105,1 104,5 101,4

Var

103,24

104,51

103,62

103,23

104,20

103,57

104,05

104,3 102,0 107,0 101,7 101,1 101,1 106,2 105,3 104,8 102,2 Vaucluse.. 105,4 108,9 106,6 100,6 104,8 102,3 102,9 101,8 108,0 99,2 Alpes-Maritimes 107.5 108,1 106,6 99,7 106,5 102,4 107,7 106,7 103,7 103,2 105,21 Moyenne régionale. 104,8 104,0 104,8 102,6 103,1 102,7 105,1 105,5 104,9 103,1 104,06

1. Notre collègue et ami, le D' Manouvrier, nous a remis, en nous autorisant à en publier dans la Revue de l'École ce que nous jugerions convenable, quelques manuscrits inédits laissés par le regretté Arsène Dumont, et que celui-ci, dans son testament, lui avait confiés. Le petit travail sur la masculinité des départe ments méditerranéens, que nous donnons aujourd'hui, est daté du 12 mai 1902; c'est sans doute le dernier qu'ait écrit le savant et laborieux démographe.

(N. D. L. R.)

On voit, d'après son expression la plus générale, concernant la période entière dans la région entière, qu'elle est de 104,06 seulement, c'est-à-dire inférieure d'une unité à la moyenne nationale. Tandis que, dans les divers États européens, la masculinité montre une tendance à s'accroître à mesure que l'on descend vers le sud, en France il n'en va pas ainsi. Ce qui montre ou bien que l'action du climat sur ce phénomène n'existe pas, ou bien, si elle existe, qu'elle est masquée et dominée par une autre action beaucoup plus puissante.

Une seconde remarque utile, c'est que la masculinité varie plus dans le temps que dans l'espace. Les différences d'une année à l'autre pour toute la région sont plus grandes que les différences d'un département à l'autre pour toute la période. Les Pyrénées-Orientales et le Gard, qui ont la masculinité la plus basse de la région : 103,24 et 103,23, sont de deux unités seulement au-dessous des Alpes-Maritimes, qui ont 103,21, tandis que l'année 1893, qui présente une masculinité de 102,6, descend de 2,9 au-dessous de l'année 1897, qui offre une masculinité de 105,5. Cette circonstance tend à faire penser que les causes de la masculinité contrairement à ce que d'autres études partielles m'avaient porté à admettre, au moins d'une façon provisoire ne sont pas d'ordre géographique, topographique et permanent, ou que ces causes permanentes sont dominées et modifiées par l'intercurrence de causes variables selon les années et les sai

sons.

Ce fait semblerait encore plus saillant si l'on éliminait de la région le département des Alpes-Maritimes qui, avec sa population d'alluvion et de passage, sa nombreuse colonie italienne, se trouve dans des conditions démographiques sans analogie avec les autres départements méditerranéens. Alors la différence entre celui qui présente la masculinité la plus forte et celui qui présente la masculinité la plus basse serait seulement de 1,3, et la moyenne de cette région méditerranéenne, ainsi réduite à sept départements, tomberait au-dessous de 104, exactement à 103,7. C'est donc un pays de masculinité faible.

Elle descend à son minimum, comme nous l'avons déjà dit, dans le Gard: 103,23, et les Pyrénées-Orientales: 103,24, et elle est à peine un peu plus élevée dans le Var : 103,57, et dans l'Hérault : 103,62. C'est donc dans ces quatre départements, maximum du genre, qu'il faudra chercher les causes de cette faiblesse de la masculinité et étudier les phénomènes concomitants susceptibles d'en fournir l'explication.

Les oscillations d'une année à une autre, qui s'élèvent, nous l'avons vu, à 2,9 pour toute la région, sont naturellement beaucoup plus considérables encore dans chaque département.

Dans les Pyrénées-Orientales, la masculinité s'élève une année à 105,7 et descend pendant une autre à 99,7 différence, 6,0.

Dans l'Aude, la masculinité atteint le maximum 110,6 et descend au minimum 99,1: différence 10,5,

Dans l'Hérault, elle s'élève au maximum 106,9 et descend au minimum 98,6 différence, 8,3.

Dans le Gard, elle s'élève au maximum 107,4 et descend au minimum 98,9 différence, 8,5.

Dans les Bouches-du-Rhône, la variation est moindre de 4,4 seulement entre le maximum 105,8 et le minimum 101,4.

Mais dans le Var la masculinité atteint comme maximum 107,0 et descend au minimum 101,1: différence, 5,9.

Dans la Vaucluse, elle s'élève au maximum 108, 5 et descend au minimum 99,2 différence, 9,3.

Enfin dans les Alpes-Maritimes, elle s'élève au maximum 108,1 et descend au minimum 99,7 différence, 8,4.

On voit que le phénomène que nous étudions est extrêmement variable d'année en année et de département à département.

C'est une région semée d'accidents de terrain, de collines escarpées et de vallées profondes qui semblent réparties au hasard, sans relever d'aucune loi : car les divers départements n'ont jamais leur maximum ou leur minimum de masculinité la même année. Ainsi en 1895, où l'ensemble de la région présente la masculinité moyenne la plus faible, le département des PyrénéesOrientales a précisément son maximum. Il a eu son minimum 99,7 en 1891, alors que la Vaucluse atteignait 108,9 et les Alpes-Maritimes 108,1. C'est donc sur cette année 1891 qu'il faut porter són attention pour étudier dans les Pyrénées-Orientales les phénomènes concomitants de la masculinité, puisque c'est l'année où le phénomène à expliquer présente le plus d'intensité.

Dans le Gard, autre département à masculinité minimum, l'année sur laquelle il faut concentrer son attention est 1890, où la masculinité descend à 98,9.

Dans chacune de ces deux années, il faut déterminer pour chacun des deux départements la natalité par mois, la morti-natalité, la mortalité infantile. On fera ensuite la même étude pour les deux années à masculinité maximum, 1895 pour les Pyrénées-Orientales, et 1898 pour le Gard. Peutêtre cet examen fera-t-il naître une hypothèse plausible que l'on vérifiera par la suite.

La biologie nous laisse dans les ténèbres au sujet des causes de la masculinité. Peut-être l'étude des phénomènes démographiques concomitants nous apportera-t-elle quelque lumière.

Si les démographes étaient plus nombreux et surtout s'ils avaient des calculateurs sous leurs ordres, ils pourraient vérifier leurs hypothèses, en former de nouvelles, les vérifier à leur tour et faire progresser la vérité à pas de géant, au lieu qu'elle avance à pas de tortue.

ARSENE DUMONT.

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