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I

AVERTISSEMENT

à l'occafion de cette nouvelle édition. LE livre de l'Esprit des loix a enfin franchi tous les obstacles que l'envie & la fuperftition avoient entrepris de lui opposer : toute l'Europe retentit des justes louanges dues à cet ouvrage immortel; il eft, pour les nations éclairées, un motif de jaloufie contre la France, qui a eu le bonheur de voir naître M. de Montefquieu dans fon fein, & de l'y conserver jufqu'au fatal instant où la terre a perdu ce grand homme. Par-tout fon livre eft cité avec vénération; &, fi un auteur croit devoir, en quelque circonftance particulière, penfer autrement que cet illuftre écrivain, il le fait avec une réserve refpectueufe; il demande, pour ainsi dire, pardon de ce qu'il ofe trouver une faute dans un livre que le genre humain a choisi pour y puiser ses instructions fur la faine politique.

Ce n'est point un aveugle enthousiasme qui produit des louanges fi générales & fi unanimes; elles" font le jufte tribut de la reconnoiffance que l'univers doit à cet illuftre auteur. C'eft lui qui nous a éclairés fur les vrais principes du droit public : c'est à son

TOME L

flambeau que fe font éclipfés les ouvrages les plus renommés fur cette matière : c'eft avec le secours de fa lumière que nous avons enfin substitué la raison & la vérité aux fyftêmes fondés fur les préjugés qui s'étoient tranfmis d'âge en âge, & que de célèbres écrivains n'avoient fait que recueillir, développer & appuyer par de nouveaux fophifmes. Le livre de l'Esprit des loix fait une époque à jamais mémorable dans l'hiftoire des connoiffances humaines.

M. de Montefquieu jouit, dès fon vivant, des éloges des plus grands hommes de l'Europe; & il s'eft procuré lui-même, par la Défense de l'Esprit des loix, le triomphe le plus complet fur ces auteurs obfcurs d'ouvrages éphémères qui avoient ofé s'attacher à lui, comme ces vils infectes qui nous importunent, & qu'on écrase fans effort.

Tout étoit resté dans le filence; l'envie n'ofa plus se remontrer; elle craignit de nouveaux coups. La mort lui enleva enfin un adverfaire fi redoutable. Quand elle crut n'avoir plus rien à craindre, elle emprunta, pour reparoître, la plume de M. Crévier, professeur en l'université de Paris.

Cet écrivain, dans fes Obfervations fur le livre de l'Esprit des loix, s'est efforcé de décrier, par tous les moyens poffibles, un ouvrage qu'il n'entendoit pas,

puifqu'il ne le trouvoit blâmable que par quelques détails. Il a confacré une grande partie de son libèle à chercher des inexactitudes, foit dans les faits hiftoriques cités ou rapportés par M. de Montefquieu, foit dans l'interprétation de quelques textes des anciens écrivains. M. Crévier traite cette partie de fa critique avec cette discussion minutieuse, qui est toujours l'appanage des génies étroits, qui étouffe le goût, & arrête, dans leur course, ceux qui cherchent les connoiffances utiles.

Il s'est délecté dans ce travail; il y a trouvé un dou⚫ ble moyen de fatisfaire fa vanité : d'un côté, il croyoit abbattre un ouvrage qui fait l'objet de la vénération publique ; il fe croyoit le pédagogue du genre humain; & s'imaginoit qu'il alloit lui-seul enseigner à tous les hommes qu'ils font ignorans, puisqu'ils ne s'étoient pas apperçus que le guide qu'ils avoient choisi pour la politique entendoit mal le Grec & le Latin. En fe livrant d'ailleurs à la difcuffion d'une vérité qui lui paroissoit si importante, il ne manque aucune occafion de faire un faftidieux étalage d'un genre d'érudition qui convient fans doute aux perfonnes de fa profeffion; mais dont ceux qui l'exercent avec goût, se donnent bien de garde de faire parade aux yeux du public.

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Cette affectation feroit fans doute ridicule, quand celui qui fe l'eft permise l'auroit appuyée de l'exactitude la plus scrupuleuse : mais qu'en doit-on penser, fi ce point, tout essentiel qu'il est, manque à notre prétendu critique? On ne le fuivra point ici dans tous les détails auxquels il s'eft livré : ce feroit l'imiter dans le défaut qu'on lui reproche qu'il foit feulement permis d'examiner un ou deux traits de sa critique.

» La tentation de faire une jolie phrase, dit-il, » page 34 de fon libèle, eft un piége pour bien des » écrivains ; & la supériorité du génie de M. de Montefquieu ne l'en a pas toujours garanti. Cette féduc» tion l'a écarté de la vérité historique dans l'endroit » que je vais citer. Rome, dit-il, liv. III, chap. III, » au lieu de se réveiller après Céfar, Tibère, Caïus, Claude » Néron, Domitien, fut toujours plus efclave: tous les » coups portèrent fur les tyrans, aucun fur la tyrannie. >> Voilà qui est agréablement dit, reprend M. Crévier; mais le fait est-il vrai? Je ne confidère ici que Domi>> tien. Affurément le coup qui renverfa ce tyran, » porta fur la tyrannie; elle ne parut plus dans Rome, » pendant un espace de plus de 80 ans. Nerva, Tra»jan, Adrien, Tite, Antonin, Marc-Aurèle for>ment la plus belle chaîne de princes fages & mo

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