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mœurs, & vivre de fon bien propre avec frugalité & inté- « grité. Car fes prédéceffeurs ayant fait une fociété avec les «< traitans, qui avoient pour lors les jugemens à Rome, ils « avoient rempli la province de toutes fortes de crimes. Mais «< Scévola fit juftice des publicains, & fit mener en prifon« ceux qui y traînoient les autres «.

à

Dion nous dit (c) que Publius Rutilius, fon lieutenant, qui n'étoit pas moins odieux aux chevaliers, fut accufé à son retour d'avoir reçu des préfens, & fut condamné une amende. Il fit fur le champ ceffion de biens. Son in-nocence parut, en ce que l'on lui trouva beaucoup moins de bien qu'on ne l'accufoit d'en avoir volé, & il montroit les titres de fa propriété. Il ne voulut plus refter dans la ville avec de telles gens.

Les Italiens, dit encore Diodore (d), achetoient en Si

cile des troupes d'esclaves pour labourer leurs champs, &

avoir foin de leurs troupeaux; ils leur refufoient la nourriture. Ces malheureux étoient obligés d'aller voler fur les grands chemins, armés de lances & de maffues, couverts de peaux de bêtes; de grands chiens autour d'eux. Toute la province fut dévastée, & les gens du pays ne pouvoient dire avoir en propre que ce qui étoit dans l'enceinte des villes.. Il n'y avoit ni proconful, ni préteur, qui pût ou voulût s'oppofer à ce défordre, & qui osât punir ces esclaves, parce qu'ils appartenoient aux chevaliers qui avoient à Rome les jugemens (e). Ce fut pourtant une des caufes de la guerre

(c) Fragment de son hiftoire, tiré de Textrait des vertus & des vices.

(d) Fragment du liv. XXXIV, dans extrait des vertus & des vices.

(e) Penès quos Romæ cùm judicia.

erant, atque ex equeftri ordine folerent fortito judices eligi in cauffâ pratorum & proconfulum, quibus, poft adminiftratam provinciam dies dictze cube

des efclaves. Je ne dirai qu'un mot : une profeffion qui n'a, ni ne peut avoir d'objet que le gain; une profeffion qui demandoit toujours, & à qui on ne demandoit rien; une profession fourde & inexorable, qui appauvrifsoit les richesses & la misère même, ne devoit point avoir à Rome les jugemens.

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Du gouvernement des provinces Romaines: C'EST ainfi que les trois pouvoirs furent diftribués dans la

ville: mais il s'en faut bien qu'ils le fuffent de même dans les provinces. La liberté étoit dans le centre, & la tyrannie aux extrémités.

Pendant que Rome ne domina que dans l'Italie, les peuples furent gouvernés comme des confédérés: on suivoit les loix de chaque république. Mais, lorsqu'elle conquit plus loin, que le fénat n'eut pas immédiatement l'œil fur les provinces, que les magiftrats qui étoient à Rome ne purent plus gouverner l'empire, il fallut envoyer des préteurs & des proconfuls. Pour lors, cette harmonie des trois pouvoirs ne fut plus. Ceux qu'on envoyoit avoient une puiffance qui réuniffoit celle de toutes les magiftratures Romaines; que dis-je ? celle même du fénat, celle même du peuple (a). C'étoient des magiftrats defpotiques, qui convenoient beaucoup à l'éloignement des lieux où ils étoient envoyés. Ils exerçoient les trois pouvoirs; ils étoient, fi j'ofe me fervir de ce terme, les bachas de la république.

Nous avons dit ailleurs (6) que les mêmes citoyens, dans

(a) Hs faifoient leurs édits en entrant dans les provinces,

(b) Liv. V, ch. xix. Voyez auffi les livres II, III, IV & V.

la république, avoient, par la nature des chofes, les emplois civils & militaires. Cela fait qu'une république qui conquiert ne peut guère communiquer fon gouvernement, & régir l'état conquis felon la forme de fa conftitution. En effet, le magiftrat qu'elle envoie pour gouverner, ayant la puissance exécutrice, civile & militaire, il faut bien qu'il ait aussi la puissance législative; car, qui eft - ce qui feroit des loix fans lui? Il faut auffi qu'il ait la puiffance de juger: car, qui eft-ce qui jugeroit indépendamment de lui? Il faut donc que le gouverneur qu'elle envoie ait les trois pouvoirs, comme cela fut dans les provinces Romaines.

Une monarchie peut plus aifément communiquer fon gouvernement; parce que les officiers qu'elle envoie ont, les uns la puiffance exécutrice civile, & les autres la puiffance exécu trice militaire; ce qui n'entraîne pas après foi le defpotifme..

C'étoit un privilège d'une grande conféquence pour un citoyen Romain, de ne pouvoir être jugé que par le peuple. Sans cela, il auroit été foumis, dans les provinces, au pouvoir arbitraire d'un proconful ou d'un propréteur. La ville ne fentoit point la tyrannie qui ne s'exerçoit que fur les nations affujetties.

Ainfi, dans le monde Romain, comme à Lacédémone, ceux qui étoient libres étoient extrémement libres, & ceux qui étoient efclaves étoient extrémement esclaves.

Pendant que les citoyens payoient des tributs, ils étoient: levés avec une équité très-grande. On suivoit l'établissement: de Servius Tullius, qui avoit diftribué tous les citoyens en fix claffes, felon l'ordre de leurs richeffes, & fixé la part de l'impôt à proportion de celle que chacun avoit dans le gouvernement. Il arrivoit de-là qu'on fouffroit la grandeur du tribut, à cause de la grandeur du crédit ; & que l'on fe

confoloit de la petiteffe du crédit, par la petiteffe du tribut.

Il y avoit encore une chose admirable : c'est que la divifion de Servius Tullius par claffe étant, pour ainfi dire, le principe fondamental de la conftitution; il arrivoit que l'équité, dans la levée des tributs, tenoit au principe fondamen tal du gouvernement, & ne pouvoit être ôtée qu'avec lui.

Mais, pendant que la ville payoit les tributs fans peine, ou n'en payoit point du tout (c), les provinces étoient défolées par les chevaliers, qui étoient les traitans de la république. Nous avons parlé de leurs vexations, & toute l'hiftoire en eft pleine.

>> Toute l'Afie m'attend comme fon libérateur difoit » Mithridate (d); tant ont excité de haine contre les Romains » les rapines des proconfuls (e), les exactions des gens d'affai» res, & les calomnies des jugemens (ƒ) «.

Voilà ce qui fit que la force des provinces n'ajouta rien à la force de la république, & ne fit au contraire que l'affoiblir. Voilà ce qui fit que les provinces regardèrent la perte de la liberté de Rome comme l'époque de l'établissement de la leur.

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rés que nous connoissons, quelle est la diftribution des trois

pouvoirs,

pouvoirs, & calculer par - là les dégrés de liberté dont chacun d'eux peut jouir. Mais il ne faut pas toujours tellement épuifer un fujet, qu'on ne laisse rien à faire au lecteur. Il ne s'agit pas de faire lire, mais de faire penser.

بهتر

TOME I

Ii

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