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à Rome et dans le monde entier, ouvraient les âmes aux espérances de la régénération chrétienne. En Grèce, comme à Rome, l'enfant, la femme, l'esclave, souffraient. Moins opprimés qu'à Rome, parce que la douceur des mœurs grecques tempérait le malheur de leur servitude, ils n'avaient pourtant ni la liberté, ni l'égalité domestique. On a montré récemment et avec autant de justesse que de grâce, par la seule comparaison de l'Économique de Xénophon et du De re rustica de Caton, combien en Grèce le sort de l'esclave et de la femme était différent de celui qui leur était fait par la rudesse du génie latin non moins que par la sévérité de la loi. Xénophon, dans les esclaves, respecte, malgré leur abaissement, l'ineffaçable dignité de l'homme. « Ceux, dit-il, qui sont sensibles à la louange, je les traite en hommes libres. » La femme, dans l'Économique, n'est pas moins réhabilitée moralement que l'esclave; et réhabilitée, ennoblie, comme s'ennoblit et s'embellit la femme, par la bonté. Voici un trait qui peint admirablement ce double caractère de mansuétude grecque pour l'esclave et tout ensemble cette tendresse pieuse pour le malheur qui fait la beauté et la vertu de la femme. Ischomaque a parlé à sa femme, mais avec ménagement, de soigner les esclaves malades; elle, avec la vivacité d'un bon naturel, répond : « Certes, ce sera

mon plus grand plaisir, puisque, bien soignés par moi, ils en seront reconnaissants, et m'en aimeront davantage. » Dans le De re rustica, il est inutile de le dire, on ne trouve rien de semblable. Le génie grec a non-seulement le sentiment naturel de l'égalité, il a aussi celui de la pureté chrétienne. Dans le même traité, Xénophon nous montre la femme d'Ischomaque paraissant fardée devant son mari; lui, la reprenant avec douceur: « Crois bien, ma femme, que les couleurs empruntées me sont moins agréables que les tiennes, et comme les dieux ont voulu que la jument plût au cheval, la génisse au taureau, la brebis au bélier, ils ont voulu de même que le corps humain plût à l'homme dans sa pureté naturelle. » Il y a là un instinct de la modestie chrétienne; mais un peu matériel encore : la comparaison gâte légèrement le précepte. Toutefois cette douceur et cette pureté étaient l'exception; en général, en Grèce comme à Rome, l'esclave et la femme souffraient l'Église grecque n'aura pas moins que l'Église latine l'honneur de proclamer et d'obtenir leur réhabilitation.

Tout en Grèce était donc mûr pour la moisson évangélique.

Le génie grec, on peut le dire, était prédestiné pour le christianisme. Aussi, avec quelle rapidité s'élèvent en Grèce des églises chrétiennes!

Éphèse, Smyrne, Corinthe, Antioche; elles naissent, pour ainsi dire, et grandissent sous les pas de l'apôtre, toutes brillantes de foi et de génie ; et tandis qu'à Rome, au second siècle, les plus grands esprits ignorent ou méconnaissent le christianisme, en Grèce, tous les yeux en sont éclairés: ennemis ou apologistes l'attaquent ou le défendent publiquement, et sous son véritable nom. Les premiers le prennent bien pour ce qu'il est, pour une religion, et non comme on faisait à Rome, pour une secte de philosophie. Autre différence à Rome, il nous a fallu, pour trouver un apologiste, attendre jusqu'au second siècle; ici les apologistes paraissent de bonne heure. Mais avant d'arriver aux apologistes nous trouvons un premier âge plein de fraîcheur et de grâce, les temps apostoliques.

CHAPITRE II.

TEMPS APOSTOLIQUES. -SAINT PAUL.—SAINT BARNABÉ. -SAINT CLÉMENT.-SAINT IGNACE.— HERMAS.

Les premiers temps du christianisme eurent, en Grèce, un éclat qu'ils n'eurent pas dans le monde romain: c'est en Grèce que l'on trouve la beauté et comme la séve primitive de l'Eglise. Sans doute la parole de Pierre fut aussi puissante que celle de Paul; mais, dans le monde romain, le travail de la foi et sa propagation se firent en quelque sorte plus mystérieusement. Au sein de la capitale du paganisme, et aussi par cette sagesse qui lui devait être particulière, l'Église latine plus attentive aux œuvres qu'aux paroles grandit en silence : l'Église grecque parut plus au grand jour. Les conquêtes de Pierre sont en quelque sorte des conquêtes intérieures et domestiques; il annonce le Christ aux juifs du Pont, de la Galatie, de la Bithynie et de la Cappadoce; mais à la voix de l'apôtre des gentils, l'Orient tout entier s'illumine. Charmés de son éloquence, les peuples le prennent pour Apollon ou pour Mercure : il y a déjà en lui le génie brillant de l'É

glise grecque, comme dans Pierre le génie grave et pratique de l'Église romaine : deux génies différents merveilleusement appropriés à la diversité des peuples auxquels s'adressait leur parole. «Il ira donc cet ignorant dans l'art de bien dire, avec cette locution rude, avec cette phrase qui sent l'étranger, il ira en cette Grèce polie, la mère des philosophes et des orateurs, et malgré la résistance du monde, il y établira plus d'Églises que Platon n'y a gagné de disciples par cette éloquence qu'on a crue divine; il préchera Jésus dans Athènes, et le plus savant des sénateurs passera de l'aréopage en l'école de ce barbare. » Chacun des pas de Paul est en effet un triomphe. Il ne s'en faut pas étonner: «< ce Jésus-Christ lui tient lieu de tout. »

Nous avons dit que le premier et le plus grand effort du christianisme naissant devait être contre les juifs. En effet, ceux mêmes d'entre les juifs qui s'étaient convertis à l'Évangile, restaient attachés aux cérémonies judaïques. Saint Barnabé, le compagnon des travaux de Paul, leur adressa une épître connue sous le titre d'Épitre catholique, pour leur faire comprendre que les céré monies mosaïques avaient été abolies par la loi nouvelle, et leur révéler le sens spirituel caché sous le voile des figures anciennes. Il leur montre que les sacrifices sanglants, les jeûnes sont abolis: « Soyez, dit-il, des adorateurs en esprit et des

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