Page images
PDF
EPUB

reffort qui fait agir un gouvernement, & dire qu'elle n'eft point dans ce gouvernement. Si je difois, Telle roue, tel pignon, ne font point lereffort qui fait mouvoir cette montre; en conclueroit-on qu'ils ne font point dans la montre? Tant s'en faut que les vertus morales & chrétiennes foient exclues de la monarchie, que même la vertu politique ne l'eft pas. En un mot, l'honneur eft dans la république, quoique la vertu politique en foit le reffort; la vertu politique eft dans la monarchie, quoique l'honneur en foit le reffort.

Enfin l'homme de bien, dont il eft queflion dans le livre III, chapitre V, n'eft pas l'homme de bien chrétien, mais l'homme de bien politique, qui a la vertu politique dont j'ai parlé. C'est l'homme qui aime les loix de fon pays, & qui agit par l'amour des loix de fon pays. J'ai donné un nouveau jour à toutes ces chofes dans cette éditionci, en fixant encore plus les idées : &, dans la plupart des endroits où je me fuis fervi du mot de vertu, j'ai mis vertu politique.

PRÉFAC E.

Sı, dans le nombre infini de chofes qui font dans ce livre, il y en avoit quelqu'une qui, contre mon attente, pût offenser, il n'y en à pas du moins qui y ait été mise avec mauvaise intention. Je n'ai point naturellement l'efprit défapprobateur. Platon remercioit le ciel de ce qu'il étoit né du temps de Socrate; & moi, je lui rends graces de ce qu'il m'a fait naître dans le gouvernement où je vis, & de ce qu'il a voulu que j'obéiffe à ceux qu'il m'a fait aimer.

Je demande une grace que je crains qu'on ne m'accorde pas; c'est de ne pas juger par la lecture d'un moment, d'un travail de vingt années; d'approuver ou de condamner le livre entier, & non pas quelques phrafes. Si l'on veut chercher le deffein de l'auteur, on ne le peut bien découvrir que dans le deffein de l'ouvrage.

J'ai d'abord examiné les hommes ; & j'ai cru que, dans cette infinie diverfité de loix & de moeurs, ils n'étoient pas uniquement conduits par leurs fantaisies.

J'ai pofé les principes ; & j'ai vu les cas particuliers s'y plier comme d'eux-mêmes, les hiftoires de toutes les nations n'en être que les fuites, & chaque loi particulière liée avec une autre loi, ou dépendre d'une autre plus générale.

Quand j'ai été rappellé à l'antiquité, j'ai cherché à en prendre l'efprit, pour ne pas regarder comme femblables des cas réellement différens, & ne pas manquer les différences de ceux qui paroissent semblables.

Je n'ai point tiré mes principes de mes préjugés, mais de la nature des choses.

Ici, bien des vérités ne fe feront fentir qu'après qu'on aura vu la chaîne qui les lie à d'autres. Plus on réfléchira sur les détails, plus on fentira la certitude des principes. Ces détails mêmes, je ne les ai pas tous donnés; car qui pourroit dire tout fans un mortel

ennui?

On ne trouvera point ici ces traits faillans, qui femblent caractériser les ouvrages d'aujourd'hui. Pour peu qu'on voie les chofes avec une certaine étendue, les faillies s'évanouiffent; elles ne naiffent, d'ordinaire, que parce que l'efprit fe jette tout d'un côté, & abandonne tous les autres.

Je n'écris point pour cenfurer ce qui est établi dans quelque pays que ce foit. Chaque nation trouvera ici les raifons de fes maximes; & on en tirera naturellement cette conféquence, qu'il n'appartient de propofer des changemens, qu'à ceux qui font affez heureufement nés pour pénétrer, d'un coup de génie, toute la conftitution d'un état.

Il n'est pas indifférent que le peuple foit éclairé. Les

préjugés des magiftrats ont commencé par être les préjugés de la nation. Dans un temps d'ignorance, on n'a aucun doute, même lorsqu'on fait les plus grands maux; dans un temps de lumière, on tremble encore lorsqu'on fait les plus grands biens. On fent les abus anciens, on en voit la correction; mais on voit encore les abus de la correction même. On laiffe le mal, fi l'on craint le pire; on laisse le bien, fi on est en doute du mieux. On ne regarde les parties, que pour juger du tout ensemble: on examine toutes les causes, pour voir tous les résultats.

Si je pouvois faire en forte que tout le monde eût de nouvelles raifons pour aimer ses devoirs, fon prince, fa patrie, fes loix; qu'on pût mieux fentir fon bonheur dans chaque pays, dans chaque gouvernement, dans chaque pofte où l'on fe trouve; je me croirois le plus heureux des mortels.

Si je pouvois faire en forte que ceux qui commandent augmentaffent leurs connoiffances fur ce qu'ils doivent prescrire, & que ceux qui obéiffent trouvaffent un nouveau plaifir à obéir, je me croirois le plus heureux des mortels.

Je me croirois le plus heureux des mortels, fi je pouvois faire que les hommes puffent se guérir de leurs préjugés. J'appelle ici préjugés, non pas ce qui fait qu'on ignore de certaines choses, mais ce qui fait qu'on s'ignore foi-même,

C'est en cherchant à inftruire les hommes, que l'on peut pratiquer cette vertu générale qui comprend l'amour de tous. L'homme, cet être flexible, fe pliant dans la fociété aux pensées & aux impreffions des autres, eft également capable de connoître fa propre nature, lorsqu'on la lui montre, & den perdre jusqu'au fentiment, lorsqu'on la lui dérobe.

J'ai bien des fois commencé, & bien des fois abandonné cet ouvrage ; j'ai mille fois envoyé aux vents les feuilles que j'avois écrites (a); je fentois tous les jours les mains paternelles tomber (b); je suivois mon objet sans former de dessein; je ne connoissois ni les règles ni les exceptions; je ne trouvois la vérité que pour la perdre. Mais, quand j'ai découvert mes principes, tout ce que je cherchois est venu à moi; & dans le cours de vingt années, j'ai vu mon ouvrage commencer, croître, s'avancer, & finir.

Si cet ouvrage a du fuccès, je le devrai beaucoup à la majesté de mon fujet : cependant je ne crois pas avoir totalement manqué de génie. Quand j'ai vu ce que tant de grands hommes, en France, en Angleterre & en Allemagne, ont écrit avant moi, j'ai été dans l'admiration; mais je n'ai point perdu le courage. Et moi auffi je fuis peintre (c), ai-je dit avec le Corrège.

(4) Ludubria ventis.

(b)-Bis patriæ cecidere manus.........

(c) Ed io anche fon pittore.

« PreviousContinue »