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les premiers essais de son Enéide, enivrant la superbe Rome du récit de ses victoires Auguste de celui de ses triomphes et de sa gloire; j'aime à voir le rival d'Homère accueilli par une acclamation générale, et faisant oublier aux Romains les représentations théâtrales, les gladiateurs et les pantomimes pour jouir de la peinture de leurs brillantes destinées.

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Une des qualités les plus indispensables de l'épopée, c'est que le sujet en soit national. Les besoins de la vanité ne sont ni les moins sentis, ni les moins communs. Les peuples sont comme les particuliers et les familles : tous entendent avec plaisir l'histoire de leurs ayeux ou de leurs fondateurs; comme un enfant voit avec plus d'intérêt la maison paternelle et ses terres patrimoniales, que les plus belles possessions étrangères. Aussi

les deux poëmes d'Homère ont-ils, sous ce rapport, un grand avantage. Celui de Virgile n'en a pas moins; son sujet, comme national, est heureusement choisi. Les Romains étoient, au moins autant que les Grecs, flattés de leur origine et de tout ce qui étoit favorable à leur orgueil généalogique. Le poëte étoit, en cela, secondé par toutes les traditions populaires; elles étoient pour lui un moyen naturel de caresser toutes les vanités. Jules César se plaisoit à faire croire que son prénom venoit d'Iule, fils d'Énée; Auguste, son fils adoptif, n'abandonna point cette prétention. Une foule de familles aimoient à se perdre dans la nuit des temps. Les Claudius vouloient remonter jusqu'à Clausus, les Memmius jusqu'à Mnesthée, (genus à quo sanguine Memmi), les Cluentius jusqu'à Cloanthe, et les différens

auteurs de ces familles illustres goûtoient en lisant Virgile, le plaisir d'y voir leurs fondateurs jouer un rôle distingué. Enfin, la nation elle-même prenoit sa part de ce que l'antiquité et le merveilleux de cette origine pouvoient avoir de flatteur. Un grand nombre de fêtes religieuses ou civiles, le culte de Vesta, celui de Cybèle et de presque tous leurs Dieux, les cérémonies avec lesquelles on proclamoit la paix ou la guerre, les armes des guerriers, les vêtemens des pontifes, avoient passé des Troyens et des Grecs-aux Romains; et ce n'étoit pas la partie de leur héritage dont ils se croyoient le moins honorés. A cela se joignoit une foule d'oracles et de prophéties qui, mettant les destinées romaines sous la garde et sous la protection des Dieux, donnoient à ce peuple plus d'éclat et de dignité, et disposoient d'avance

les nations à recevoir plus volontiers ses lois, et à reconnoître sa souveraineté. Les Romains avoient si bien senti cet avantage, qu'ils en témoignèrent une reconnoissance solemnelle, en déchargeant de to utes sortes d'impôts les sujets de l'ancienne Troie, et il sembloit que cet affranchissement ajoutât à l'authenticité de leur origine.

Qu'on me permette quelques observations, qui ont le double objet, et de faire sentir les principales beautés de l'Eneide, et de répondre à quelques critiques accréditées par des littérateurs célèbres.

Virgile a trouvé dans sou sujet des moyens que n'avoit pas Homère : celui-ci étoit nécessairement resserré dans la Grèce; Virgile ́embrasse à la fois la Grèce et l'Italie. On entend dans toute l'Eneide le retentissement de la chûte de Troie : un empire à détruire,

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voilà le sujet d'Homère. Ce grand empire détruit, et se relevant en Italie sous un nouveau nom et sous de meilleurs auspices, le monde entier promis à sa domination, voilà le sujet de Virgile. Il s'est placé entre le tombeau de Troie et le berceau de Rome; et, par une multitude d'oracles, par les prophéties d'Anchise, et l'ingénieuse fiction du bouclier forgé par Vulcain, il a pu suivre les grandes destinées de cette superbe capitale, depuis la louve de Romulus jusqu'aux aigles romaines, depuis le chaume royal du bon Évandre jusqu'aux pompes du Capitole. Si toute sa fable, si tous ses évènemens eussent été empruntés de la Grèce, il auroit manqué de nouveauté: le fonds en étoit usé par Homère et d'autres écrivains. C'étoit l'arrivée d'Énée en Italie qui ouvroit devant lui un champ vaste et nouveau.

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