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méticuleux ; et si Diogène, banni de Sinope pour crime de faux monnayage, avait pu reprendre sans honte son ancien habit de banquier honnête-homme, il n'eût pas souillé la ville d'Athènes de son cynisme orgueilleux et repoussant. Que de gens encore doivent, à l'éclat de l'habit qu'ils portent, de n'oser l'avilir par de mauvaises actions !

La nourriture, généralement basée aujourd'hui sur 75 décagrammes de pain, composé de deux tiers de froment et d'un tiers de seigle, n'est cependant pas, à beaucoup près, la même pour tous les prisonniers.

Il arrive en effet, que par une de ces étranges aberrations de la plus évidente injustice, les inculpés, les prévenus, les accusés et les condamnés à moins d'un an et un jour d'emprisonnement, sont infiniment moins bien traités que ceux qu'on admet par suite de délits ou de crimes plus énormes, dans nos maisons centrales de détention.

Là, du moins, le prisonnier jouit de tout ce que Montesquieu dit être dû par l'État, à tous les citoyens: << une substance assurée, la nourriture, un vêtement >> convenable, et un genre de vie qui ne soit point >> contraire à la santé » ; ' il y trouve de plus, un bon lit, du travail, une administration tutélaire, et des instructions morales et religieuses pour calmer ses remords et l'aider au repentir.

Une ration de pain insuffisante et de mauvaise qualité, de l'eau souvent fétide, point de vêtemens, point de travail, une litière de paille, un dortoir tapissé de miasmes infects, un cloaque pour préau, un bouge

Esprit des Lois, liv. 23, ch. 29.

enfumé pour abri; pour surveillans une couple de dogues, puis un geôlier pour maître, — voilà ce qu'on donne à ceux qu'aucun arrêt définitif n'a déclarés coupables, ou dont l'infraction n'a entraîné qu'une peine légère à l'égard des convicts!

Si quelqu'un doutait de l'exactitude et de la vérité de ces faits, sinon pour toutes les autres prisons que les maisons centrales, au moins pour le plus grand nombre, je pourrais leur répondre: « venez avec moi:>> elles ne douteraient bientôt plus.

Que cesse donc enfin cette douloureuse anomalie dans notre système des prisons. Elle heurte la raison, la morale, la conscience et la probité. Elle accuse le pouvoir.

Toujours renfermé dans cette idée fondamentale pour moi, que la même prison ne doit jamais contenir des individus d'âge et de sexes différens ; je dirai qu'il faut baser, d'après ces catégories, l'espèce et la quantité de nourriture qui convient essentiellement à telle ou telle classe de condamnés.

Aujourd'hui, l'inévitable livre et demie de pain, nonobstant les autres alimens déterminés par tel ou tel marché d'entreprise, sert indistinctement de ration aux hommes, aux femmes, aux vieillards, aux enfans ; d'où cette conséquence inévitable, qu'elle est ou trop copieuse pour les uns, ou bien, insuffisante pour les autres. Faire de l'hygiène générale et propre à tout le monde, en fait d'alimens, ce n'est rien moins qu'une espèce de panacée philantropique ; qu'un véritable lapsus de bon sens, qui ne saurait désormais apporter un plus long obstacle aux progrès que la religion et l'humanité s'efforcent d'amener de concert, dans la réforme générale de notre système actuel des prisons.

Or, je ne cesserai de le répéter, parce que cela ne saurait cesser d'être vrai; tout ce qui, à l'égard des condamnés, ne sera pas empreint du sceau de la plus rigoureuse justice, les endurcira chaque jour davantage contre les influences de la vertu. Le moyen de la leur prêcher, je vous prie, s'ils sentent à chaque instant que les réglemens qui les régissent sont tissus d'arbitraire, de mépris et d'inhumanité ?

Je dirai du reste, en temps et lieu, comment, sous un bon régime pénitentiaire, on doit avoir égard à la quotité et à la distribution des alimens. Car, travailler pour vivre, est une condition que Dieu n'a pas spécialement imposée aux seuls honnêtes-gens; et dans notre système actuel d'administration des maisons centrales de détention, sans contredit les mieux constituées de toutes les autres prisons en France; il semble qu'on se soit entendu pour aller à rebours du commandement divin, et que les prisonniers n'y aient été renfermés que pour y vivre sans travailler.

