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prochain, il lui en sera fait à lui-même. Dieu a étendu le ciel comme une peau. Celui qui a créé l'homme pénètre tous les secrets de son cœur. >> Il représente ensuite les chrétiens comme des gens pâles, décharnés, courbés vers la terre, ne se plaisant qu'à s'entretenir de nouvelles fâcheuses; et passant de la raillerie aux menaces il s'écrie : << O pauvres malheureux! ne vous élevez point de paroles, de peur d'irriter les lions, qui ne respirent que le sang et le carnage. » 11 parle enfin des jeûnes des chrétiens, de l'usage où ils étaient de passer les nuits à chanter des hymnes et des cantiques, de commencer l'oraison par le

Père.

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Ainsi, par les sophistes et par les rhéteurs, par les séductions et par les menaces, comme philosophe et comme empereur, Julien combattait le christianisme. Enivré des succès faciles qu'il avait obtenus sur lui, il se préparait à lui porter de plus rudes coups, quand vainqueur des Perses contre lesquels il allait marcher il reviendrait dans Rome plus puissant par la gloire et par des triomphes qu'il aurait rapportés à ses dieux : une flèche inconnue vint interrompre sa vie et ses desseins.

Telle fut la fin de Julien, prince qui a été le texte de bien des jugements divers, et sur lequel on ne me paraît avoir rien dit de plus juste que ces deux mots : l'un, d'un historien païen, Eu

trope; l'autre, d'un Père de l'Église, saint Augustin. « Ce fut, selon Eutrope, un philosophe plutôt qu'un empereur: Philosophus magis quam imperator. C'était, dit saint Augustin, un natu rel heureux et distingué qu'égara et perdit une curiosité inquiète : Apostata Juliano cujus egregiam indolem decepit amore dominandi sacrilega et detestanda curiositas, cujus vanis deditus erat oraculis. Oui, philosophe plus qu'empereur; il joua en effet la royauté plutôt qu'il ne la soutint dignement, charlatan dans le bien et vaniteux dans sa simplicité même; oui, gâté par la contrainte imposée à ses premières années et par le commerce des thaumaturges auxquels il se livra dans un désir d'ambition peut-être autant que de philosophie, il a corrompu par une sacrilége curiosité les dons les plus précieux de l'esprit et de l'âme. En un mot, prince inférieur à Constantin, ne fût-ce qu'en ce sens, qu'en se tournant vers le christianisme, Constantin regardait l'avenir, et qu'en revenant au paganisme Julien rétrogradait vers le passé.

CHAPITRE XII.

GRÉGOIRE DE NAZIANZE.

En même temps que Julien, étudiait aux écoles d'Athènes un jeune homme qui, par une de ces secrètes répugnances qui sont l'expérience de la jeunesse, avait ressenti pour le futur empereur, alors simple disciple comme lui des philosophes et des rhéteurs, une vive antipathie : « II avait remarqué sa démarche peu assurée, sa tête toujours en mouvement, ses épaules qui se haussaient et s'abaissaient tour à tour, ses regards inquiets, mobiles, vagues et souvent égarés; l'air railleur et qui prêtait lui-même à la raillerie, le langage brusque, entrecoupé, quelquefois hésitant; sa gravité sans justesse. » Il en avait dès lors deviné ce que le christianisme en devait craindre. Ce condisciple de Julien, c'est Grégoire de Nazianze.

Grégoire naquit, en 328, à Arianze, dans la partie de la Cappadoce appelée Tibérine, et dans le territoire de la ville de Nazianze. Il n'était pas encore sorti de l'enfance, et déjà il se sentait embrasé de l'ardeur de l'étude. Il ne put

cependant, c'est lui qui en fait l'aveu, éviter les imprudences de la jeunesse, « de cet âge plein de feu, qui se laisse aisément emporter à son impétuosité naturelle, comme un jeune coursier qui s'élance avec ardeur dans la prairie. » Bientôt il fréquenta les écoles d'Alexandrie, et ensuite il fut saisi du désir de visiter la Grèce : vers 344, il se rendit à Athènes. Il a lui-même raconté ses études, ses méditations, le respect qu'il obtenait, quoique jeune, au milieu de ses compagnons dont il ne partageait point les excès, et surtout ce bonheur d'une amitié sainte et illustre que nous retrouverons. Le moment vint enfin pour lui de retourner dans sa patrie. Athènes qui prévoyait sa gloire tâcha de le retenir; il se vit environné d'étrangers, d'amis, de ses camarades, de ses maîtres, qui tous unissant leurs supplications et leurs plaintes et y joignant même la violence, le tenaient serré dans leurs bras, et protestaient qu'ils ne le laisseraient point s'éloigner d'eux. Vaincu d'abord par ces vives instances, il se déroba ensuite furtivement d'Athènes et non sans difficulté; il revit sa patrie. Mais le choix d'un état le jeta dans une cruelle perplexité. Le désir de la vie solitaire, ce désir qu'il vainquit longtemps mais dont il ne triompha jamais, embrasait son cœur. D'un autre côté son père, qui par d'éminentes vertus avait mérité l'honneur de l'épiscopat, voulut l'enchainer par

des liens spirituels, et le fit asseoir, malgré lui, dans la seconde place du trône sacerdotal: il le fit prêtre, moins pour le décorer des honneurs qui étaient en son pouvoir, que pour se reposer en partie sur lui des fonctions de l'épiscopat, dont son grand âge le rendait incapable, et surtout du ministère de la parole. Cette espèce de violence de l'autorité paternelle affligea profondément Grégoire, et dans son effroi il abandonna sur-lechamp parents, amis, proches, patrie; il gagna le Pont; puis, le temps adoucissant ses chagrins, il courut de nouveau, nous employons ses expressions, se jeter dans l'abîme.

Mais, semblable à l'oiseau, il était toujours prêt à s'envoler. Un ami, dont les instances l'avaient ramené dans sa patrie, chercha à l'y fixer ille fit monter par force sur le trône épiscopal. « Il y avait dans la Cappadoce, sur la grande route de cette province, une méchante bourgade, située dans un lieu sec et aride, habitation indigne d'un homme libre ; demeure triste et resserrée, où tout n'est que poussière, bruit tumultueux de chariots, plaintes, gémissements, chaînes et tortures; cette demeure, c'est Sasime. » Telle fut, s'écrie Grégoire, mon église. Je baissai, ajoute-t-il, la tête sous l'orage; mais mon esprit ne pliait pas. Il prit donc la fuite une seconde fois; il s'enfonça furtivement dans les montagnes pour y mener la vie de soli

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