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tout entier à la défense et à l'instruction de son troupeau. Ces trois âges se marquent à des différences sensibles dans sa pensée et dans son style. D'abord, c'est à la philosophie, éclairée, il est vrai, d'un rayon de la foi, mais à la philosophie pourtant qu'il demande la vérité : c'est le temps des Soliloques, de l'ordre, de la vie heureuse. Puis sans répudier la philosophie, il ne l'accepte plus que par souvenir; il la place au second rang; il écrit alors les Moeurs de l'Église et la Vraie religion; il répond à Maxime et à Longinien : c'est son second âge. Enfin il a rompu avec la philosophie; il est évêque alors : il ne reconnaît, il ne prêche que la science divine; il est théologien. C'est le dernier effort de ce travail continu de sa pensée et de son âme pour trouver Dieu et la vérité; il s'y tient et s'y renferme. Les spéculations métaphysiques qui l'avaient pu aider et soutenir dans le passage de l'erreur à la foi, ces spéculations qui lui pouvaient encore servir à la seconde période, de la hauteur où il est placé il les dédaigne alors. Ce troisième âge de la pensée d'Augustin a son expression précise et éclatante dans le manuel qu'il adresse à Laurent ce traité est le résumé de sa foi, et comme le dernier mot d'Augustin.

A ces trois âges de sa pensée répondent trois caractères particuliers de style. Dans les ouvrages philosophiques, le style d'Augustin a de

l'élégance, de la vivacité et une pureté remarquable; dans les ouvrages qui tiennent à la morale et à la doctrine chrétienne en même temps qu'à la philosophie, il n'a plus déjà la même correction, le même naturel. Les nouvelles idées qu'il exprime se refusent quelquefois à une rigoureuse exactitude; on sent qu'Augustin a besoin de créer cette langue théologique dont il est resté le modèle. A son troisième âge, cette langue, il la parle uniquement : il parvient à soumettre cet idiome latin moins rebelle à la théologie qu'il ne l'avait été à la philosophie, même sous la main de Cicéron. Cependant sous la plume d'Augustin, la langue latine est quelquefois obscure, subtile, roide; elle résiste à le suivre dans les distinctions profondes où il la conduit; elle s'épouvante à ces questions de la grâce, du libre arbitre, où le génie grec, lui, est si souple et si à son aise.

Ces teintes diverses du style et de la pensée d'Augustin se marquent aussi dans ses sentiments. Si pendant longtemps Augustin conserve avec des païens des relations bienveillantes; si, une première fois, il répond avec une indulgence aimable et enjouée à un pontife qui lui expose ses doutes; s'il entretient avec des sophistes un commerce poliment affectueux, plus tard il n'aura plus ces complaisances. Sa foi plus austère, sans les proscrire, dédaignera ces discus

sions oiseuses qui alors lui seront presque une injure. Mais ces légères différences dans la vie d'Augustin s'effacent et disparaissent dans l'admirable unité de l'œuvre qu'il a poursuivie et accomplie, et pour lui-même et pour l'Église : pour lui-même, la recherche, la connaissance, la possession en Dieu de ce bonheur qu'il avait cherché dans sa jeunesse, saisi dans son âge mûr et qu'il ne quitta plus; pour l'Eglise qu'il munit et fortifia de tous côtés, la victoire définitive sur le paganisme, le triomphe sur l'hérésie, et cette puissance qu'il assit sur des fondements si solides que le moyen âge tout entier pût s'y appuyer, et le xvIIe siècle aussi s'y retrancher et y vaincre.

CHAPITRE XIV.

LE PÉLAGIANISME.

Dans l'examen que nous avons fait des écrits de saint Augustin, nous n'avons point compris plusieurs ouvrages qui occupent une grande place dans ses œuvres et dans sa vie et se rattachent à une des questions les plus graves du dogme chrétien, le pélagianisme; il en faut par

ler maintenant.

L'auteur de cette hérésie, Pélage, était né dans la Grande-Bretagne; son origine était petite. Consacré à la vie monastique, pendant longtemps Pélage s'y distingua par une éminente sainteté. Ce serait, dit-on, dans les ouvrages d'Origène qu'il aurait puisé le germe de ses erreurs qu'il commença à répandre au sein même de Rome où pendant longtemps il habita, d'abord par des écrits, des discours et des discussions particulières, mais sans bruit toutefois et avec précaution: saint Augustin, qui alors ne connaissait de Pélage que sa piété, l'avait en grande estime. Ce bon accord ne devait pas durer. Dans une prière, saint Augustin s'adressant à Dieu s'était

écrié : « O Dieu! veuille ce que tu me donnes et donne-moi ce que tu veux: « Da quod jubes, et jube quod vis. » Pélage, devant qui ses paroles furent redites à Rome, par un évêque qui les avait entendues de la bouche de saint Augustin, ne les put supporter. Quelque temps après il fit, en 410, un voyage en Afrique. Était-ce pour s'assurer auprès de saint Augustin lui-même de l'exactitude des paroles qui lui avaient été rapportées? Était-ce pour répandre en Afrique sa doctrine qui devait y trouver de nombreux partisans et qui déjà sans doute en comptait quelques-uns? Cette dernière opinion est plus probable. Toutefois, Pélage ne fit en Afrique qu'un très-court séjour; saint Augustin, occupé alors à ses conférences avec les donatistes, ne le vit que deux fois.

Si court qu'eut été ce séjour de Pélage en Afrique, il n'avait pas été stérile. En effet, à peine a-t-il quitté Carthage, que ses disciples se multiplient et se déclarent avec une hardiesse qu'ils avaient eu soin d'éviter jusque-là, et bientôt sa doctrine trouve pour la répandre et la prêcher un homme actif et habile, un Breton comme lui, mais homme plus violent, avocat habitué aux luttes du barreau, Célestius.

Célestius se rendit en Afrique, portant en quelque sorte la guerre au cœur même de l'Église que gouvernait saint Augustin. De son côté, Rome pour le combattre envoya le diacre Pau

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