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à l'évêque chrétien cette pensée alors dominante que la piété devait faire le caractère d'un prince, les ressources que cette même pensée offrait à l'éloquence, il faut comparer aux oraisons funèbres chrétiennes de Théodose les panégyriques qu'en ont faits les auteurs païens, entre autres Pacatus.

que

Nul prince n'a été plus loué que Théodose. Augustin nous a vivement retracé dans ses Confessions les inquiétudes dont il était tourmenté, lorsque chargé de la chaire de rhétorique de Milan il dut en cette qualité prononcer le panégyrique de Théodose. Je doute dans ce panégyrique, Augustin eût rien rencontré qui approchât de cette magnifique peinture que nous venons de lui voir tracer de l'empereur chrétien. Quand Théodose mourut, l'éloquence profane ne manqua donc point à ses louanges, et ce fut le plus célèbre rhéteur de ce temps, qui fut appelé à les célébrer en public. Pacatus ne fut pas au-dessous de cette tâche. Son style a de l'éclat et du mouvement; il s'élève au récit des guerres et des victoires de Théodose; et pourtant quelquefois l'intérêt languit on dirait qu'une secrète influence frappe de froid son éloquence. Elle ne se ranime cette éloquence, elle ne se retrouve naturelle et pathétique, que quand Pacatus touche à une de ces questions qui seules alors préoccupaient et remuaient les âmes, à

une question religieuse; quand, saisi d'une juste indignation, il flétrit, en louant la tolérance de Théodose, la cruauté qui avait si atrocement puni sur quelques malheureux l'erreur des priscillianistes.

Mais l'éloge des princes était en quelque sorte un tribut que l'éloquence chrétienne payait aux puissants de la terre; ce n'était pas le texte favori et fécond de ses inspirations; ce texte, nous le savons de reste, c'était la charité, et c'est là aussi que triomphe l'âme de Paulin.

On plaçait, à l'entrée des églises, des troncs où la piété des fidèles déposait les aumônes destinées à la subsistance des pauvres. Tel est le texte d'une homélie célèbre de Paulin: De gazophylacio. « Du tronc. » Homélie où il a su, après tant d'orateurs chrétiens, trouver de nouvelles et éloquentes paroles pour exciter la charité « Les pauvres vous attendent à la porte de l'église; les yeux fixés sur vous, ils observent votre arrivée, et suivent chacun de vos pas. Leurs voix touchantes, affaiblies par la faim qui les presse, vous adressent des vœux suppliants; elles implorent de votre compassion quelque soulagement à leurs misères. Ne les contraignez pas à changer leurs prières en murmures; craignez que leurs gémissements ne s'élèvent contre vous auprès du père des orphelins, du protecteur des veuves, du Dieu souffrant dans la personne des

pauvres. » On ne saurait trop admirer avec quelle sagesse cette voix du pauvre qui toujours en secret ou hautement s'élève contre le riche, saint Paulin sait, en la détournant vers le ciel, la faire parler sans que la plainte touche à l'insulte, le murmure à la révolte.

Nous avons vu que tout en résistant aux prières d'Ausone qui le rappelait ou plutôt voulait le retenir au culte des muses, Paulin par une dernière faiblesse poétique non-seulement lui avait répondu en vers, mais qu'à l'imitation de son maître et comme en rivalité il avait employé des mètres différents pour lui signifier ses adieux à la poésie. C'est que la poésie, en effet, était au fond du cœur de Paulin; c'était pour lui cette passion dont le sage même se dépouille difficilement; aussi n'y put-il renoncer; mais ne la pouvant vaincre, il la sanctifia: sa poésie fit partie de sa piété. Un de ses prédécesseurs au siége épiscopal de Nola, saint Félix, avait laissé un grand renom de vertu et une grande puissance de miracles. Chaque année, Paulin lui consacra un poëme, et il renouvela pendant quinze ans cette offrande poétique qu'il savait rajeunir par la variété des mètres et la vivacité inépuisable de l'émotion. Il a aussi traduit en vers quelques psaumes; et saint Augustin trouvait que ces poésies de Paulin étaient douces comme le miel et le lait, et propres à nourrir et

à charmer la piété des fidèles. Ces effusions poétiques dans saint Paulin n'enlevaient rien à ses devoirs d'évêque, qui alors étaient souvent entourés de grands périls : c'était le temps de l'invasion des Goths dans l'Italie. Nola fut prise d'assaut; l'évêque tomba aux mains des barbares; mais, frappés de sa vertu, ils lui rendirent la liberté. Alors Paulin, comme un autre saint Ambroise, employa les biens de l'Église à racheter les captifs et à soulager les maux de la guerre ce fut l'occupation de ses dernières années. La tolérance en lui s'alliait à la piété; aussi quand il mourut, en 431, juifs et païens s'associèrent-ils aux chrétiens dans d'unanimes regrets.

CHAPITRE XVI.

OROSE. SALVIEN.

Dans la grandeur de son plan et du point de vue élevé où il s'était placé en contemplant la cité de Dieu, Augustin n'avait pu descendre aux détails ou s'y arrêter. Orose, son disciple, vint se charger de cette tâche. Il le déclare tout d'abord et dans les termes les plus explicites de respect et d'obéissance : il ne veut qu'apporter quelques preuves particulières, quelques faits nouveaux à la thèse si éloquemment, si magnifiquement soutenue et développée par saint Augustin; il s'attache à un point particulier, le reproche fait aux chrétiens d'être la cause des maux qui depuis leur apparition affligent l'empire. Entrant donc de suite en matière et remontant, il le dit lui-même, au berceau du monde, Orose reprend et suit à travers les siècles et les royaumes la longue et effroyable histoire des calamités de tous genres qui ont désolé l'univers : c'est un inventaire exact de tous les fléaux qui ont écrasé l'humanité. Au milieu de ces souvenirs de tristesse, de ces funèbres images, de ces débris

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