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FINETTE.

Pourrois-je lui parler?

PASQUIN.

Cela n'est pas possible.

D'un bon quart-d'heure, au moins, il ne sera visible.

FINETTE.

Eh! pourquoi done?

PASQUIN.

Avec le Comte du Guéret,

Au moment que je parle, il tient conseil secret.
Il a cent mille écus, et cherche la maniere
De dépenser, dans peu, la somme toute entiere,
Cet argent-là lui pese; il veut s'en dessaişir.

FINETTE.

Eh! bien, qu'il me le donne, il ne peut mieux choisir, Je suis fille; il me faut un mari: cette somme

Pourroit, entre mes mains, tenter un galant homme. L'argent et le mari me viendroient à propos;

Je ne m'en cache point.

PASQUIN.

C'est-à-dire, en deux mots,

Que vous êtes pressée ?

FINETTE:

Oui.

PASQUIN.

Vos yeux le font croire!

FINETTE.

Ma foi! Cléon feroit un acte méritoire!

PASQUIN.

C'est par cette raison qu'il ne le fera pas.
La générosité pour lui n'a plus d'appas.
C'est ou pour son plaisir, ou par vanité pure
Qu'il prodigue son bien, sans raison, ni mesure.
Très-souvent le caprice excite ses bienfaits;
Et jamais, à coup sûr, ils n'ont de bons effets :
Aussi ses faux amis, dont grande est l'abondance,
Loin de lui savoir gré de sa folle dépense,
Ici pour le flatter, font de communs efforts,
Et se moquent de lui sitôt qu'ils sont dehors.

FINETTE.

Et Pasquin peut souffrir un semblable manége?
Tu ne profites pas de l'ample privilége
Que Cléon t'a donné, depuis un si long-tems,
De lui pouvoir sur tout dire tes sentimens,
Pour chasser de chez vous tous ces flatteurs avides,

Que l'on ne voit jamais en sortir les mains vuides?
Morbleu! si ma Maîtresse avoit ce foible-là,
Je périrois plutôt que de souffrir cela!

Jamais ces faux amis ne deviendroient nos Maîtres,
Et je les ferois tous sauter par les fenêtres!

PASQUIN,

Dans les commencemens je me suis tout permis
Pour bannir de céans ces dangereux amis.
Sortis par une porte, ils rentroient par une autre.
Mon Maître quelque tems a fait le bon Apôtre;
Il suivoit mes conseils, s'en faisoit une loi:
A la fin les flatteurs l'ont emporté sur moi.
J'allois être chassé pour toute récompense,
Et vingt coups de bâton m'ont imposé silence.
Moi, qui me plais céans et qui m'y trouve bien,
Je me suis radouci, J'ai fait comme ce chien
Qui portoit à son cou le dîner de son Maître,
Et, trouvant d'autres chiens qui vouloient s'en repaître,
Quand il crut ne pouvoir le sauver du hasard,
Leur livra le dîner, pour en manger sa part.

FINETTE.

D'un fidele valet est-ce donc-là l'office?

PASQUIN.

Eh! morbleu! que chacun se rende ici justice.
Ta Maîtresse Julie en use-t-elle mieux?
Cléon, de jour en jour, en est plus amoureux;

Il prétend l'épouser, et cette aimable veuve
De son pouvoir sur lui fait chaque jour l'épreuve.

Ne devroit-elle pas empêcher que Cléon

N'acheve de ses biens la dissipation?

Mais, bien loin de sauver son amant du pillage, C'est elle qui s'y porte avec plus de courage!

FINETTE.

Il est vrai qu'elle est vive, et qu'elle fait sa main. Malgré tous mes avis, elle va son chemin.

PASQUIN.

Eh! tu suis son allure avec assez d'adresse,
Et te voilà vêtue ainsi qu'une Princesse.

De même que Julie ardente à nous piller....

FINETTE, l'interrompant.

Oh! pour moi, je ne fais encor que grapiller.
Si tu voulois m'aider je ferois mieux mon compte.

PASQUIN.

Tout dépend à présent de ce Monsieur le Comte
Qui gouverne Cléon et s'en est emparé.
C'est lui qu'il faut gagner. C'est ce flatteur outré
Qui, par une servile et basse complaisance,
A subjugué mon Maître et regle sa dépense:
Son pouvoir est sans borne; on n'obtient rien sans lui.

FINETTI.

L'avis n'est pas mauvais: je veux, dès aujourd'hui, En faire usage... (Voyant paroître Julie.) Adieu; car

voici ma Maîtresse.

PASQUIN.

Je voulois te glisser quelques mots de tendresse:
On m'en ôte le tems, mais tu n'y perdras rien.

FINETTI.

J'y compte; et nous pourrons renouer l'entretien. (Pasquin sort.)

SCENE ΙΙ.

JULIE, FINETTE.

JULIE.

EH! bien, qu'a dit Cléon du dessein de mon pere?

FINETTE.

Je n'ai pu lui parler; une importante affaire
L'empêche de donner audience aujourd'hui.

JULIE.

Mon pere me désole, et veut rompre avec lui,
Voyant qu'à nos avis il ne veus point se rendre.

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