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un passage cité et traduit par M. Villemain, montre le Christ descendant aux enfers, et faisant pénétrer l'espoir et le pardon là où l'on ne connaissait depuis Adam que les gémissements et les larmes.

Voici de saint Éphrem un autre morceau plein de simplicité et de grâce, plus honorable peutêtre pour sa mémoire, a dit non sans justesse un savant critique, que les transports les plus poétiques de son éloquence orientale : <<< Dieu est charité, et qui demeure dans la charité demeure en Dieu. L'homme qui possède la charité est, comme Dieu même, inaccessible à la crainte, car la charité exclut la crainte. Sans dédain, sans aigreur, égal pour tous, se sacrifiant à tous, loin d'attenter à la réputation des autres, il ne donne au médisant nul accès auprès de lui. Nulle envie, nul emportement; l'aspect du malheur d'autrui l'afflige, et ne lui laisse d'autre sentiment que le besoin de faire le bien; il ne connaît point d'étrangers; il regarde tous les hommes comme ses frères: patient, résigné dans les maux, miséricordieux pour les autres, il n'est sévère que pour lui-même. »>

Dans son éloquence, on a pu le reconnaître, Éphrem a souvent l'élan et le feu de la poésie; c'est qu'Éphrem était poëte en même temps qu'orateur; dans ses discours mêmes, souvent il invoque sa lyre comme un poëte : « Retentis, ô

ma lyre! il ne te conviendrait pas de garder le silence. » Il a composé des chants funèbres, où son âme toujours frappée des terreurs de l'autre vie et du néant des choses humaines, fait entendre des accents singulièrement pathétiques. Sa foi, son mépris du monde, sa tendre pitié pour la souffrance s'exhalent en cris déchirants qui pénètrent jusqu'au fond du cœur. Ces hymnes qui embrassent toutes les conditions humaines, depuis l'évêque et le monarque jusqu'à l'enfant enlevé à l'amour d'une mère, sont, dit-on, encore chantés dans les funérailles.

A voir ces peintures enthousiastes de la vie du désert, ces scènes dramatiques et terribles de la mort et du jugement suprême qui la doit couronner, on serait tenté de croire que saint Éphrem ne fut qu'un pieux et ardent solitaire. Ce fut aussi, ce fut surtout une âme active et charitable; sa tendresse pour ses frères ne se bornait pas à de stériles exhortations. Durant une longue famine qui désola Édesse, plus de trois cents malades furent chaque jour recueillis par ses soins ce fut le dernier triomphe de sa charité, le dernier acte de sa vie, et aussi l'occasion de son dernier chant. Voyageur qui a terminé sa course, prisonnier qu'on va plonger dans les ténèbres, lumière vacillante de la lampe qui s'éteint, telles sont les images poétiques sous lesquelles Éphrem annonce sa fin prochaine. En

touré de ses disciples, qui étaient accourus à la triste nouvelle de sa maladie, il leur adresse ces touchantes paroles : « Approchez-vous de moi; que vos mains viennent fermer mes yeux. C'en est fait, je vais quitter ces lieux; désormais nous ne vivrons plus ensemble; oui, je le jure par vous, par moi-même, Éphrem ne se relèvera pas du lit de mort sur lequel il est étendu. » Puis, les bénissant d'une voix défaillante et tournant ses regards vers le ciel : « Je te salue, dit-il, ange conducteur, toi qui viens séparer mon âme de mon corps, pour le porter aux demeures qui l'attendent jusqu'au jour de la commune résurrection. » Telle fut la mort de saint Éphrem; mort de résignation, de foi, de charité, de pieuses frayeurs, de douces espérances et de poétiques images, mort semblable à sa vie.

CHAPITRE XV.

SAINT GRÉGOIRE DE NYSSE.

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Basile eut un frère, revêtu comme lui de l'épiscopat, et comme lui, sinon autant que lui, orateur brillant ce fut Grégoire de Nysse. Grégoire paraît s'être livré d'abord, non-seulement à l'étude, mais à l'enseignement des lettres profanes; et même ce goût pour la littérature païenne lui attira de la part de Grégoire de Nazianze les reproches d'une vraie, mais sévère amitié : « On dit, lui écrit-il, et il n'y a là pour vous rien d'avantageux, on dit que le démon de l'ambition, comme parle le poëte grec, vous entraîne sans que vous vous en aperceviez dans une mauvaise route. Quel changement s'est donc fait en vous? En quoi vous trouviez-vous moins parfait, pour abandonner, comme vous venez de le faire, pour les livres profanes nos livres sacrés, dont vous faisiez la lecture aux peuples, et avoir préféré la profession de rhéteur à celle de chrétien? Vous pardonnerez à ma franchise l'amitié que je vous porte, la peine que j'éprouve, le zèle qui m'enflamme et pour vous

:

et pour tout l'ordre sacerdotal et pour tous les chrétiens, sera mon excuse. Aurai-je à prier avec vous ou pour vous? Pour vous j'implore l'assistance du Dieu qui peut rappeler les morts eux-mêmes à la vie. » Ce vœu chrétien de Grégoire de Nazianze fut exaucé sans doute, car ailleurs, dans un de ses discours, Grégoire de Nazianze trace, sous les traits de Grégoire de Nysse, le portrait d'un ami fidèle. Grégoire de Nysse toutefois ne rompit peut-être pas entièrement avec les études profanes, et s'il ne les enseigna, il continua à les cultiver, ou du moins il s'en souvint; car, en même temps qu'il est orateur chrétien, il est philosophe aussi. Parlons de l'orateur d'abord.

Comme orateur, Grégoire de Nysse paraît surtout, influence bien naturelle, avoir écrit sous l'inspiration de Grégoire et de Basile. C'est Basile dont il accuse l'imitation dans ce passage: «< Argile animée, poussière infecte bientôt, vous ne rougissez pas de vous livrer à l'orgueil! oubliezvous donc les deux extrémités de la vie humaine, le point de départ et le terme où vous devez aboutir? Ce qui vous enfle, c'est votre jeunesse, votre beauté, l'agilité de vos muscles, la richesse ou l'élégance de votre parure; mais tout cela n'est pas vous. Vous n'êtes donc pas allé apprendre les secrets de notre nature dans quelqu'un de ces lieux destinés aux sépultures. Vous n'êtes pas allé con

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