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avec sa tranquillité première, les libres inspirations du désert; et, déposant sans regret la dignité de patriarche, il ira aussitôt qu'il le pourra, reprendre ses solitaires entretiens avec Dieu, avec lui-même, avec la nature, sources de ses dernières et touchantes poésies. Quand Grégoire est dans la solitude, il s'y abandonne entièrement à ses rêveries poétiques, à ses vagues tristesses. Il n'en est pas ainsi de Basile: sa retraite même est occupée; il s'y livre à des méditations fécondes; c'est là qu'il mûrit, là qu'il trace les règles si simples et si belles de la vie monastique reflets admirables de la pureté de son âme et de l'activité de son génie, et qui réunissent si bien, comme il le fit lui-même, l'étude à la réflexion, le travail à la contemplation. Peut-être aurait-il aimé, lui aussi, les obscures et profondes jouissances de la science et de la solitude, et à goûter en paix les beautés de l'univers qu'il a si bien peintes; mais il a senti qu'il devait à la religion son talent et sa vie; son talent et sa vie ; il n'a point hésité: évêque intrépide, il brave pour la foi les menaces de ses ennemis. Dans le calme de sa parole, on sent la fermeté de son caractère. Son expression élégante, pure, discrètement colorée et toujours animée d'une chaleur contenue, est plus sobre que celle de Grégoire, sans être moins heureuse; ses mouvements, moins vifs, sont peutêtre plus touchants; ses images aussi gracieuses,

sinon aussi brillantes. Basile, en un mot, a plus de maturité, si Grégoire a plus d'éclat. Leur génie a toujours conservé la différence de leur

caractère.

CHAPITRE XIV.

SAINT EPHREM.

L'Église de Syrie eut dans un même homme son Grégoire et son Basile, son poëte et son orateur : cet homme fut saint Éphrem. Éphrem naquit à Nisibe, vers la fin du I° siècle. L'imagination populaire a entouré son enfance de circonstances merveilleuses. « Un jour, dit saint Grégoire de Nysse, qu'il reposait dans les bras de sa mère, Dieu sembla lui révéler par un songe la richesse future et la beauté de son génie. L'enfant crut voir un cep de vigne se détacher de ses lèvres et s'élever dans les airs, couvert de feuillage et de fruits, et, à mesure que sa main en détachait les raisins ou les feuilles, ils renaissaient plus abondants: image, ajoute la légende, des savants traités ou des gracieuses poésies qu'un jour il devait composer. » Cette enfance pourtant eut ses misères, et l'on ne peut lire sans émotion le récit douloureux qu'Ephrem nous en a laissé. Abandonné de tous, le jour il errait à travers les champs et les forêts de la Mésopotamie, et, le soir, il allait

demander l'hospitalité à une demeure inconnue. Cette vie d'aventures avait ses périls. Accusé d'un crime qu'il n'avait pas commis, il fut plongé dans un cachot, et ne recouvra qu'avec peine la liberté. Du reste cette éducation du malheur ne fut perdue ni pour son âme ni pour son génie. Le ciel étoilé de la Syrie, dont les splendeurs frappaient sans cesse ses regards; les hautes montagnes où il se retirait, et où son âme ardente se nourrissait de rêveries et de liberté; ces campagnes, ces fleuves de l'Orient qu'il contemplait avec extase, toutes ces grandes et fortes images se peindront plus tard dans ses écrits. Éphrem

entendit dans la solitude la voix du ciel et se soumit au Seigneur; un saint évêque, Jacques de Nisibe, l'appela à lui et lui servit de maître. Les progrès d'Éphrem furent rapides; mais la langue syrienne, la langue de sa patrie, fut la seule que Jacques lui enseigna. Éphrem fut bientôt placé à la tête de l'école syriaque de Nisibe, et peu de temps après conduit par le saint évêque au con

cile de Nicée.

De retour dans sa patrie, il ne tarda pas à quit ter Nisibe pour Édesse. Il y arriva pauvre et dénué de tout, et fut forcé, comme le sage de l'antiquité grecque, de louer à un maître de bains publics le travail de ses mains; il consacrait ses heures de loisir à instruire les païens, nombreux encore dans Édesse. Un religieux le découvrit

dans cette vie de dévouement et de misère, et l'engagea à le suivre dans la solitude : Éphrem n'hésita point; et si, plus tard, par la charité qui l'entraîne au secours de ses frères, par l'admiration qu'excite son génie, il est quelquefois rappelé dans le monde, la retraite aura toujours ses préférences; c'est à des religieux que s'adressent ses premiers enseignements, à eux que dresseront ses derniers conseils, au milieu d'eux que s'éteindra sa vie.

s'a

Le génie d'Ephrem n'éclate jamais plus librement que dans les familières instructions adressées à de pauvres moines. Animée par la solitude et la foi, par des jeûnes prolongés, par la vue du ciel et de la nature, son imagination se teint des couleurs les plus gracieuses et les plus fortes tout ensemble. Il se plaît et triomphe dans la peinture du bonheur attaché à la vie religieuse; dans l'éloge de ceux qui, les premiers, l'ont instituée : « Où sont les hommes amis de Dieu, brûlant de la céleste charité, renonçant à tous les biens d'un monde fragile? ils ont pris la croix pour suivre le Sauveur, et Dieu, à son tour, les a aimés d'un tendre amour, les a fait entrer dans le port de la vie, dans le bonheur de l'éternité; là, toujours enivrés d'une douce allégresse, ils jouissent des embrassements du céleste époux et des délices de la vie bienheureuse. >>

Mais où se développe surtout l'imagination

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