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que pour toute autre classe de condamnés; et dès qu'on le voudra, ils en seront reconnaissans. Mais je l'ai dit, qu'on ne s'abuse pas sur la profonde putrėfaction de la plaie qu'on veut guérir : il en est de toutes les prisons, non-seulement en France, mais partout ailleurs, comme de cette vallée de l'Océanie, appelée Guero-upas, au fond de laquelle l'air qu'on respire est tellement pernicieux, que tout ce qui vit y meurt dès qu'il ose y descendre.

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Je pourrais étayer mes vœux pour l'amélioration, ou plutôt pour la réforme complète du système des bagnes, d'une foule de passages tous puisés aux meilleures sources. J'en ai déjà indiqué quelques-unes auxquelles je joindrai l'ouvrage de M. Maurice Alhoy, rempli de détails et d'observations on ne peut plus utiles à consulter. "

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En comprenant l'emprisonnement aux bagnes dans la classe de ceux dont je propose l'isolement, je n'ignorais pas, comme on le présume bien, qu'ils formaient déjà une catégorie séparée. Mais je ne voulais omettre aucun des modes de détention adoptés par notre législation criminelle.

Reste encore cette autre question plus d'une fois débattue, et jamais résolue d'une manière bien précise.

Les bagnes doivent-ils ressortir au département de la Marine? pourquoi oui? pourquoi non?

Qu'il me soit permis de venir jeter mon opinion au

Vallée empoisonnée. Mémorial encyclopédique et progressif des reconnaissances humaines, 2me année, no 14, février 1832, p. 59.

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Voyez John Howard, ouvrage cité, vol. 1, p. 271, leçons de Julius, vol. 1, p. 189, 298, vol. 2, p. 318, 331, 336, 386. Charles Lucas, du système pénitentiaire, vol. 1, p. XXVII, XCII. 7, 147; volume 2, page 269, vol. 3, p. XCI, 9 et 32.

milieu de ce conflit, non pas comme un poids qui fasse pencher la balance de tel ou tel côté; mais seulement comme une suite naturelle de l'idée fondamentale de ce travail : L'unité de système.

Il me semble que persister à laisser l'administration des bagnes au département de la marine, c'est plutôt une sorte de laisser-aller d'une vieille habitude, qu'une conséquence nécessairement déduite du principe géné. ral de toute espèce d'emprisonnement, l'amendement du condamné.

Cette espèce de convicts, primitivement employés sur des galères, en reçut le nom de galériens; c'était tout simple. Depuis, employés à des travaux forcés, ils recurent le nom de forçats; tout cela va de soi-même, mais ne change rien au fond de la question, et ne la décide pas. On a vu que le travail de ces condamnés procurait aux dépenses de la marine de très-grandes économies, et l'on s'est dit: c'est bien: mais au contraire, c'est mal: parce que les précautions de sûreté qu'on s'est vu forcé de prendre à l'égard de ces malheureux, les ont classés au rang des bêtes de somme; et qu'on a fait esclaves à la chaine, ceux à qui l'on devait rendre la liberté de la vertu.

Que cet odieux servage ait été toléré dans les temps antérieurs, et même considéré comme une justice incontestable, cela se conçoit et ne saurait se blâmer; car les institutions sont relatives aux époques auxquelles elles appartiennent: mais qu'en 1835, ère de régénération et d'humanité, l'existence des coupables soit encore entachée de la barbarie des siècles de despotisme et de féodalité; c'est une anomalie que rien ne peut justifier, et qu'il faut se hâter de faire disparaître.

Ce n'est pas que, dans mon opinion, le trésor public doive supporter, sans aucune espèce d'indemnité, les frais immenses que lui occasionnent les divers châtimens qu'il est contraint d'infliger aux perturbateurs de l'ordre social, à quelque titre que ce soit : mais qui s'oppose à ce que les condamnés aux travaux forcés ne soient utilement occupés dans nos ports? la nature de leur genre de travail importe peu à la question; c'est sur les moyens à prendre pour le rendre propice à leur amendement moral qu'elle repose toute entière; et pour en arriver à ce but, le seul politique, philosophique et religieux, il me semble conséquent de rattacher la direction des bagnes, comme de toutes les autres prisons, à un centre commun; et l'administration n'en saurait jamais être commise au département de la marine. C'est par erreur, ou par inattention, qu'on oppose à cette réforme la difficulté de coordonner la nature des travaux forcés, avec les modes de surveillance et de paiement qu'ils nécessiteraient. Pour peu qu'on ait d'expérience dans cette branche de l'administration générale du royaume, on sent que rien ne serait plus facile que d'harmonier ce service avec tous ceux qui lui sont identiques.

