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C'est au milieu des délices du paradis terrestre, décrites par Milton en vers ravissans, que l'ange Raphaël raconte aux premiers hommes les grandes discordes des cieux, et les terribles combats des bons et des mauvais anges. C'est au milieu de la description des batailles, qu'Herminie est emportée par son cheval vers les habitations champêtres, et qu'elle prète une oreille avide aux sons des pipeaux rustiques. C'est de la scène sanglante des combats, que Jupiter détourne ses regards, pour les arrêter avec complaisance sur les mœurs douces et hospitalières d'une tribu Éthiopienne, uniquement occupée des soins du labourage et des troupeaux. Dans Virgile, la description des combats est précédée du tableau de la vie pastorale du bon roi Évandre. Excepté la rencontre du vieillard de Jersey, que fait Henri IV dans

le premier livre de la Henriade, rien de pareil ne se trouve dans ce poëme. Il est inu. tile de répéter ici ce que j'ai dit plus haut des moyens que le sujet de Virgile lui a fournis pour produire la plus grande varieté possible, et de ce que son imagination a su ajouter à ces moyens; peut-être est-il plus important de répondre à quelques critiques de l'Énéide:

SUR LE MERVEILLEUX.

- Je suis loin de penser, à l'exemple de Marmontel, que le merveilleux n'est pas essentiel à la poésie épique ; c'est lui qui met à la disposition du poëte tous les lieux, tous les évènemens, tous les hommes, le ciel, la terre et les enfers; lui seul peut satisfaire ce besoin que nous avons de choses extraordinaires; lui seul peut, au gré du poëte, retarder, préci

piter, prolonger l'action épique; et quoi qu'en ait dit l'admirateur passionné de Lucain, les Catons, les Brutus, les Césars, les Pompées, tous les héros de l'histoire ancienne et moderne ne sauroient tenir lieu de l'intervention de la divinité. Sans ce commerce de protection d'une part, et d'obéissance de l'autre, il n'y a plus entre le ciel et la terre que l'attraction et les lois du mouvement; tout rentre dans l'ordre des évènemens communs et ordinaires, dont l'imagination est bientôt dégoûtée. Aussi, toutes les jouissances de l'amour, décrites par les poëtes, n'approchent pas des amours de Jupiter et de Junon sur le mont Ida. Le nuage d'or dont cette déesse, comme reine des airs, enveloppe ses amours chastes et mystérieuses, est, sans contredit, ce qui plaît le plus à l'imagination du lecteur. Vénus est la déesse

de la beauté, et la mère des grâces; cela n'empêche pas qu'Homère ne l'ait entourée de sa ceinture magique, l'une des plus admirables inventions de ce grand génie, plus merveilleux lui-même que tous ses dieux.

Le scul inconvénient que pourroit avoir le merveilleux, ce seroit que les hommes, étant subordonnés aux puissances célestes, ne parussent que des instrumens et des machines. Aussi le poëte doit-il éviter dans ses fictions, de montrer les volontés et les passions de ses héros, sources si fécondes d'intérêt, impérieusement maîtrisées par un pouvoir suprême; car alors tout intérêt est détruit ou singulièrement affoibli. Lorsqu'Homère nous peint Achille irrité par le superbe Agamemnon, portant la main sur son épée, il nous représente la déesse de la sagesse arrêtant ce héros; mais bientôt après, il rend

cette ame tendre et féroce à toute son irri

:

tabilité naturelle l'implacable Achille se retire dans sa tente, prive l'armée de sa présence, et ne sort de son repos que pour venger Patrocle, terrasser Hector, et le traîner autour des murailles de Troie. Ainsi, le lecteur jouit à la fois de tout ce qu'a d'imposant l'intervention des dieux, et de tout ce qu'ont d'intéressant les mouvemens d'une ame ardente et passionnée.

Le poëte doit aussi avoir grand soin de mettre en équilibre les secours merveilleux que reçoivent les principaux personnages. Ainsi, dans Virgile, Énée est protégé par -Vénus, et Turnus par Junon et (dans tout ce qui précède sa mort) par sa sœur Juturne, qui est elle-même une divinité subalterne, à la vérité, mais conduite par la reine des dieux.

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