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C'est, a-t-on dit, le Lucien chrétien; Lucien, je ne sais; non, la raillerie satirique du chrétien n'a pas la finesse, la légèreté, la grâce malicieuse du sophiste païen; mais s'il n'est Lucien, Hermias est du moins un écrivain instruit, habile et judicieusement ingénieux.

A quelle date faut-il placer Hermias? on ne le saurait dire d'une manière précise; mais en le mettant à la fin du second siècle, on ne s'éloignerait pas beaucoup, je crois, de la vérité.

CHAPITRE IV.

ATHÉNAGORE. —THÉOPHILE d'antioche. -SAINT IRÉNÉE.

Athénagore, philosophe d'Athènes, vivait sous le règne de l'empereur Marc Aurèle. Il enseigna d'abord, dans Alexandrie, la philosophie platonicienne; puis il embrassa le christianisme en faveur duquel il présenta à Marc Aurèle une apologie, sous le titre de: Légation pour les chrétiens. Ainsi que Justin, c'est au nom de la tolérance philosophique qu'Athénagore réclame pour les chrétiens la justice du prince. Son exorde est plein de dignité. « Les peuples soumis à votre empire, grand prince, ont des lois, des usages, des cultes religieux bien différents les uns des autres. Il est libre à tous de les suivre, quelque ridicules que puissent être et ces lois et ces usages et ces religions. Tous éprouvent sans cesse les effets de votre clémence, de votre douceur, de votre bienveillance. A l'ombre de vos soins paternels, le monde entier jouit d'une paix profonde seuls les chrétiens sont exclus de cette bienveillance, et leur nom suffit pour exciter la haine. Vous souffrez que des hommes innocents,

des hommes pénétrés, nous le prouverons, des sentiments les plus religieux et pour Dieu et pour les hommes, soient opprimés, bannis, persécutés, au mépris des lois de l'équité, de la morale, de la raison. Les chrétiens ne vous demandent que ce que vous accordez à tous vos sujets comme une justice. » Il montre ensuite par un contraste naturel, la supériorité de la morale chrétienne sur la science: « En plaidant notre cause devant des princes philosophes, qu'il me soit permis d'élever la voix et de m'écrier: Parmi tous ces savants si habiles à démêler les sophismes, à éclaircir les équivoques, en trouverez-vous beaucoup qui mènent une vie si pure, si vertueuse, que loin de maudire ceux qui les premiers les ont maudits, ils les aiment, les bénissent. Mais regardez les chrétiens vous trouverez chez eux des ignorants, des artisans, de vieilles femmes qui ne peuvent, il est vrai, démontrer par le raisonnement la vérité de leur doctrine, mais qui en persuadent l'excellence par la sainteté de leur vie.» Athénagore entre ensuite dans des détails qui avaient alors de la vivacité et de l'intérêt, mais qui aujourd'hui paraissent froids et languissants. Il y a, même dans les questions les plus fécondes et les plus neuves, des lieux communs inévitables : l'impiété, la débauche, la cruauté des chrétiens, tel était le thème invariable des accusations que formaient contre eux les païens : la pureté des

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mœurs nouvelles, la douceur de la loi chrétienne, l'élévation de ses croyances, tel était d'autre part le fond obligé des réponses. On conçoit tout ce que, dans leur nouveauté et longtemps après, tant qu'il y eut lutte et péril, ces questions bien que sans cesse reprises et agitées, avaient d'intérêt, et combien elles pouvaient passionner les esprits. Ce qui pour la postérité est le côté commun et périssable de ces questions, en est pour les contemporains le côté animé et saisissant. Athénagore répond donc aux accusations banales que l'on portait contre les chrétiens : impiété envers les dieux, repas de chair humaine, unions incestueuses; mais à côté de ces inévitables réponses, il a ses points de vue nouveaux. Laissant la polémique pour l'exposition des vérités chrétiennes, il établit clairement l'unité de l'essence de Dieu et la trinité des personnes divines. Il dit que le Verbe qui avait été de toute éternité en Dieu, est sorti pour ainsi dire de Dieu, pour faire et pour gouverner toutes choses. Il pose nettement la distinction des trois personnes : « Père, Fils et Saint-Esprit : » Trinité qui n'altère point l'unité de l'essence divine, pas plus que le rayon émané du soleil n'altère l'unité du principe d'où il part.

Le discours d'Athénagore est remarquable par une raison élevée, par des pensées aussi nobles que solides, par la sagesse du plan et la modé

ration du langage. Sûr de la justice et de la grandeur de la cause qu'il soutient, s'il la défend, c'est moins pour elle-même que pour ses juges qu'il veut éclairer. Dédaignant les calomnies, il se contente de faire briller à leurs yeux la pureté de la foi son discours est un conseil adressé aux païens, plus qu'une apologie. Nous devons remarquer dans Athénagore un trait particulier aux apologistes grecs et qui est en même temps un caractère du génie grec. Les apologistes latins, s'adressant à des peuples beaucoup moins vifs et curieux d'esprit que n'était le peuple grec, s'attachent surtout à réfuter les préventions injurieuses, les calomnies grossières répandues contre les chrétiens. Les apologistes grecs passent rapidemeut sur ces accusations; ils élèvent et épurent la question; ils montrent que les vérités chrétiennes, divinations obscures des plus sages et des plus grands entre les païens, ne sont que la foi retrouvée du genre humain : c'est la marche d'Athenagore; ce sera surtout celle de Clément d'Alexandrie. Peut-être faut-il ajouter que dans l'emploi de ces arguments philosophiques, les apologistes grecs manquent quelquefois de sobriété : platoniciens plus qu'il ne con

viendrait.

Au nombre des ouvrages d'Athénagore, on trouve un traité sur la Résurrection. Le dogme de la résurrection était un de ceux que les païens

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