Si j'avais à m'occuper d'objets réglementaires d'administration, je signalerais au pouvoir les graves inconvéniens qui résultent pour la police, pour la discipline et pour l'amendement des condamnés détenus, de la faculté presque partout laissée à leurs parens, à leurs amis ou à quelques personnes charitables, d'introduire, soit des vivres, soit des boissons, soit même divers objets de vêtement, dans l'intérieur de la prison.

Ces petites faveurs, dont il semble d'abord qu'il est si cruel de priver les malheureux qui en sont l'objet, ne sont cependant pas moins l'un des obstacles les plus réels à la réalisation d'un bon système pénitentiaire je dirai même plus, elles en sont la ruine inévitable.

Il en est ainsi des visites continuelles dont les établissemens de cette nature sont l'objet de la part d'une foule d'individus oisifs ou curieux, qui semblent venir là, comme on va voir les animaux de M. Martin; avec cette différence seulement, qu'on paie pour entrer à la ménagerie, et que le plus grand nombre de ces visiteurs philantropes, et de questionneurs fatiguans, oublient, presque toujours, de jeter une obole dans le tronc des pauvres : seule ressource ouverte aux vieillards et aux infirmes qui, ne pouvant travailler, sont réduits, quant à présent, à la modeste pitance que le gouvernement leur accorde.

Mais, ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans aucun développement sur cet objet.

Toutefois, avant de passer outre, je crois devoir émettre ici mon opinion sur deux points principaux qu'il importe de bien déterminer ; je veux parler de l'espèce de boisson qu'il convient de donner aux prisonniers, et de l'établissement des cantines.

Examinons d'abord ce qu'en ont pensé quelques philantropes.

J. Howard a dit : « chaque prisonnier doit avoir » au moins une livre et demie de pain par jour, une » MESURE DE BIÈRE, et une soupe de pois, de riz, de » millet ou d'orge. »

M. Julius, veut que les détenus « qui jouissent de » toute leur santé, ne reçoivent absolument rien que » de l'eau. »

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État des Prisons, vol. 1, p. 79. Page 105: C'est donc par erreur, que M. le docteur Villermé a dit que « conformément au principe » de J. Howard, la seule boisson devait être de l'eau.» (Voyez Des pri sons telles qu'elles sont, et telles qu'elles devraient être, p. 52.)

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M. Livingston, a proposé dans son code de réforme et de discipline des prisons, art. 172, que « l'eau fut » la seule liqueur accordée par le régime de la pri

» son. »

M. Dumont, dans son rapport sur le projet de loi pour le régime intérieur des prisons de Genève, tout en reconnaissant que le régime à l'eau trouvait quelques opposans, n'en conclut pas moins que l'eau doit être la seule boisson permise aux prisonniers.

Dans le Massachussets, « les prisonniers n'ont pour > boisson que de l'eau et de la PETITE BIÈRE. »

3

M. le docteur Villermé, ne permet qu'avec une extrême réserve, l'usage du vin ou de toute autre liqueur fermentée, et veut que la boisson ordinaire soit de l'eau.

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M. le docteur Colombot, partage l'avis de M. Villermé; mais il voudrait que pour rendre l'eau plus salubre, on établit des filtres dans chaque prison. Je pourrais multiplier les opinions conformes à celles ci-dessus ; c'est inutile. " ;

Ainsi, de la diète et de l'eau, si recommandées par le divin Hippocrate, la philantropie n'a conservé que la dernière pour le régime des prisons. Elle eut bien fait de sacrifier en entier le célèbre aphorisme, au moins en faveur des condamnés bien portans.

' Charles Lucas, vol 1, p. 212 et 225.

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4 Des prisons telles qu'elles sont, et telles qu'elles devraient être, page 41, art. Nourriture.

5 Manuel d'hygiène des prisons, p. 11.

6 Voyez MM. de Beaumont et de Tocqueville, du Système pénitentiaire, page 62,

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