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leur patrimoine, ils étoient plus hardis à commettre des crimes.

Les empereurs ayant établi un gouvernement militaire, ils sentirent bientôt qu'il n'étoit pas moins terrible contre eux que contre les sujets; ils cherchèrent à le tempérer; ils crurent avoir besoin des dignités et du respect qu'on avoit pour elles.

On s'approcha un peu de la monarchie, et l'on divisa les peines en trois classes1: celles qui regardoient les premières personnes de l'État, et qui étoient assez douces; celles qu'on infligeoit aux personnes d'un rang inférieur3, et qui étoient plus sévères; enfin, celles qui ne concernoient que les conditions basses, et qui furent les plus rigoureuses.

Le féroce et insensé Maximin irrita, pour ainsi dire, le gouvernement militaire qu'il auroit fallu adoucir. Le sénat apprenoit, dit Capitolin, que les uns avoient été mis en croix, les autres exposés aux bêtes, ou enfermés dans des peaux de bêtes récemment tuées, sans aucun égard pour les dignités. Il sembloit vouloir exercer la discipline militaire, sur le modèle de laquelle il prétendoit régler les affaires civiles.

On trouvera dans les Considérations sur la grandeur des Romains, et leur décadence, comment Constantin

rent, quod integris patrimoniis exularent. Suétone, in Julio Cæsare, C. LXII. (M.)

1. Voyez la loi 3, § legis, ad legem Cornel. de sicariis, et un très-grand nombre d'autres, au Digeste et au Code. (M.)

2. Sublimiores. (M.)

3. Medios. (M.)

4. Infimos L. 3, § legis. ad leg., Cornel. de sicariis. (M.)

5. Jul. Cap., Maximini duo, c. vIII. (M.)

6. Chap. XVII. (M.)

changea le despotime militaire en un despotisme militaire et civil, et s'approcha de la monarchie. On y peut suivre les diverses révolutions de cet État, et voir comment on y passa de la rigueur à l'indolence, et de l'indolence à l'impunité.

1. A. B. On y peut suivre les diverses révolutions de cet État, comment on y passa, etc.

DE LA JUSTE PROPORTION DES PEINES

AVEC LE CRIME.

Il est essentiel que les peines aient de l'harmonie entre elles, parce qu'il est essentiel que l'on évite plutôt un grand crime qu'un moindre, ce qui attaque plus la société, que ce qui la choque moins.

« Un imposteur1, qui se disoit Constantin Ducas, suscita un grand soulèvement à Constantinople. Il fut pris et condamné au fouet; mais, ayant accusé des personnes considérables, il fut condamné, comme calomniateur, à être brûlé. » Il est singulier qu'on eût ainsi proportionné les peines entre le crime de lèse-majesté et celui de calomnie 2.

Cela fait souvenir d'un mot de Charles II, roi d'Angleterre. Il vit, en passant, un homme au pilori; il demanda pourquoi il étoit là. « Sire, lui dit-on, c'est parce qu'il a fait des libelles contre vos ministres. >>

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« Le grand

1. Histoire de Nicéphore, patriarche de Constantinople. (M.)

2. Il est probable qu'on le fouetta pour le livrer au mépris de la populace, et qu'on punit le crime de lèse-majesté sous le prétexte de la calomnie. Il s'agit non pas d'une loi, mais d'un fait particulier. On n'en peut rien conclure sur la proportion des peines.

3. A. B. Pourquoi l'a-t-on mis là, dit-il. des écrits satiriques contre vos ministres.

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·Sire, lui répondit-on, il a fait

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sot! dit le roi: que ne les écrivoit-il contre moi? on ne lui auroit rien fait. »

<< Soixante-dix personnes conspirèrent contre l'empereur Basile1; il les fit fustiger; on leur brûla les cheveux et le poil. Un cerf l'ayant pris avec son bois par la ceinture, quelqu'un de sa suite tira son épée, coupa sa ceinture et le délivra; il lui fit trancher la tête, parce qu'il avoit, disoit-il, tiré l'épée contre lui. » Qui pourroit penser que, sous le même prince, on eût rendu ces deux jugements?

C'est un grand mal, parmi nous, de faire subir la même peine à celui qui vole sur un grand chemin, et à celui qui vole et assassine. Il est visible que, pour la sûreté publique, il faudroit mettre quelque différence dans la peine.

A la Chine, les voleurs cruels sont coupés en morceaux3, les autres non cette différence fait que l'on y vole, mais qu'on n'y assassine pas.

En Moscovie, où la peine des voleurs et celle des assassins sont les mêmes, on assassine toujours. Les morts, y dit-on, ne racontent rien.

Quand il n'y a point de différence dans la peine, il faut en mettre dans l'espérance de la grâce. En Angleterre, on n'assassine point, parce que les voleurs peuvent espérer d'être transportés dans les colonies, non pas les assassins.

C'est un grand ressort des gouvernements modérés

1. Histoire de Nicéphore. (M.)

2. En France.

3. Le P. Du Halde, t. I, p. 6. (M.)

4. État présent de la grande Russie, par Perry (M.)

5. A. Mais non les assassins.

que les lettres de grâce. Ce pouvoir que le prince a de pardonner, exécuté avec sagesse, peut avoir d'admirables effets'. Le principe du gouvernement despotique, qui ne pardonne pas, et à qui on ne pardonne jamais, le prive de ces avantages.

1. Il faut prendre cette assertion avec quelque tempérament. V. inf. chap. XXI.

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