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coup de douceur. Quelques-uns croient que le d se prononçait avant l's: Mezentius, Medsentius.

On voit par le rapport de certaines lettres entre elles, comme dub et du p, du det du t, pourquoi certains mots s'écrivent d'une manière et se prononcent de l'autre. Quintilien1 remarque que dans obtinuit la raison demande un b, mais que les oreilles n'entendent qu'un p. Il en est ainsi dans toutes les langues. Nous prononçons grant esprit, grant homme, quoique nous écrivions grand esprit, grand homme.

Les anciens faisaient sonner fortement l'aspiration, surtout avant les voyelles, ce qui donnait beaucoup de grâce et de force à la prononciation. Mene Iliacis occumbere, campis Non potuisse, tuaque animam hanc effundere dextra! (Æn. I, 101). Si Pergama dextra Defendi possent, etiam hac defensa fuissent. (Æn. II, 291.) Ces admirables vers perdent une partie de leur beauté, si l'aspiration n'est pas fortement marquée. C'est un défaut très-ordinaire aux jeunes gens, et surtout aux Parisiens, dont l'attention des maîtres peut aisément les corriger.

On a fait plusieurs remarques utiles et importantes sur l'v et I'j consonnes, que les anciens sans doute ne prononçaient pas tout à fait comme nous. H n'est pas inutile que les jeunes gens en soient instruits, et qu'ils sachent ce que c'était que le digamma æolicum, c'est-à-dire un double gamma, caractère destiné pour marquer l'v consonne: terminafit, pour terminavit. L'empereur Claude, tout maître du monde qu'il était, n'eut pas le crédit de le faire recevoir au nombre des lettres latines.

On doit conclure de ces observations, et de beaucoup d'autres pareilles, que la manière dont les Romains prononçaient le latin était en plusieurs choses très-différente de celle dont nous le prononçons aujourd'hui ; qu'ainsi leur prose et leurs vers perdent une grande partie de leur grâce dans notre bouche, comme nous voyons que les nôtres sont extrêmement défigurés par les étrangers, qui ignorent notre manière de prononcer. Ils avaient mille délicatesses en prononçant qui nous sont absolument inconnues. Ils distinguaient l'accent de la quantité, et ils savaient fort bien relever une syllabe sans la faire longue, ce que nous ne som

Lib. 1, c. 13.

mes point accoutumés à observer. I's avaient même plusieurs sortes de longues et de brèves, dont ils faisaient sentir la différence. Le peuple était très-délicat sur ce point, et Cicéron' témoigne qu'on ne pouvait faire une syllabe plus longue ou plus brève qu'il ne fallait dans les vers d'une comédie, que tout le théâtre ne s'élevât contre cette mauvaise prononciation, sans qu'ils eussent d'autre règle que le discernement de l'oreille, qui était accoutumée à sentir la différence des longues et des brèves, comme aussi de l'élévation ou de l'abaissement de la voix, en quoi consiste la science des accents.

De telles observations sur la manière de prononcer et d'écrire des anciens peuvent être fort utiles et même agréables aux jeunes gens, pourvu que les maîtres en sachent faire un choix judicieux, qu'ils les placent à propos, et qu'ils n'en proposent pas en même temps un grand nombre, ce qui pourrait devenir ennuyeux et rebutant. Ils peuvent, en attendant qu'ils consultent les originaux mêmes, s'instruire en peu de temps et sans beaucoup de travail sur cette matière dans la Méthode latine de Port-Royal, d'où j'ai tiré la plus grande partie des réflexions que j'ai faites sur ce sujet. Ce livre, quoiqu'il ne soit pas sans défaut, les peut mettre en état d'apprendre à leurs écoliers bien des choses également utiles et curieuses.

Ils y verront qu'il est mieux d'écrire sumpsi, deliciæ, vindico, autor ou auctor, convicium, fecundus, felix, femina, fenus, fetus, lacryma, poena, patricius, tribunicius, ficticius, novicius, quatuor, quicquid, Sallustius, Appuleius, sidus, solemnis, sollistimum, sulfur, subsiciva ou subseciva, et beaucoup d'autres semblables observations appuyées de preuves et d`au

torités.

III. De la coutume de faire parler latin dans les classes.

Il y a, ce me semble, sur cette matière, deux extrémités également vicieuses. L'une est de ne pas souffrir que les jeunes

<< In versu quidem theatra tota reclamant, si fuit una syllaba aut brevior aut longior. Nec vero multitudo pedes novit, nec ullos numeros tenet ; nec illud, quod offendit, aut cur aut in quo offen

dat, intelligit et tamen omnium longitudinum et brevitatum in sonis, sicut acutarum graviumque vocum, judicium ipsa natura in auribus nostris colloca. vit. » { Orat. n. 173.)

gens parlent dans les classes une autre langue que la latine; l'autre serait de négliger entièrement le soin de leur faire parler cette langue.

1o Pour ce qui regarde le premier inconvénient, je ne comprends pas comment on peut exiger des enfants qu'ils parlent une langue qu'ils n'entendent point encore, et qui leur est absolument étrangère. L'usage seul peut suffire pour les langues vivantes; mais il n'en est pas ainsi de celles qui sont mortes, qu'on ne peut bien apprendre que par le secours des règles et par la lecture des auteurs qui ont écrit dans ces langues. Or, il faut un temps assez considérable pour parvenir à l'intelligence de ces auteurs.