Une question peut-être moins évidente, est celle de savoir si l'administration générale des prisons ne devrait pas appartenir au département de la justice : elle a même plus d'une fois soulevé quelques discussions assez vives, entre le garde des sceaux et le ministre de l'intérieur ou du commerce, desquels cette administration a relevé tour-à-tour.

Toutefois, en y réfléchissant bien, on ne tarde pas à comprendre que par respect pour sa dignité même,

la justice, gardienne tutélaire des droits et de la liberté de tous, dans les limites posées par les lois, doit demeurer dans son temple pour y rendre ses arrêts: mais non s'immiscer, en rien ni pour rien, dans l'avenir de ceux qu'elle châtie; et quelle livre ensuite au pouvoir exécutif qui, seul, doit être chargé d'infliger les peines qu'elle a prononcées..

Dira-t-on qu'elle a le droit de s'assurer de la réalité de leur exécution? non, car elle n'est elle-même, dans le contrat social, qu'un pouvoir délégué, simple, ayant ou devant avoir des attributions fixes et des limites déterminées : si non, sa puissance dans l'ordre social serait sans contrôle; et ce n'est pas ainsi que dans l'état présent de notre civilisation, on conçoit le mandat des autorités judiciaires. Je regarde donc l'intervention de MM. du parquet et des présidents des cours d'assises, dans l'inspection des prisons ou de tout autre lieu de détention, comme évidemment contraire aux véritables principes d'administration et de responsabilité qui doivent peser sur les agents du pouvoir.

Je ne réclamerais pas une législation spéciale à cet égard, si je n'avais été plus d'une fois témoin de la perturbation que jettent dans l'administration locale des prisons de toutes sortes, les lois ou décisions nombreuses qui en affectent la surveillance à des magistrats dont les attributions sont tout-à-fait incompatibles

« Le pouvoir administratif ordonne et dispose; les décisions des »juges ne sont que déclaratives, c'est-à-dire, que le pouvoir judiciaire » SE BORNE à déclarer que tel fait existe, que tel acte renferme telle dis» position, que tel droit appartient à celui qui le réclame, ou que tel devoir incombe à celui qui le conteste.

Macarel, Élément de droit politique, du pouvoir judiciaire, § 2. tit. 1, ch. 3.

dans le rouage ordinaire de la grande machine gouvernementale.

Par exemple, l'inspection des prisons est déférée chez nous, aux maires ou adjoints; aux procureurs-généraux ou du roi ; aux présidens des cours d'assises en tournée ; aux officiers de gendarmerie, aux préfets, sous-préfets, inspecteurs ordinaires ou extraordinaires; sans compter ce nombre inconnu de voyageurs philantropes par dévouement, et missionnaires par autorisation; qui, de temps à autre, viennent recueillir, dans une heure de visite, assez d'inspiration et de savoir pour la facture ex professo, d'une couple, au moins, de gros in

octavo.

Tant de pouvoirs et de volontés diverses ne font, ainsi que je l'ai dû remarquer trop souvent, que se heurler au passage; et laisser en partant la pauvre administration directe bien embarrassée de savoir à quels ordres obéir, craignant, avec raison, de se faire autant d'ennemis qu'elle aura froissé, par ses refus, d'amourpropres et d'ambitieuses humilités!

De là aussi, déconsidération totale de la force morale des administrateurs des prisons; et, par conséquent, impossibilité réelle de l'amendement des prisonniers.

Je dirai plus loin par quelles mesures on peut tout à-la-fois garantir l'exécution pleine et entière des arrêts de la justice, sans jeter une funeste perturbation dans le service exceptionnel et particulier dont il s'agit.

Au moment où j'écris, la haute direction, tant du matériel que du personnel des prisons, appartient au département du commerce. Mais cela ne peut durer : car un temps de calme doit venir où les attributions spéciales des divers pouvoirs de l'Etat seront établies,

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