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voulez-vous? ce n'est pas moi qui l'ai fait ainsi, hélas ! peut-être inspire-t-il moins de colère et d'horreur à celui dont il a été dit « qu'il sonde l'abîme de >> tous les cœurs, qu'il en pénètre les replis les plus cachés >> et sa clémence aurait de bien faibles limites, si elle ne devait s'accomplir que sur les coupables que la justice humaine a frappés !

Au fait, si ces infortunés vous paraissent si dignes d'horreur et de mépris, pourquoi venez-vous ajouter à leur dépravation morale, par l'aspect de ces infirmes de raison que vous accumulez au milieu d'eux ? si leur présence est ensemble un élément de méchanceté et de corruption pour leurs camarades sains de corps et d'esprit, pourquoi le leur fournir ? espérez-vous amender un jour ces pauvres aliénés ? ce serait folie, car ce sera toujours impossible: Eh bien donc isolez-les, puisqu'ils sont un obstacle continuel à l'amélioration des autres prisonniers.

Je sais fort bien que parmi ces idiots et ces imbécilles, il en est qui conservent encore assez de sens pour avoir calculé les crimes ou délits pour lesquels ils ont été condamnés, et que, sous ce rapport, on a dû les punir et les détenir. Mais ils ne changeront pas : ils ont l'instinct du mal, et n'ont absolument plus que cela. Libres ou enchaînés, ils le feront toujours, et toujours de la même manière : c'est ce que vous appellez de la monomanie, et cette idée fixe ne les quittera plus; du moins ai-je constamment remarqué, relativement à cette espèce de prisonniers, que c'est presque

2 Abyssum et cor hominum investigavit : et in astutiá eorum exeogitavit. Eccli XLU, 18.

généralement pour le même fait qu'ils subissent quelques fois jusques à trois ou quatre jugemens pour récidives. D'où j'ai dû conséquemment conclure qu'ils sont tout-à-fait incurables ; et que, dans ce cas, l'emprisonnement à leur égard cesse d'être un moyen de correction, et ne devient plus, dès-lors, qu'une garantie légale de prévoyance et de sûreté.

Quant à ceux qui tombent atteints en prison d'une complète aliénation mentale, leur avenir peut offrir des chances infiniment plus favorables à leur régénération morale. J'en ai connus qui, tranférés immédiatement dans un hospice d'aliénés, y ont reconquis leur intelligence, et sont redevenus des citoyens paisibles et estimés: mais surtout, qu'on évite de jamais les ramener en prison sous prétexte qu'ils n'ont pas achevé le terme de leur ban: car ils y retombent bientôt plus fous qu'auparavant : et j'en pourrais nommer plusieurs dont, en pareille occurence, la réintégration a produit des accès d'une fureur spontanée, puis la mort.

On regrette d'avoir à signaler des faits de cette nature, quand on songe qu'il est si facile d'y remédier par de simples mesures administratives.

La nécessité de l'isolement de cette espèce de condamnés d'avec le reste des détenus ordinaires, n'a point échappé aux bons esprits qui se sont le plus spécialement occupés de systèmes des prisons. Aussi le docteur Julius, en parlant du voyage de M.Joseph Gurney et de son immortelle sœur Mme Fry, dans les prisons d'Écosse, en 1818, s'écrie-t-il avec une honorable indignation, qu'on y trouvait encore dans quelques-unes, uncertain nombre de détenus aliénés : « abus tellement indigne, » qu'on aurait peine à croire à son existence, si elle

physiologique des prisons jaillit de cette vérité: que c'est par la certitude de l'inévitable mépris qui les attend au jour de la liberté, que les détenus cherchent et trouvent, dans le désespoir, toutes les joies du crime et de l'immoralité!... et que, si vous savez faire un bon usage de ce désespoir, sur eux-mêmes, vous les sauverez indubitablement..

Que tant de dépravation vous semble ignoble, que même vous ne puissiez vous en retracer une fidèle idée, cela se peut : il faut, quand on les plaint et qu'on les aime, avoir long-temps souffert au milieu d'eux de ce bonheur qui les enivre, pour en comprendre la trop funeste réalité !

