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's'adressent point au ciel; quand, détourné de Dieu, tu supplies les muses de Castalie? Non, ce n'est pas avec ces divinités que tu me ramèneras dans ton sein et dans ma patrie. Si tu as souci de mon retour, regarde et prie celui qui de son tonnerre ébranle les voûtes sublimes des cieux enflammés; qui brille du triple feu de la foudre; qui ne fait point gronder de vains murmures; qui est au-dessus de tout ce qui existe; qui est tout entier dans tout et partout; qui présent en toutes choses gouverne tout; ce Christ qui tient et meut les esprits; et si ses décrets sont contraires à nos vœux, c'est par la prière qu'il le faut ramener à ce que nous voulons. » Et à son tour, il trace un pur et sévère tableau de la vie nouvelle qu'il goûte; il rappelle son maître à de meilleures pensées; et enfin, protestant contre ce reproche que lui avait fait Ausone, d'être infidèle à l'amitié héréditaire qui les liait, il s'écrie: « Ce joug, les mensonges de la malignité ne l'ont point délié; l'absence et l'éloignement n'ont pu le rompre. Jamais je ne le détacherai de mon cœur, et mon âme sortira de mon corps avant que ton image s'efface de mon esprit. Oui, tant que je serai contenu dans ce corps qui m'emprisonne, quelque monde qui nous sépare, je te verrai par le cœur, je t'embrasserai pieusement par l'âme; tu seras partout présent pour moi; et lorsque délivré de cette prison du

corps,

je m'envolerai de la terre, en quelque région que me place le Père commun, là encore je te parlerai en esprit. » Ce fut le dernier adieu à l'amitié; adieu plein de grâce et de douce tristesse.

En comparant les épîtres d'Ausone à la réponse de Paulin, on voit quelle supériorité donnent à la pensée de celui-ci sa foi nouvelle et ce monde des esprits où déjà il aspire, «< craignant, si la trompette éclatante venait à retentir dans les cieux entr'ouverts, de ne pouvoir s'élever d'une aile légère dans l'espace à la rencontre de leur roi et s'envoler au ciel parmi ces glorieux milliers de saints qui légèrement balancés dans le vide soulèveront d'un élan facile vers les astres célestes leurs pieds dégagés des entraves du monde, et mollement portés sur les nuages s'en iront, au milieu des airs, rendre hommage au roi céleste et rassembler aux pieds du Christ adoré leurs brillantes phalanges. » Ce sont là de neuves et chrétiennes images. Toutefois l'élève d'Ausone n'a pas encore entièrement disparu; on le reconnaît au luxe de la description, à l'abus de l'esprit, aux souvenirs profanes de Cicéron et de Virgile, et surtout à cette petite vanité poétique qui le pousse à répondre, en trois mesures. différentes, aux lettres de son maître. Tel est, à cette époque, l'état des esprits et de la société : le paganisme y vit dans les habitudes, dans les expressions, alors même qu'il ne règne plus dans

les âmes; l'imagination est souvent profane encore, quand la pensée ne l'est plus; le spiritualisme est dans les intelligences, la mythologie dans les souvenirs; le bel esprit se mêle à la foi, et le mauvais goût à la pureté et à l'élévation des sentiments.

Paulin avait donc entièrement rompu avec le siècle; il reçut le baptême de saint Delphin, évêque de Bordeaux, et fut, en 393, ordonné prêtre sur la demande du peuple de Barcelone. Un an après, il partit pour l'Italie, et s'établit à Nola, où, après avoir vécu quinze ans dans la pauvreté et la pénitence, il devint évêque.

A Nola, Paulin se trouvait en quelque sorte sur la limite de l'Italie, et comme un intermédiaire naturel entre l'Afrique et l'Europe. Sa conversion d'ailleurs, la renommée de sa piété et de ses talents attirèrent bientôt sur lui la sollicitude et l'affection des deux grands docteurs de l'Église au Ive siècle, Jérôme et Augustin. Jérôme l'encourage, le dirige dans l'étude des saintes Écritures. Paulin, comme tous ceux qui passaient de la littérature païenne à la littérature sacrée, pouvait être rebuté quelquefois par la rudesse énergique des textes sacrés. « Gardez, lui dit Jérôme, que la simplicité et la bassesse apparente du langage de nos livres sacrés ne choque votre délicatesse; tout y est éclatant, même à la surface; mais tout y est plus doux encore au fond;

pour goûter le fruit, il en faut percer l'écorce. » Ailleurs, tempérant l'ardeur de sa foi nouvelle, il le détourne de se rendre à Jérusalem, le louant d'ailleurs d'avoir renoncé au monde. Docile à ce conseil, Paulin resta dans le monde; là où, comme le lui disait Jérôme, il pouvait être et où il fut plus utile.

Nous n'avons jusqu'ici considéré dans Paulin que le disciple et l'ami d'Ausone, le poëte devenu chrétien; il faut maintenant faire connaître l'orateur.

Paulin fut appelé à prononcer le panégyrique de Théodose. Nous n'avons de ce panégyrique qu'une phrase, mais elle nous en donne tout le plan et tout l'esprit : In Theodosio non imperatorem, sed Christi servum; nec regno, sed file principem prædicamus. << Nous louons dans Théodose non l'empereur, mais le serviteur du Christ; c'est à la foi et non au pouvoir que nous apprécions le prince.. » Ce point de vue nouveau qui subordonne la majesté impériale au titre de chrétien, la puissance à la piété n'était point une vaine antithèse, et, s'il m'est permis de le dire, une prétention intéressée de l'Église. C'était la pensée, et j'ajouterai, le besoin du monde à cette époque. Ce texte de Paulin, Augustin l'a magnifiquement développé dans un chapitre de la Cité de Dieu : « Nous appelons heureux, dit-il, certains priuces chrétiens, non

pour avoir longtemps régné et laissé après eux leurs fils tranquilles possesseurs de leur couronne, ou pour avoir su vaincre ou déjouer les ennemis qui s'élevaient contre eux. Nous les appelons heureux, si leur pouvoir a été conforme à la justice; si, au milieu des hommages sublimes et des basses complaisances qui les entourent, leur cœur ne s'est point élevé; s'ils se sont souvenus qu'ils étaient hommes; s'ils ont fait servir leur puissance à étendre le culte de Dieu, leur majesté à le rehausser; si, lents à se venger, ils sont prompts à pardonner; s'ils adoucissent par la mansuétude et les bienfaits de nécessaires rigueurs; et si, en tout cela, ils agissent non par un vain désir de gloirę, mais par cette charité qu'inspire l'attente d'une éternelle félicité. » Tel est le dernier trait de cette royauté chrétienne, esquissée d'abord par Tertullien et achevée par saint Augustin.

Jérôme a donné de grands éloges au panégyrique de Paulin : « Heureux, lui écrit-il, l'empereur d'avoir rencontré un tel orateur! Vous avez ajouté à la majesté de la pompe impériale. Courage, ô vertueux jeune homme! que ne promet pas, pour un âge plus mûr, un début si éclatant. » Et il vante l'ordre, l'enchaînement, la solidité de ce discours.

Si l'on veut apprécier quelles étaient, en même temps que la grandeur de sentiments qu'inspirait

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