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qu'il avait commencé de suivre dans sa retraite aux environs de Milan. Retiré avec quelques amis dans un lieu champêtre, ils y menaient, dans une parfaite union, la vie des premiers fidèles une même table, une seule bourse, un seul cœur et une seule âme. L'étude et le travail

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des mains partageaient leurs loisirs; sage succession, dont Augustin fera une obligation de la vie monastique. C'est dans cette seconde retraite que saint Augustin a écrit les six livres sur la Musique; le livre du Maître; le traité de la vraie religion; derniers souvenirs du rhéteur et préludes à la vie sévère du prètre.

Le traité de la vraie religion est dédié à Romanianus que déjà nous connaissons. Ce traité s'ouvre par une éloquente exposition des erreurs du polythéisme et des contradictions de la philosophie païenne, impuissante à faire adopter, encore plus à faire pratiquer ses maximes, quand le christianisme, malgré les obstacles qu'il a rencontrés, remplit le monde de sa doctrine et de ses disciples; quand il l'éclaire de la divine lumière, le sanctifie de ses vertus. Toutefois en faisant ressortir les erreurs et l'impuissance de la philosophie, Augustin ne lui est pas ennemi; il se rappelle que Platon lui a été comme le degré intermédiaire par où il s'est élevé du doute à la vérité : « L'Église, dit-il, s'attache à bien faire pénétrer dans l'esprit des hommes

cette maxime, que la philosophie ou l'amour et la recherche de la sagesse ne sont point choses différentes. » Et ailleurs : « Dieu, pour nous élever vers lui, nous a donné deux moyens : ce sont l'autorité et la raison qui, loin de se combattre, se concilient aisément l'une avec l'autre. La première se compose de tout ce qu'il a plu à Dieu d'opérer de visible et de sensible pour nous ramener à lui; l'autre suffit toute seule les choses même corpopour nous élever par relles à la connaissance de cette nature incorporelle, éternelle, immuable, que nous appelons Dieu, et nous rendre capables de nous en former une idée qui convienne à la pureté infinie de cette ineffable nature. Ce Dieu, cette nature éternelle, elle est empreinte dans tout l'univers; dans le monde, et surtout dans l'homme; dans ces passions mêmes qui en paraissant l'éloigner de Dieu, c'est-à-dire de la vérité, l'y ramènent par le dégoût même et le vide qu'il trouve dans tout ce qui n'est pas cette vérité, ce bonheur, par conséquent ce Dieu qu'il cherche. Les passions sont comme les voiles du navire qui doivent pousser plus rapidement l'homme à la connaissauce de la vérité et à la recherche du souverain bien. » Ce traité de saint Augustin, où une touchante émotion se joint à la plus pure spiritualité, offre, au milieu des preuves historiques de la religion, les considérations les plus élevées sur les

arts et sur la convenance et l'unité qui en sont la loi suprême.

Cette douce solitude où il goûtait ainsi les charmes de l'amitié et de l'étude, Augustin n'en devait pas jouir longtemps. Un jour il s'était rendu à Hippone; il y arriva au moment où Valère, qui était évêque de cette ville, parlait de la nécessité où il était d'ordonner un prêtre. A l'instant les yeux se portèrent sur Augustin et le désignèrent. Vainement il voulut se dérober à l'empressement du peuple et de son évêque : il fallut céder. Valère lui confia, par une exception glorieuse dans l'Église d'Afrique, avec le sacerdoce, le soin de la prédication. Une fois engagé dans la prédication, Augustin ne cessa d'en remplir le devoir; prêchant quelquefois tous les jours, et souvent deux fois par jour.

L'Afrique lui offrait de fréquentes occasions d'exercer son éloquence et son zèle. A cette époque, elle présentait, à côté des monuments et des arts de la civilisation romaine, les restes vivants et nombreux d'une barbarie indigène qui n'avait jamais disparu, et les résistances opiniâtres d'un paganisme qui, jusqu'au dernier moment, lutta contre le christianisme par des attaques matérielles non moins que par les superstitions c'était encore la terre des devins aussi bien que des donatistes. Le troupeau de saint Augustin se composait en grande partie de

mariniers, de gens dont le rude et grossier langage se ressentait plus du punique que du latin. Augustin savait cependant s'en faire entendre; son langage simple et populaire ne se refusait pas un barbarisme pour arriver jusqu'à eux et en être mieux compris.

Les mariniers, les laboureurs n'étaient pas ses plus grands embarras. Hippone l'écoutait avec respect; mais Carthage plus polie et plus savante, Carthage, qui avait vu sa jeunesse vive et peu chrétienne, Carthage s'en souvenait. Ce n'est pas une des pages les moins belles et les moins touchantes que celle où saint Augustin, allant au-devant de la mémoire un peu maligne de quelques-uns de ses auditeurs, répond, en les prévenant, à leurs secrètes pensées; artifice ingénieux de l'éloquence, dira-t-on? non, aveu simple et noble d'une âme chrétienne qui se sent assez élevée au-dessus de ses fautes passées pour ne les point renier; douce expiation pour lui-même, leçon pour ses auditeurs :

<< Vous accusez mes anciens désordres; je les condamne plus sévèrement que vous-mêmes. Ce que vous me reprochez aujourd'hui, j'ai été le premier à m'en reconnaître coupable. Ce que vous m'imputez, ce sont des fautes passées, celles surtout que j'ai commises dans cette ville, où elles sont trop notoires, je le confesse. Et plus je me réjouis de la grâce que Dieu m'a faite, plus

ma première vie me fait.... dirai-je de la douleur? oui, j'en aurais beaucoup, si j'y étais encore engagé. De la joie? non, je ne le saurais dire, car plût à Dieu que je n'eusse jamais été ce que j'ai été ! Mais quel que j'aie pu être, maintenant, grâce au ciel, je ne le suis plus. Voilà ce qu'ils savent. Ce qu'ils ne savent pas, ce qu'ils ne peuvent savoir, c'est la vérité des reproches particuliers qu'ils m'adressent. Je le sais trop : j'ai . encore des défauts dont on me peut blâmer, mais d'où leur viendrait la prétention de les connaitre? lisent-ils dans le secret de mes pensées? sont-ils témoins de mes combats intérieurs? de cette lutte continuelle que j'ai à soutenir? car je me connais bien mieux qu'ils ne me peuvent connaître, et Dieu surtout, bien mieux que moi. »>

Augustin a du reste rarement cette émotion; son langage brille plus par la force, la suite et la solidité des preuves et du raisonnement que par l'éclat du style ou les ornements du discours; il cherche plus à convaincre qu'à persuader; il ne se livre pas, comme les orateurs grecs, à ces développements qui séduisent et entraînent l'imagination; il est sobre même dans ces idées générales et toujours saisissantes de la rapidité de la vie, de la fragilité de nos espérances; du contraste de notre petitesse présente et de notre grandeur à venir. Quelquefois cependant il se livre à la peinture de profondes et touchantes medita

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