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Saint-Eustache. Le Corsaire et la Pandore m'ont donné des éloges, mais sans détails de ces choses banales, comme on en dit, pour tout le monde. J'attends le jugement. de Castil-Blaze, qui m'avait promis d'y assister, de Fétis et de l'Observateur; voilà les seuls journaux que j'avais invités, les autres étant trop occupés de politique.

J'ai été entendu dans un très mauvais moment; beaucoup de personnes que j'avais invitées, entre autres les dames Lefranc, ne sont pas venues à cause des troubles affreux dont le quartier Saint-Denis était le théâtre depuis quelques jours. Quoi qu'il en soit, j'ai réussi au delà de mon espérance; j'ai vraiment un parti à l'Odéon, aux Bouffes, au Conservatoire et au Gymnase. J'ai reçu des félicitations de toutes parts; j'ai reçu, le soir même de l'exécution, une lettre de compliments d'un monsieur que je ne connais pas et qui m'a écrit des choses charmantes. J'avais envoyé des lettres d'invitation à tous les membres de l'Institut, j'étais bien aise qu'ils entendissent exécuter ce qu'ils appellent de la musique inexécutable; car ma Messe est trente fois plus difficile que ma cantate du concours, et vous savez que j'ai été obligé de me retirer parce que M. Rifaut n'a pas pu m'exécuter sur le piano, et que

M. Berton s'est empressé de me déclarer inexécutable, même à l'orchestre.

Mon grand crime, aux yeux de ce vieil et froid classique (à présent du moins), est de chercher à faire du neuf.

C'est une chimère, mon cher, me disait-il il y a un mois; il n'y a point de neuf en musique; les grands maîtres se sont soumis à certaines formes musicales que vous ne voulez pas adopter. Pourquoi chercher à faire mieux que les grands maîtres? Et puis je sais que vous avez une grande admiration pour un homme qui, sans doute, n'est pas sans talent... sans génie... C'est Spontini.

-Oh! oui, monsieur, j'ai une grande admiration pour lui, et je l'aurai toujours.

Eh bien, mon cher, Spontini..., aux yeux des véritables connaisseurs, ne jouit pas... d'une grande considération.

Là-dessus, vous pensez bien, je lui ai tiré ma révérence. Ah! vieux podagre, si c'est là mon crime, il faut avouer qu'il est grand, car jamais admiration ne fut plus profonde ni plus motivée; rien ne peut l'égaler, si ce n'est le mépris que m'inspire la petite jalousie de l'académicien.

Faut-il m'avilir jusqu'à concourir encore une fois?... Il le faut pourtant, mon père le veut; il attache à ce prix une grande importance. A cause

de lui, je me représenterai; je leur écrirai un petit orchestre bourgeois à deux ou trois parties, qui fera autant d'effet sur le piano que l'orchestre le plus riche; je prodiguerai les redondances, puisque ce sont là les formes auxquelles les grands maîtres se sont soumis, et qu'il ne faut pas faire mieux que les grands maîtres, et, si j'obtiens le prix, je vous jure que je déchire ma Scène aux yeux de ces messieurs, aussitôt que le prix sera donné.

Je vous parle de tout cela avec feu, mon cher ami; mais vous ne savez pas combien peu j'y attache d'importance : je suis depuis trois mois en proie à un chagrin dont rien ne peut me distraire, et le dégoût de la vie est poussé chez moi aussi loin que possible; le succès même que je viens d'obtenir n'a pu qu'un instant soulever le poids douloureux qui m'oppresse, et il est retombé plus lourd qu'auparavant. Je ne puis ici vous donner la clef de l'énigme; ce serait trop long, et, d'ailleurs, je crois que je ne saurais former des lettres en vous parlant de ce sujet; quand je vous reverrai, vous saurez tout; je finis par cette phrase que l'ombre du roi de Danemark adresse à son fils Hamlet:

Farewell, farewell, remember me!

Mon cher ami,

III

Paris, vendredi, 6 juin 1828.

Vous séchez sans doute d'impatience de connaître le résultat de mon concert; si je ne vous ai pas écrit plus tôt, c'est que j'attendais le jugement des journaux; tous ceux qui ont parlé de moi, à l'exception de la Revue musicale et de la Quotidienne, que je n'ai pas encore pu me procurer, doivent vous parvenir en même temps que ma lettre.

Grand, grand succès! Succès d'étonnement dans le public, et d'enthousiasme parmi les artistes.

On m'avait déjà tant applaudi aux répétitions générales de vendredi et de samedi, que je n'avais pas la moindre inquiétude sur l'effet que produirait ma musique sur les auditeurs payants. L'ouverture de Waverley, que vous ne connaissez pas, a ouvert la séance de la manière la plus avantageuse possible, puisqu'elle a obtenu trois salves d'applaudissements. Après quoi est venue notre chère Mélodie pastorale. Elle a été indignement chantée par les solos, et le choeur de la fin

ne l'a pas été du tout; les choristes, au lieu de compter leurs pauses, attendaient un signe que le chef d'orchestre ne leur a pas fait, et ils se sont aperçus qu'ils n'étaient pas entrés quand le morceau était sur le point de finir. Ce morceau n'a pas produit le quart de l'effet qu'il renferme.

La Marche religieuse des mages, que vous ne connaissez pas non plus, a été fort applaudie. Mais, quand est venu le Resurrexit de ma Messe, que vous n'avez jamais entendu depuis que je l'ai retouché et qui était chanté pour la première fois par quatorze voix de femmes et trente hommes, la salle de l'École royale de musique a vu pour la première fois les artistes de l'orchestre quitter leurs instruments aussitôt après le dernier accord et applaudir plus fort que le public. Les coups d'archet retentissaient comme la grêle sur les basses et contre-basses : les femmes, les, hommes des choeurs, tout applaudissait ; quand une salve était finie, une autre recommençait.; c'étaient des cris, des trépignements !...

Enfin, ne pouvant plus y tenir dans mon coin de l'orchestre, je me suis étendu sur les timbales,. et je me suis mis à pleurer.

Ah! que n'étiez-vous là, cher ami! Vous auriez vu triompher la cause que vous défendiez avec tant de chaleur contre les gens à idées étroites et

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