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LE BARON DE VIEUXBOIS.
LA BARONNE DE VIEUXBOIS.

ANGÉLIQUE, leur fille aînée.

BABET, leur fille cadette.

LÉANDRE, amant d'Angélique.

MONSIEUR DES MASURES, autre amant

d'Angélique.

LOLIVE, valet de Léandre.

LE COMTE DES GUÉRETS, gentilhomme

campagnard.

LA COMTESSE DES GUÉRETS.

MONSIEUR LE PRÉSIDENT.

LA PRÉSIDENTE, sa femme.

La scène est en Poitou, dans le château du baron.

L

COMÉDIE.

ACTE PREMIER.

SCÈNE I.

LE BARON, ANGÉLIQUE.

LE BARON.

On ça! ma fille, parlez-moi naturellement. Je m'aperçois, depuis quelques jours, que vous êtes triste et rêveuse; sans doute que vous regrettez le séjour de Paris?

Hélas!

ANGÉLIQUE.

LE BARON.

Voilà un hélas qui me fait voir que j'ai deviné juste. Tu t'ennuies ici, ma pauvre enfant?

ANGÉLIQUE.

Non, mon père, je ne m'y ennuie pas, et ce séjour auroit mille agrémens pour moi, si on m'y laissoit disposer de moi-même; mais à peine suisje arrivée, qu'on parle de me marier; et avec qui? avec un provincial. Que dis-je, un provincial? un campagnard; et qui pis est, un campagnard bel esprit. Quelle société pour une fille comme moi, élevée dans le grand monde, et accoutumée au commerce des gens de la cour et de Paris, les plus polis et les plus spirituels!

LE BARON.

Ah! ma pauvre fille, l'éducation que ta tante t'a donnée te rendra malheureuse. Tu as trop d'esprit et de perfection pour ce pays-ci.

ANGÉLIQUE.

Eh! pourquoi voulez-vous donc m'y attacher?

LE BARON.

Moi, je ne veux rien; c'est ma femme qui veut.

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Mais ma mère vous engage toujours à être de son avis.

LE BARON.

Je n'ai point de honte de l'avouer : c'est une femme d'un mérite prodigieux, d'une raison et d'un jugement au-dessus de son sexe; une femme qui m'aime à l'adoration, quoiqu'il y ait vingtcinq ans que nous sommes mariés. ANGÉLIQUE.

Ah! s'il m'étoit permis de vous parler naturellement!

LE BARON.

Eh bien! que me dirois-tu?

ANGÉLIQUE.

Que ma mère abuse de votre facilité.

LE BARON.

Et en quoi, s'il vous plaît?

ANGÉLIQUE.

En ce qu'elle vous fait rompre un mariage trèsavantageux que ma tante avoit ménagé pour moi à Paris, et vous force à me faire épouser un personnage qui ne me convient en aucune façon.

LE BARON.

Corbleu! Madame votre mère a raison. Ce Léandre dont vous êtes coiffée, n'est point du tout votre fait. Il y a quatre cents ans que dans ma famille nous sommes gueux de père en fils, pour n'avoir pas voulu nous mésallier, et je refuserois pour mon gendre le plus riche parti de France, qui ne pourroit pas me prouver que ses ancêtres ont marché aux premières croisades. ANGÉLIQUE.

Quel entêtement! Le mérite se mesure-t-il à l'ancienneté des familles? Ah! mon père, souffrirez-vous qu'on m'arrache à ce que j'aime, pour me sacrifier à ce que je n'aimerai point?

LE BARON.

Ne te désespère pas, mon enfant, tu verras aujourd'hui monsieur des Masures, et je te réponds qu'il te charmera.

ANGÉLIQUE.

Et moi, je vous réponds qu'il me paroîtra tel qu'il est; c'est-à-dire, le plus suffisant, le plus fat et le plus ridicule de tous les hommes.

LE BARON.

Ouais! mademoiselle de Vieuxbois, vous êtes bien délicate? Comment faut-il donc qu'un homme soit fait pour vous plaire?

ANGÉLIQUE.

Comme Léandre. Qu'il soit honnête homme, qu'il ait vécu dans le monde, et qu'il ait acquis cette politesse, ces manières aisées, nobles et grâcieuses, qui ne tiennent rien de la sotte présomption, du ridicule et de l'affectation de la plupart des gens de province.

LE BARON.

Ah! si votre mère vous entendoit raisonner de la sorte...

ANGÉLIQUE.

Aidez-moi à la désabuser de M. des Masures. Je me jette à vos genoux pour obtenir cette grâce, et je me flatte que vous ne me la refuserez pas.

LE BARON.

Je vous aime, ma fille, et je ferai de mon mieux pour que l'on ne force point vos inclinations. ANGÉLIQUE.

Daignez dire quelques mots en faveur de Léandre.

LE BARON.

Mais je ne le connois que de réputation. S'il

étoit ici, je soutiendrois mieux sa cause.

ANGÉLIQUE.

Eh bien! promettez-moi de prendre son parti,

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