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bat, dont la palme est au ciel. Eh! quel plus beau spectacle pour la Divinité que de voir un chrétien aux prises avec la douleur, bravant les supplices et les tourments, défendant sa liberté contre les princes et les empereurs, ne cédant qu'à Dieu seul, et triomphant, même dans la mort, du juge qui le condamne! » Ce défi à la loi termine la réponse d'Octave. Cécilius est convaincu, et victorieux même dans sa défaite, il triomphe de l'erreur, si Octave a triomphé de lui.

L'Octavius, on a pu le remarquer, présente, et dans le style, et dans les pensées, d'assez nombreux souvenirs de la littérature latine profane. Ce que Minucius Felix met dans la bouche de Cécilius sur le destin, est, en grande partie, emprunté au traité de Cicéron, qui porte ce titre. La conclusion de Cécilius est celle du De Fato. Le tableau des calamités, qu'à diverses époques, et surtout sous la république, a attirées sur Rome sa négligence envers les dieux, rappelle d'une manière frappante le discours que sur le même sujet Tite Live prête à Camille; enfin le tableau du chrétien qui, aux prises avec le malheur, offre ici-bas à la Divinité le plus beau spectacle qu'elle puisse contempler, ce tableau ne nous reporte-t-il pas involontairement à celui que Sénèque trace de Caton inébranlable au milieu des revers de son parti et des ruines de l'univers? A ces imitations, ainsi qu'à l'élégance du

langage, on reconnaît donc que l'Octavius a été écrit à Rome; on voit aussi que dans Minucius Felix, le christianisme retient encore quelque chose de philosophique; la discussion y est plus morale que théologique; la foi y est, le dogme n'y est pas encore dans toute sa rigueur; nous le trouverons dans Tertullien.

CHAPITRE IV.

TERTULLIEN.

Tertullien naquit à Carthage, sous l'empire de Sévère et de Caracalla, vers l'an 160. Sa jeunesse nous échappe; on sait seulement qu'il était né païen. Comment le païen devint-il l'apologiste habile et éloquent du christianisme? On l'ignore. Tertullien porta-t-il les armes? Suivit-il la carrière du barreau? On hésite entre ces deux opinions qui trouveraient dans ses écrits des preuves égales; car il emploie aussi fréquemment des expressions, des métaphores prises à l'art militaire, qu'il emprunte des termes au langage judiciaire. Quoi qu'il en soit, jamais encore le christianisme n'avait fait une si importante conquête; jamais le paganisme n'avait rencontré un si redoutable adversaire.

Tertullien réunit en lui plusieurs caractères · apologiste, docteur, controversiste, il a défendu la religion, établi la discipline chrétienne, et combattu l'hérésie. Nous le considérerons sous ces trois faces différentes; et d'abord voyons en lui l'apologiste.

L'Apologetique de Tertullien se distingue à deux traits profonds au peu de ménagements qu'il garde envers le paganisme, et à la hardiesse avec laquelle il s'attaque aux empereurs et à la loi. Mais avant de marquer ces deux caractères, faisons connaître le plan de l'Apologétique. Tertullien y répond d'abord, mais d'une manière vive et neuve, à ces accusations calomnieuses que l'on répandait contre les mœurs des chrétiens, et surtout à cette odieuse imputation que portait contre eux Fronton. Mais après s'être arrêté un instant et avec dédain à repousser ces bruits infâmes, il laisse de côté les vaines raisons qui de part et d'autre masquaient, entre le paganisme et le christianisme, la véritable cause de la guerre; il s'adresse directement aux dieux et à Rome; il montre l'origine mortelle et souvent honteuse de ces divinités; leur histoire burlesque ou cruelle; leurs cérémonies impies ou ridicules, sanguinaires ou scandaleuses, et semble épuiser déjà un texte qu'après lui, Arnobe, Lactance et saint Augustin sauront pourtant rajeunir.

Les attaques de Tertullien contre le paganisme sont, on le voit, beaucoup plus hardies et plus directes que ne l'avaient été celles de Minucius Felix. Dans Minucius, la question philosophique domine la question politique; si les dieux y sont atteints, les empereurs y sont respectés; Minucius effleure le paganisme, Tertullien va le frapper à mort.

On a recherché si l'Apologétique était adressé au sénat romain ou aux magistrats carthaginois; qu'il s'adresse à ceux-ci et non aux sénateurs romains, je n'en voudrais d'autre preuve que les attaques de Tertullien contre ces dieux nationaux, di patriæ indigetes, qui étaient en même temps des dieux domestiques. A Rome, les dieux sont nés avec l'empire; ils ont leur place au foyer comme dans les temples; les attaquer, c'est renverser l'empire. Tertullien le sait bien; et à la hardiesse avec laquelle il les détrône, on dirait qu'il accomplit la vengeance de Carthage sur Rome.

Il y avait quelque chose que Rome vénérait à l'égal et presque au-dessus des dieux, c'était la loi. Tertullien ne la respecte pas davantage. Il la montre toujours variable, toujours modifiée. On comprendra sans peine la vigueur que Tertullien porte dans ses attaques. Plus que les empereurs, en effet, la loi, nous le savons, était impitoyable à l'égard des chrétiens; et autant que la loi, le sénat chargé de la maintenir; les jurisconsultes ne leur étaient pas plus indulgents.

Pourtant ni les attaques des chrétiens contre le paganisme, ni leur révolte contre la loi, n'étaient, au fond, le véritable grief qu'on avait contre eux; les Romains eussent encore fait bon marché de leurs lois et même de leurs dieux : les véritables dieux, c'étaient les empereurs. Aussi

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