Mais un effet non moins évident pour l'observateur philantrope qui vit dans ce monde effrayant, au milieu d'eux; c'est que ce délire brutal qui les meut et leur impose, use rapidement leur vie ; donc, ils souffrent : il suffit de les examiner attentivement pour découvrir, dans tout leur ensemble, l'existence de cette anomalie phénoménale, de ce mélange simultané de souffrance qui les conserve,et de bonheur qui les détruit. Cependant tout cela peut s'expliquer par les paroles que nous venons de rapporter plus haut des singuliers effets du désespoir sur l'esprit des méchans; et l'on peut en déduire cet axiôme particulier à notre sujet ; qu'entre le bonheur du juste et celui des méchans, il y a cette différence, que le premier conserve en améliorant, et que le second consume en démoralisant : que l'un tient à l'âme, l'autre au sens ; et que chacun, suivant sa nature particulière, ou produit l'exaltation du crime, ou la paix de la vertu.

Qu'après cela les moralistes discutent sur ce que c'est

que le bonheur véritable, et prouvent que les méchans ne le sauraient goûter ; je me hâteraid'en convenir avec eux. Mais alors, qu'ils donnent un autre nom à cet état particulier de l'âme qui, chez les prisonniers, l'affecte par le plaisir; et je l'emploierai pour dire ce que j'ai vu : à savoir: qu'ils sont tout à-la-fois, heureux et souffrants, et que cette sorte de souffrance les rend lâches et cruels.

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Il est surtout pénible de voir avec quelle taquinerie brutale, ils tourmentent, ils tracassent, ils persécutent ceux de leurs malheureux camarades dont l'idiotisme, l'imbécillité ou même la complète aliénation mentale, n'ont pas paru aux juges assez suffisamment caractéristiques, pour leur faire l'application de l'article de la loi qui veut qu'on les excuse. Il semble qu'on n'ait placé là, devant eux, ces machines humaines détériorées, que pour les consoler de n'être pas encore tout-à-fait tombés à ce dernier degré de misère et d'avilissement! ils s'en servent comme de hochets et d'instrumens ; de hochets par méchanceté, d'instrumens par calcul: ils s'en servent aussi pour victimes, quand la dépravation de l'esprit n'a pas encore déterminé chez elles la dépravation des formes, et la débauche s'allie à la démence par les odieux liens de la lubricité!

Voilà sans doute un bien exécrable monde! que

Plutarque observe que les hommes, dont la volonté est le plus ⚫ constamment affermie dans le bien, se trouvant réduits à d'affreuses ⚫ extrémités, sont fort exposés à changer de mœurs en changeant de » fortune. >>

- Scilicet res secundæ valent commulare naturam, et rarò quisquam »ergà bona sua satis cautus est. » Quint-Curce, lib. 10, ch. 1.

voulez-vous? ce n'est pas moi qui l'ai fait ainsi, hélas ! peut-être inspire-t-il moins de colère et d'horreur à celui dont il a été dit « qu'il sonde l'abîme de >> tous les cœurs, qu'il en pénètre les replis les plus cachés et sa clémence aurait de bien faibles limites, si elle ne devait s'accomplir que sur les coupables que la justice humaine a frappés !

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Au fait, si ces infortunés vous paraissent si dignes d'horreur et de mépris, pourquoi venez-vous ajouter à leur dépravation morale, par l'aspect de ces infirmes de raison que vous accumulez au milieu d'eux ? si leur présence est ensemble un élément de méchanceté et de corruption pour leurs camarades sains de corps et d'esprit, pourquoi le leur fournir ? espérez-vous amender un jour ces pauvres aliénés ? ce serait folie, car ce sera toujours impossible: Eh bien donc isolez-les, puisqu'ils sont un obstacle continuel à l'amélioration des autres prisonniers.

Je sais fort bien que parmi ces idiots et ces imbécilles, il en est qui conservent encore assez de sens pour avoir calculé les crimes ou délits pour lesquels ils ont été condamnés, et que, sous ce rapport, on a dû les punir et les détenir. Mais ils ne changeront pas : ils ont l'instinct du mal, et n'ont absolument plus que cela. Libres ou enchaînés, ils le feront toujours, et toujours de la même manière : c'est ce que vous appellez de la monomanie, et cette idée fixe ne les quittera plus; du moins ai-je constamment remarqué, relativement à cette espèce de prisonniers, que c'est presque

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Abyssum et cor hominum investigavit : et in astutiá eorum exeogitavit. Eccli XLU, 18.

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