D'ailleurs, en supposant même qu'on ne les obligerait à parler latin qu'après qu'on leur aurait expliqué quelques auteurs, y a-t-il lieu d'espérer qu'alors même, en parlant entre eux et dans les classes, ils puissent s'exprimer d'une manière pure, exacte, élégante? Combien leur échappera-t-il d'impropriétés, de barbarismes, de solécismes! Est-ce là un bon moyen de leur apprendre la pureté et l'élégance du latin, et ce langage bas et rampant du discours familier ne passera-t-il pas nécessairement dans leurs compositions?

I

Si on les oblige dans ces premières années à parler toujours latin, que deviendra la langue du pays? Est-il juste de l'abandonner ou de la négliger, pour en apprendre une étrangère ? J'ai remarqué ailleurs que les Romains n'en usaient pas ainsi pour leurs enfants; et bien des raisons nous portent à les imiter en ce point. La langue française s'étant emparée, non par la violence des armes ni par autorité, comme celle des Romains, mais par sa politesse et par ses charmes, de presque toutes les cours de l'Europe; les négociations publiques ou secrètes, et les traités entre les princes, ne se faisant presque qu'en cette langue, qui est devenue la langue ordinaire de tous les honnêtes gens dans les pays étrangers, et celle qu'on y emploie communément dans le commerce de la vie civile, ne serait-il pas honteux à des Français de renoncer en quelque sorte leur patrie, en quittant leur langue maternelle, pour en parler

1 P. 107 et 108.

une dont l'usage ne peut jamais être, à leur égard, ni si étendu ni si nécessaire ?

Mais le grand inconvénient de cette coutume, et qui me frappe le plus, c'est qu'elle étrécit en quelque sorte l'esprit des jeunes gens, en les tenant dans une gêne et une contrainte qui les empêche de s'exprimer librement. Une des principales applications d'un bon maître est d'accoutumer les jeunes gens à penser, à raisonner, à faire des questions, à proposer des difficultés, à parler avec justesse et avec quelque étendue. Cela est-il praticable dans une langue étrangère ? et y a-t-il même beaucoup de maîtres capables de le bien faire?

2o Il ne s'ensuit pas de tout ce que je viens de dire qu'on doive entièrement négliger cette coutume. Sans parler de mille occasions imprévues qui peuvent arriver dans la vie, surtout quand on voyage dans les pays étrangers, où la facilité d'entendre et de parler latin devient d'un grand secours, et quelquefois même d'une absolue nécessité, la plupart de ceux qui étudient dans les colléges devant un jour s'appliquer, quelques-uns à la médecine, d'autres au droit, un grand nombre à la théologie, tous à la philosophie, ils sont indispensablement obligés, pour réussir dans ces études, de s'accoutumer de bonne heure à parler la langue de ces écoles, qui est la latine.

Outre ces raisons, l'habitude de parler latin, quand elle est accompagnée d'une étude solide, peut servir à faciliter l'intelligence de cette langue, en la rendant plus familière et comme naturelle; et elle peut aussi aider pour la composition, en fournissant des expressions avec une plus grande et plus riche abondance.

Les Romains, qui ne devaient jamais parler en public la langue grecque, par où ils auraient cru avilir la dignité de leur empire, s'exerçaient pourtant dans leur jeunesse à composer dans cette langue, et sans doute à la parler aussi; et Suétone 1 remarque que Cicéron, jusqu'à sa préture, fit toujours ses déclamations en grec.

Il est donc à propos de faire quelquefois parler latin les jeu

1 «Cicero, ad præturam usque, græce declamavit. » (SUET. de clar. Rhet. n. I.)

nes gens dans les classes; de les obliger à s'y préparer au logis en lisant quelques histoires dans les auteurs qu'on leur explique, dont on leur fera rendre compte d'abord en français, puis en latin; de les interroger quelquefois en cette langue sur les observations qu'on aura faites en expliquant les auteurs. Pour cela, il faut que le maître lui-même, dans ses explications, mêle la langue latine à la française: elles ne seraient pas d'une grande utilité pour les jeunes gens, si elles se faisaient purement en latin. Comme une langue étrangère laisse toujours beaucoup d'obscurité, ils écouteraient avec moins de plaisir, moins d'attention, et par conséquent avec moins de fruit. Mais si l'on a quelque histoire à raconter, quelque trait d'antiquité à rapporter, quelque principe de rhétorique à établir, rien n'empêche qu'on ne fasse tout cela d'abord en latin; après quoi on répète les mêmes choses en français, en leur donnant plus d'étendue, et en les montrant sous plusieurs faces, afin de les faire mieux comprendre.

Cette méthode ne serait pas seulement utile aux écoliers, elle servirait aussi beaucoup aux maîtres, à qui elle procurerait une grande facilité de parler latin, qui leur devient nécessaire en bien des occasions, et qui ne peut s'acquérir que par un long usage et un fréquent exercice.

IV. De la nécessité et de la manière de cultiver la mémoire.

La mémoire est une puissance, une faculté par laquelle l'âme conserve les idées et les images des objets qui ont été présentés à l'esprit, ou qui ont frappé les sens.

De toutes les facultés de l'âme, il n'y en a guère dont on puisse moins rendre raison que de la mémoire. En effet, est-il aisé de concevoir comment les objets qui s'offrent à l'œil, et les sons qui frappent l'oreille ( et il en faut dire autant de tous les autres sens, et encore plus des pensées et des notions les plus spirituelles), peuvent imprimer sur le cerveau des traces qui y gravent une image subsistante de ces objets, et qui au premier commandenient de l'âme lui en rappellent le souvenir? Quel' est donc

«Magna vis est memoriæ, magna Venio in campos et lata prætoria memonimis; penetrale amplum et infinitum. riæ meæ, ubi sunt thesauri innumera

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